Ils ont planché jusqu’à une heure du matin dans la nuit de lundi à mardi. Une poignée de parlementaires, membres des commissions des finances des deux chambres, s’activent depuis plusieurs jours pour préparer la commission mixte paritaire (CMP) sur le budget 2025, qui s’annonce comme l’une des plus délicates, et peut-être la plus longue de la Ve République. À partir de jeudi, sept sénateurs et sept députés se réuniront pour tenter de trouver un consensus sur le projet de loi de finances (PLF).
D’ordinaire, les négociations se concentrent sur les points de divergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais dans ce cas précis, les députés ayant rejeté le budget, chacune des lignes du projet de loi devra être examinée à l’aune de la seule version votée, celle du Sénat. Un travail qui s’annonce particulièrement fastidieux. Côté Sénat, Jean-François Husson, le rapporteur général du Budget (LR) affiche une certaine sérénité : « Les Français veulent un budget, ils veulent de la clarté et ils veulent être rassurés. On va s’employer à faire les choses dans le bon ordre », explique-t-il à Public Sénat.
Pourtant, l’ordre des choses n’est plus tout à fait le même depuis que François Bayrou est arrivé à Matignon. Ces derniers temps, l’exécutif s’est beaucoup appuyé sur le Sénat pour tenter d’échapper aux écueils de la tripartition à l’Assemblée nationale, ce qui a largement permis à la majorité droite-centristes qui domine à la Chambre haute d’imposer ses vues. Mais le président du MoDem a changé de tactique en négociant directement avec une partie de la gauche pour tenter d’échapper à la censure. Ce faisant, la majorité sénatoriale s’inquiète désormais des répercussions que les concessions accordées aux socialistes pourraient avoir sur le texte qu’elle a fait voter au Sénat.
« On avance sur un fil »
« Beaucoup de sénateurs de la majorité sénatoriale trouvent qu’on fait la part belle aux socialistes », rapporte le sénateur centriste Hervé Maurey, secrétaire de la commission des finances. « Dans la majorité sénatoriale, ça commence à tousser », ajoute l’élu de l’Eure. « Je vous confirme qu’il y a un certain agacement. Sur la méthode notamment : ceux qui ne sont pas dans le socle commun sont beaucoup plus écoutés que nous aujourd’hui. Lorsque l’on discute avec les ministres, on les sent plus inquiets d’une censure que d’une commission mixte paritaire qui serait non conclusive », explique le sénateur LR Stéphane Sautarel, vice-président de la commission des finances, qui siégera en CMP jeudi.
« À l’intérieur du socle commun, je ne doute pas que l’on puisse trouver un accord. Nous restons tous sur l’objectif commun d’une épure à 5,4 % du déficit, même si l’on avance sur un fil », explique la sénatrice LR Christine Lavarde, elle aussi membre de cette CMP. Avec huit élus du socle commun parmi les 14 parlementaires qui siégeront jeudi, la balance, théoriquement, penche en faveur des soutiens de l’exécutif, mais la perspective d’une censure lorsque le texte élaboré en CMP sera présenté à l’Assemblée nationale vient aussi rebattre les cartes. « Si l’on va trop à gauche… on perd les voix de la droite, et si l’on va trop à droite, la gauche risque de censurer le gouvernement », résume Christine Lavarde.
Les exigences des socialistes
« Il faut que chacun ait la certitude qu’il est entendu et que les aspirations des uns deviennent compatibles avec celles des autres », a rappelé François Bayrou lundi soir sur le plateau de LCI. Il a notamment réaffirmé sa volonté d’annuler les 4 000 suppressions de postes initialement prévues dans l’Éducation nationale. Une promesse accordée aux socialistes, que la droite sénatoriale a fait voler en éclat en retoquant l’amendement concerné la semaine dernière, mais que le gouvernement pourra toujours réintroduire en CMP, via ses soutiens.
