Budget 2020 : des « surprises » en fin d’année et des inquiétudes sur le long terme

Budget 2020 : des « surprises » en fin d’année et des inquiétudes sur le long terme

Auditionné par la commission des finances du Sénat, le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt a présenté la dernière photographie de l’exécution du budget 2020. Le déficit s’est finalement creusé de 45 milliards d’euros de moins par rapport aux prévisions. Un écart qui a fait réagir au Sénat.
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Gérer un budget en plein pandémie mondiale relève d’une gymnastique assez inhabituelle pour Bercy. Et en la matière, l’exécution du budget 2020 s’apparente au grand écart. Comme c’est d’usage chaque année, le ministre des Comptes publics était invité à s’exprimer, devant les commissions des finances du Parlement, pour détailler les résultats du budget de l’année écoulée.

Auditionné au Sénat ce 21 janvier 2021, Olivier Dussopt a souligné que le déficit s’était creusé en 2020 de 85 milliards d’euros, sous l’effet du coût des mesures d’urgence et de soutien à l’économie, et de l’effondrement des recettes fiscales. C’est deux fois supérieur à ce que la loi de finance initiale, adoptée à la toute fin 2019, prévoyait. Mais le chiffre est par ailleurs inférieur aux hypothèses sur lesquelles se basait le quatrième projet de loi de finances rectificative, adopté par le Parlement en novembre dernier. L’écart mesuré se chiffre à 45 milliards d’euros.

Le ministre a réaffirmé que le gouvernement avait preuve de « prudence » en novembre, et qu’il avait agi par peur de manquer d’argent. Dans son scénario le plus pessimiste, un prolongement du confinement sur la totalité du mois de décembre et une baisse plus marquée de l’activité économique étaient pris en compte. Des recettes fiscales ont chuté de façon moins dramatique que prévu. C’est notamment le cas du produit de l’impôt sur le revenu, dont la « moindre chute » avec une « forme de surprise » par Olivier Dussopt. La perte en 2020 n’a été que de 1,5 milliard d’euros.

Pour l’Etat, le choc sur les rentrées de TVA a été inférieur à celui de la crise financière

Les recettes de TVA, liées à la consommation, ont également relativement encaissé le choc, avec 12,2 milliards d’euros de moins dans les caisses de l’Etat, soit 10% de moins par rapport aux prévisions initiales. Il y a dix ans, au moment de la crise financière, le recul avait atteint 11 %. Autant de phénomènes que l’administration va chercher à « expliquer » en détail, dans les prochains mois. De la même manière, la fiscalité des entreprises a été « résiliente », selon le ministre. L’impôt des sociétés a dégringolé de 25 % en 2020. C’est beaucoup. Mais toujours moins que les 51 % enregistrés en 2010.

Tous les lignes de crédit ouvertes en fin d’année 2020 au titre des mesures d’urgence, n’ont pas été consommées. Certaines sont en voie de l’être, à cause de décalages dans les déclarations. Mais l’Etat peut d’ores et déjà compter sur une enveloppe d’une « vingtaine de milliards d’euros », ce qui éloigne pour l’instant la perspective d’un dépôt en début d’année d’un projet de loi de finances rectificative. « Nous pouvons tenir entre 3 et 6 mois, à conditions sanitaires et de maintien de l’activité économique constants », a expliqué Olivier Dussopt aux sénateurs.

« L’argument de la prévoyance, il est pour le moins exagéré », regrette le rapporteur général du budget au Sénat

Face à cette valse des milliards, et un discours finalement moins alarmiste, la majorité sénatoriale dominée par le groupe Les Républicains a accueilli avec critique la « navigation à vue » du gouvernement, comme l’a soulignée le sénateur Philippe Dallier. Le rapporteur général de la commission, le sénateur LR Jean-François Husson, a estimé que l’écart de 45 milliards d’euros était « vertigineux ».

Au moment des débats budgétaires de la fin de l’automne, le Sénat avait déjà estimé que le gouvernement prenait trop de précautions. « Nous avions pointé du doigt que le gouvernement faisait le choix de prendre un peu de marge, voire peut-être un peu trop de marge […] L’argument de la prévoyance, il est pour le moins exagéré. Ce n’est plus de la prévoyance, c’est prévoyance, confort, ceinture et bretelles, et même amortisseurs ! »

« On nous reproche maintenant de trop anticiper », s’agace un sénateur LREM

Dans un contexte où l’exécutif se fait reprocher régulièrement ses retards dans la gestion sanitaire, les critiques de la majorité sénatoriale ont été plus que mal perçues par les parlementaires de la majorité présidentielle. « En matière de finances publiques, on nous reproche maintenant de trop anticiper, de trop en avoir fait », a objecté le sénateur LREM Didier Rambaud.

Sur cette visibilité, justement, le pessimisme domine à la commission des finances du Sénat, beaucoup estimant que le gros de la crise est latent. « Des dépenses qui n’ont pas été faites en 2020 se reporteront en 2021. Il n’y a jamais eu aussi peu de faillites », s’est inquiété le sénateur socialiste Rémi Féraud. « Il y a fort à craindre que beaucoup d’entreprises tenues à bout de bras ne pourront pas tenir », a également observé le sénateur LR Philippe Dallier.

L’interview du ministre aux Echos, dévoilée la veille, au cours de la soirée, a achevé de jeter le trouble parmi les sénateurs. « Si 2021 marquera la fin de la crise et de la pandémie comme tout le monde l'espère, il faut aussi que 2021 marque la sortie du quoi qu'il en coûte », a déclaré Olivier Dussopt au quotidien de l’économie. Et de bien insister sur le fait que « le niveau de dépenses que nous connaissons aujourd'hui n'est pas soutenable dans le temps ». Inquiets de la dégradation des finances publiques, certains sénateurs se questionnent néanmoins sur le tempo d’une telle déclaration. Pour le rapporteur Jean-François Husson, elle est « préoccupante » à ce stade. « Que diable avons-nous choisi d’annoncer la fin du ‘quoiqu’il en coûte’ alors que les Français sont dans une période de tension, et qu’il est fortement question d’avoir une nouvelle période de confinement ! »

« Il ne faut pas jouer avec le feu du caractère exceptionnel », met en garde le rapporteur Husson

En attendant la fermeture du robinet, la dette progresse. Le sénateur communiste Éric Bocquet observe pour sa part avec étonnement les spectaculaires levées de dettes sur les marchés par l’Agence France Trésor. « Il y a un décalage entre la quiétude des marchés et l’inquiétude du gouvernement. » Olivier Dussopt a d’ailleurs souligné qu’un emprunt à échéance à 10 ans (l’un des plus communs) avait été obtenu avec un taux négatif de 0,33 %. Le ministre a concédé qu’il fallait néanmoins garder à l’esprit la possibilité d’un retournement de tendance. « Nous savons que les marchés peuvent arrêter de faire confiance ». Pour Olivier Dussopt, il faudra « s’attaquer au déficit structurel », une fois la crise passée, ce qui « nécessitera une revue des dépenses publiques ».

Aucune trajectoire n’existe à moyen terme, l’actuelle loi de programmation pluriannuelle des finances publiques 2018-2022 ayant été balayée par la crise. En septembre, le Haut Conseil des finances publiques avait recommandé d’en présenter une nouvelle (relire notre article). « Un vrai sujet », pour le rapporteur général Jean-François Husson. « Il ne faut pas jouer avec le feu du caractère exceptionnel. »

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