Alors que le budget est toujours à l’Assemblée, les sénateurs se préparent. Aujourd’hui soutien de Michel Barnier, le Sénat se retrouve en position de force et entend bien jouer la carte de la coconstruction avec le gouvernement. « Il faut être ambitieux et réaliste », résume le rapporteur LR du budget, Jean-François Husson. S’ils veulent renforcer les économies, les sénateurs devraient alléger l’effort demandé aux collectivités.
Budget 2025 : le Sénat en position de force
Par François Vignal
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Le contraste risque d’être saisissant. Alors que l’Assemblée nationale débat, dans des échanges souvent électriques, du projet de loi de finances 2025, le climat sera tout autre au Sénat. D’un côté, des amendements adoptés dans tous les sens, avec une Assemblée imprévisible et morcelée. De l’autre, une majorité sénatoriale LR-Union centriste, stable et en soutien à Michel Barnier. Deux salles, deux ambiances. Tout sera plus constructif rue de Vaugirard et autant la Haute assemblée, que le premier ministre, y verront leur intérêt.
« A l’Assemblée, ça va être un budget Frankenstein »
La nature des débats entre députés fait en réalité le jeu du Sénat. « A l’Assemblée, tout est possible en séance, on navigue toujours à vue, ça va être n’importe quoi », prédisait avant l’ouverture des hostilités une figure des députés EPR (Ensemble pour la République, Renaissance). « Ça va être un budget Frankenstein », s’inquiète aussi un député Renaissance de la commission des finances, qui pense qu’« à la fin, c’est le groupe LR du Sénat qui fait le texte ». Mais pour ce député, dans ce cas, « il y a un problème démocratique ». « Si ce n’est pas maîtrisé, on va remettre de l’ordre. Si les députés font n’importe quoi, on recadre », prévient de son côté un cadre de la Haute assemblée…
L’avancée des débats au Palais bourbon, comme le recours éventuel par le gouvernement des armes que lui offre la Constitution, sera un élément important. « La question, c’est s’ils font bien un 49.3 et quand ? Ou s’ils recourent à l’article 47 de la Constitution, qui limite le temps de débats (lire notre article pour plus de détails) ? Cela donne dans ce cas la main au Sénat. Le gouvernement peut y avoir intérêt », analyse l’un des députés Renaissance cité plus haut.
Les sénateurs veulent construire le budget avec le gouvernement
L’option choisie semble pour l’heure de laisser les débats se faire à l’Assemblée… et le texte se défaire. En cas de rejet de la partie 1, sur les recettes, cela reviendrait à rejeter le budget, qui partirait directement au Sénat, où on se prépare patiemment. Ce n’est évidemment pas un hasard si le premier ministre s’est rendu mardi dernier à la réunion de groupe des sénateurs LR.
« Michel Barnier a manifesté la volonté d’écouter les propositions du Sénat », expliquait à la sortie le nouveau président du groupe LR, Mathieu Darnaud. « J’ai été clair à la réunion de groupe. Je lui ai dit, tu peux compter sur notre soutien. Mais par contre, on n’est pas le doigt sur la couture du pantalon. Il faut construire ensemble », explique ce vendredi le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général du budget au Sénat.
« Il faut bien s’appuyer sur la jambe la plus forte. Et c’est le Sénat actuellement », selon une ministre
Au sein du gouvernement, on sait pouvoir compter sur la Haute assemblée. « A l’Assemblée, c’est compliqué. Je pense que le Sénat sera d’un grand appui sur le budget », avance une ministre, qui pense que « c’est le Sénat qui va faire la majeure partie du travail de construction et de coconstruction ».
Preuve du lien de confiance qui existe déjà entre Michel Barnier et le Sénat : son gouvernement compte neuf membres du Sénat (ils sont même dix, si on compte Sébastien Lecornu, élu sénateur en 2020 mais qui n’a jamais siégé, étant au gouvernement). « Il faut bien s’appuyer sur la jambe la plus forte. Et c’est le Sénat actuellement », avance cette ministre, qui connaît bien le Palais de Marie de Médicis, avant d’ajouter :
« Le barycentre de la vie politique s’est déplacé vers le Parlement, et singulièrement vers le Sénat »
Ce retour en grâce du Sénat, qui a débuté sous Emmanuel Macron, en tant que contrepouvoir, prend une nouvelle dimension aujourd’hui, avec un Sénat devenu appui du pouvoir. Une mutation résumée par le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, lors du discours de politique générale de Michel Barnier à la Chambre haute, le 2 octobre : « Aujourd’hui, le Sénat is back, comme on dit en bon savoyard ! » lançait cet amateur de bons mots.
« La conséquence immédiate de la nouvelle donne, est que le barycentre de la vie politique s’est déplacé vers le Parlement, et singulièrement vers le Sénat », développait celui qui est aussi président de l’UDI. « Je ne peux que saluer à mon tour le retour en grâce du Sénat. Le talent de notre assemblée semble enfin avoir été redécouvert. Depuis 2017, monsieur le premier ministre, nous étions assignés à résidence. Aujourd’hui, dix des nôtres, issus de quatre groupes différents, sont à vos côtés », ajoutait encore le sénateur des Hauts-de-Seine, qui participe aujourd’hui aux petits déjeuners de la majorité.