« On a bien enregistré cet engagement du Premier ministre, et nous ferons en sorte qu’il puisse être conservé, mais nous avons aussi fait comprendre au gouvernement que nous ne pourrons pas aller beaucoup plus loin… », glisse Stéphane Sautarel. « Le problème, c’est que les oppositions sont dans une surenchère permanente. Dès qu’ils obtiennent une avancée, ils en réclament trois autres. Je pense à leurs dernières demandes sur la fiscalité, la prime d’activité ou l’Aide médicale d’Etat… », s’agace l’élu du Cantal.
« Les socialistes l’avaient plutôt mauvaise lors du vote solennel sur le PLF au Sénat la semaine dernière. Entre les coups de rabot de dernière minute à plusieurs millions d’euros, et ce qui a été ponctionné ici ou là pour satisfaire à leurs demandes, ils comprennent qu’en fin de compte, ils n’ont pas vraiment obtenu grand-chose », décrypte une élue écolo auprès de Public Sénat. Le groupe socialiste a d’ailleurs voté à l’unanimité contre ce budget.
Le risque de rupture avec la droite
Dans l’hypothèse plus que probable d’un recours au 49-3 en fin de parcours, le gouvernement aura toujours la possibilité de sélectionner les amendements qu’il souhaite conserver dans la version finale du texte. Un scénario qui agite de plus en plus la droite, au vu des dernières prises de position de François Bayrou.
« Entre ce qu’a déclaré le Premier ministre hier soir et ce que dit sa ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, qui appelle à adoucir la copie du Sénat, je crains que l’on finisse avec un texte complètement remanié par le 49.3, et finalement très loin de la version du Sénat ou même des conclusions de la CMP », s’inquiète Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine. « C’est une véritable préoccupation. Si la CMP est conclusive, la droite n’acceptera pas que l’on introduise des amendements de dernières minutes via le 49.3. Bien sûr, le gouvernement fait ce qu’il veut, mais dans cette hypothèse il y aura une rupture de confiance sur les futurs rendez-vous législatifs », avertit Stéphane Sautarel.
La question migratoire vient percuter le débat budgétaire
Ce mardi pourtant, ce sont les discussions entre l’exécutif et le parti à la rose qui se sont tendues d’un cran. En réaction aux propos tenus hier soir par le Premier ministre sur l’immigration, les socialistes ont fait savoir qu’ils ne se rendraient pas à la réunion prévue en milieu de journée avec le gouvernement pour préparer cette fameuse CMP. Une manière aussi de mettre un peu plus la pression sur François Bayrou. « Le problème, c’est que dès que le gouvernement envoie un message de fermeté, la gauche se brusque et sa liste de doléances continue de s’allonger », soupire Christine Lavarde.
Au micro de LCI, le Premier ministre a parlé d’un « sentiment de submersion » en matière d’immigration, formulation qu’il a continué d’assumer ce mardi lors de la séance de questions d’actualité au gouvernement à l’Assemblée nationale, ce qui a déclenché des applaudissements nourris sur les bancs du Rassemblement national. Ce vocable, que l’on retrouve d’ordinaire dans la bouche des représentants de l’extrême droite, n’a pas fait bondir que la gauche mais aussi certains macronistes. « Je n’aurais jamais tenu ces propos. Ils me gênent », a notamment réagi Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale sur BFMTV.
Par le passé, François Bayrou s’est généralement montré plus mesuré ce sujet, et ce changement de ton pourrait aussi être une façon pour le Premier ministre de tenter de rassurer une aile droite qui redoute de perdre la main sur la copie budgétaire. Peu dupe, Roger Karoutchi dénonce un simple exercice rhétorique, sans mesure à la clef : « La traduction concrète de ce qu’il a déclaré sur LCI, c’est soit la tenue d’un référendum pour changer la Constitution, soit la présentation d’un nouveau texte de loi sur l’immigration. Or, il a déjà dit non à ces deux options », épingle-t-il.
Bref, à vouloir ménager la chèvre et le chou à l’approche d’un vote crucial pour la survie de son gouvernement, le Palois risque surtout de braquer l’ensemble de ses soutiens contre lui.