Un vote, des ordonnances ou une loi spéciale. Voici les trois options qui se présentent au gouvernement pour lui permettre de clore la séquence budgétaire d’ici la fin de l’année.
Et pour reprendre une expression chère au prédécesseur de Sébastien Lecornu, c’est « un Himalaya de difficultés » qui se dresse toujours devant le gouvernement. Les députés ne sont déjà pas parvenus à voter dans les délais constitutionnels (20 jours) le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Avec 1 500 amendements restant à examiner rien que sur la partie recettes le projet de loi de finances (PLF) d’ici le 23 novembre à minuit, c’est un autre texte budgétaire qui devrait être transmis au Sénat sans le vote des députés.
Pour rappel, la Constitution fixe une limite à 70 jours de débats budgétaires, au total, entre les deux chambres du Parlement avant le 31 décembre, pour voter le budget de l’Etat. En ce qui concerne le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le PLFSS, le Parlement dispose là de 50 jours. Les sénateurs démarreront, mercredi, l’examen de ce texte transmis avec les amendements jusqu’ici votés des députés.
Un hiatus est à attendre entre la chambre basse et la chambre haute qui, elle, contrairement à la première est composée d’une majorité claire de la droite et du centre. En commission, les rapporteurs de la majorité sénatoriale ont déjà annoncé vouloir faire table rase de nombreuses modifications faites par les députés, qui ont aggravé le déficit de 17,5 à 24 milliards d’euros. Le Sénat rétablira la réforme des retraites, ainsi qu’un gel partiel des pensions, deux mesures suspendues par les députés.
Du côté du budget de l’Etat, les sénateurs ont également prévu de « corriger l’hystérie fiscale » des députés voire même de « nettoyer toutes les saloperies au Kärcher » qui ont abouti à 40 milliards de hausses d’impôts dans la version que ne devront pas le temps de voter les députés mais qui sera transmise à la chambre haute avec les amendements déjà votés.
En renonçant à recourir à l’article 49-3 lors de son arrivée à Matignon, Sébastien Lecornu avait répondu à une demande des socialistes qui laissaient planer la menace d’un vote d’une motion de censure spontanée. « Ce que je cherche à faire […] c’est sauver la démocratie représentative […] permettre aux parlementaires et au Parlement de montrer que ça fonctionne, que ce n’est pas une institution qui ne sert à rien », a-t-il également assuré la semaine dernière.
« Le Sénat dispose, à ce stade, d’un véritable droit de veto »
En l’état, les antagonismes entre les deux chambres, rendent très incertaine l’hypothèse d’une commission mixte paritaire conclusive (CMP), composée de 7 députés et 7 sénateurs en charge de trouver une version commune. Dans le cas où la CMP serait conclusive, le texte serait alors soumis à l’Assemblée durant la lecture, aucun amendement n’est recevable sauf accord du gouvernement. Au vu de la composition de l’Assemblée au sein de laquelle les députés RN et LFI ont d’ores et déjà annoncé leur rejet du budget, une adoption des conclusions de la CMP semble très aléatoire. Dans le cas, où la CMP ne serait pas conclusive une deuxième lecture démarrerait à l’Assemblée ce qui ouvrirait « très largement les amendements rendant peu probable la tenue des délais », relève le constitutionnaliste, Benjamin Morel. Le calendrier constitutionnel laissant soixante-dix jours au Parlement pour se prononcer sur le PLF, la date butoir pour voter le budget est fixée au 23 décembre cette année.
Benjamin Morel insiste sur un point crucial du débat juridique. « Le gouvernement a la possibilité de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale mais sur quoi ? Il n’en a pas la possibilité sur la version initiale du projet de loi. Il le peut sur un texte voté par l’Assemblée nationale. Là, il n’y en a pas. Le dernier mot est aussi possible sur les conclusions d’une commission mixte paritaire. Donc sauf à adopter un texte en seconde lecture à l’Assemblée, le Sénat dispose, à ce stade, d’un véritable droit de veto ».
« Le renoncement au 49.3, c’est la victoire des communicants sur les constitutionnalistes »
C’est pourquoi l’idée d’une mise en vigueur du budget par ordonnances, inquiète les oppositions même si le gouvernement par la voix de la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin s’en défend encore aujourd’hui. L’hypothèse est, néanmoins, prévue à l’article 47 alinéa 3 de la Constitution lorsque le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours. Dans un courrier, le président LFI de la commission des finances de l’Assemblée, Éric Coquerel demande au Premier ministre un engagement officiel de ne pas recourir à ces ordonnances en cas de dépassement du délai. « La question qui se pose ici. C’est sur quel texte le gouvernement se baserait pour faire des ordonnances. Selon le Secrétariat général du gouvernement, c’est le projet de loi initial qui serait mis en œuvre par ordonnances. Mais le 26 décembre au soir alors que les marchés seront en panique, le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat, selon celui qui se déclarera compétent, aura des arguments politiques pour dire qu’on peut intégrer des amendements à cette copie initiale. De plus, si ce sont des amendements soutenus par les socialistes, le gouvernement peut éviter une motion de censure », note Benjamin Morel.
« Le renoncement au 49.3, c’est la victoire des communicants sur les constitutionnalistes dans les entourages du Premier ministre et des socialistes. Ils ont eu la peau de l’article le plus impopulaire de la Constitution, que tous les Français connaissent, pour finalement se retrouver face au risque de voir le Parlement ne pas se prononcer sur le budget car il n’y a pas de loi d’habilitation pour prendre ces ordonnances », rappelle le constitutionnaliste.
Quant à la dernière solution que le gouvernement avait choisie l’année dernière, le dépôt d’une loi spéciale en décembre, un texte court et technique qui l’autorisera à continuer à percevoir les impôts existants, dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances en bonne et due forme en début d’année, elle contient au moins deux inconvénients, cette année. Le non-recours au 49.3 et l’approche des élections municipales qui ne vont pas aider à trouver un compromis.