« Michel Barnier nous a redit combien il avait besoin du Sénat »
Michel Barnier connaît bien le Sénat. Ça aide. « Il a été sénateur de la Savoie, et a même été président de la délégation aux affaires européennes », rappelle la sénatrice Agnès Evren, porte-parole du groupe LR. Devant les sénateurs LR, mardi, « il nous a dit que c’était un geste très significatif d’avoir nommé pas mal de sénateurs au sein du gouvernement. Il nous a redit combien il avait besoin du Sénat. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, contrairement à l’Assemblée, ici, son groupe a une majorité », raconte la sénatrice LR de Paris au micro de Public Sénat. Regardez :
S’ils soutiennent le premier ministre, les sénateurs comptent bien donner leur marque au projet de loi de finances. « Le budget ne sera pas le même que celui de Monsieur Barnier, mais il sera proche dans bien des domaines », explique Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord. Et s’il y aura « probablement un 49.3 » à la fin, Marc-Philippe Daubresse pense que Matignon retiendra davantage d’amendements issus du Sénat. « Bien évidemment. A l’Assemblée, ça va dans tous les sens. La copie principale sera celle du Sénat, comme lors de la loi immigration, puis elle sera sans doute amendée par les groupes de l’Assemblée », avance l’ancien ministre, qui affirme que « le Sénat est dans une position plus forte que l’Assemblée, puisqu’il travaille de manière sérieuse et dispose d’une majorité pour voter le budget ».
« Il a besoin du Sénat pour tailler encore dans les dépenses publiques »
Le premier ministre est prêt à écouter, en partie du moins, les idées du Sénat. « Devant les sénateurs LR, il a été très clair : il a dit que la copie du docteur Barnier n’est pas parfaite. Elle est perfectible. C’est un point de départ, et non un point d’arrivée. Il a besoin du Sénat pour tailler encore dans les dépenses publiques », rapporte Agnès Evren. « De toute façon, tel qu’il est transformé à l’Assemblée nationale, le budget est méconnaissable. Donc par définition, on va le remettre d’aplomb au Sénat, comme on l’a fait l’an dernier. On va essayer de trouver des économies supplémentaires. Car on considère qu’il n’y a pas assez d’économies. Faire des impôts, c’est bien, mais ce n’est pas une finalité », confirme Hervé Marseille.
Le budget du gouvernement n’est donc pas à prendre ou à laisser. « Le premier ministre n’a pas vraiment mis l’empreinte qu’il aurait mise sur le projet de loi de finances, s’il avait été désigné quelques jours après la dissolution. C’est pourquoi il a dit, y compris au Sénat, que des choses pouvaient bouger, qu’il était à l’écoute, pour intégrer tout ce qu’on peut mettre dans l’ambition de réduction du déficit à 5 % en 2025, jusqu’à améliorer le solde », nous explique Jean-François Husson, qui ajoute :
Un jeu de vase communicant en somme. « Si on peut trouver plus d’économies dans les dépenses, ça permettra de détendre sur les mesures de hausses d’impôts », insiste le rapporteur du budget.
La commission des finances recherche les pistes d’économies, « mission par mission »
Les collectivités seront évidemment regardées de près au Sénat. Jean-François Husson se montre d’ailleurs au chevet des départements en difficulté, comme lors d’un déplacement à Laon, dans l’Aisne (voir notre reportage). Mais il est cependant prêt à maintenir l’effort de 5 milliards d’euros que le gouvernement demande aux collectivités. « On est sur l’objectif d’essayer de tenir celui fixé par le premier ministre, mais à l’intérieur, on veut trouver des solutions différentes », pour mieux répartir l’effort, explique le rapporteur.
Pour l’heure, la commission des finances planche sur toutes les mesures d’économies possibles, « mission par mission. C’est un gros boulot. On affine », explique le sénateur LR. Mercredi, une réunion a rassemblé Gérard Larcher, Jean-François Husson, « tous les rapporteurs de la commission des finances de la majorité sénatoriale et les rapporteurs pour avis des autres commissions, pour un premier temps d’échange », confie le rapporteur du budget. Une seconde réunion est à venir.
« Il faut d’abord valider entre nous, puis avec le gouvernement et reboucler derrière »
Mais les échanges ne sont pas seulement internes au Sénat. Preuve de la coconstruction en cours, la majorité sénatoriale prépare sa copie en lien direct avec l’exécutif. « Il faut que le lien se fasse bien avec le gouvernement. Il faut d’abord valider entre nous, puis avec le gouvernement et reboucler derrière. On fait tout ça dans un temps rapide. On a envie de bien travailler et de montrer qu’on mouille le maillot pour proposer un effort ambitieux et raisonnable », explique Jean-François Husson. Alors que le Sénat reprochait aux gouvernements précédents, Bruno Le Maire en tête, de ne pas l’écouter, ces échanges en amont dans la préparation du budget sont nouveaux. « C’est une obligation. Il y a deux points de passage : Bercy et Matignon », souligne le rapporteur.
Si la Haute assemblée a une vraie carte à jouer, le sénateur de la Meurthe-et-Moselle n’entend pas pour autant pavoiser. « Bien sûr, on voit bien qu’on a objectivement une place plus grande. On a quand même envie que le Parlement – et il y a deux chambres – sorte avec un texte issu des chambres », affirme Jean-François Husson, qui entend travailler « avec ambition, détermination, mais aussi une part d’humilité. Moi, je ne suis pas donneur de leçon. On n’est pas là pour fanfaronner ». Si les sénateurs feront moins de bruit que les députés, ils entendent bien ne pas se priver de leur pouvoir d’influence dans l’écriture du budget.
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