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Budget 2026 : une loi spéciale pour sortir de l’impasse ? « Une solution qui permet uniquement de retarder le problème »

La navette parlementaire continue, et le calendrier budgétaire, lui, se resserre. Le rejet du budget par les députés ce week-end laisse peu d’espoir à un accord sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale de voir le jour dans les temps. De quoi contraindre le gouvernement à plancher sur un projet de loi spéciale, faute de recours au 49-3 et aux ordonnances, une solution pour le moins temporaire.
Aglaée Marchand

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Le temps presse. Et la course contre-la-montre continue pour le gouvernement, qui espère toujours parvenir à doter la France d’un budget d’ici le 31 décembre 2025. Le Premier ministre l’a encore répété ce matin, à l’occasion d’une allocution de dernière minute : « Il y a toujours une majorité à l’Assemblée pour permettre de voter un budget pour l’année prochaine ». Des allures de vœu pieux, alors que les députés ont rejeté à la majorité absolue la partie recettes du projet de loi de finances (PLF) 2026 ce week-end, la copie arrivant aujourd’hui au Sénat dans sa version initiale déposée par l’exécutif. Le texte relatif au financement de la sécurité sociale (PLFSS) a lui atterri au palais du Luxembourg le 14 novembre, et doit être voté le 26, avant l’ouverture d’une commission mixte paritaire (CMP), dont une issue positive semble largement hasardeuse, compte tenu des antagonismes régnant entre les deux chambres.

Le calendrier constitutionnel laissant cinquante jours au Parlement pour se prononcer sur le PLFSS, et soixante-dix jours pour le PLF, les élus devraient se prononcer sur les deux textes respectivement les 12 et 23 décembre, au plus tard. Des objectifs pour le moins utopiques alors que la quête d’un accord, en l’absence du recours au 49-3 promis par Sébastien Lecornu, semble se compliquer chaque jour un peu plus. Du bout des lèvres, le gouvernement commence à émettre l’idée de déposer un projet de loi spéciale, en cas d’impasse, plutôt que d’utiliser des ordonnances, même si Sébastien Lecornu a réitéré sa volonté de parvenir à un compromis. D’abord, le ministre des Relations avec le Parlement Laurent Panifous lors d’une réunion au Sénat vendredi dernier, puis la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin ce week-end sur LCI, évoquant un « parachute de dernier ressort ». Une « rustine temporaire », pour le constitutionnaliste Benjamin Morel, qui ne constitue pas « une solution pérenne », opine Jean-Philippe Derosier.

« Notre droit permet des solutions temporaires »

Contrairement aux États-Unis, la France ne peut tomber dans le « shutdown », parce que « notre droit permet des solutions temporaires », explique le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. Parmi elles : une loi spéciale, un texte court et technique autorisant l’exécutif à continuer à percevoir les impôts existants sur la base du budget de l’année précédente et à autoriser l’emprunt sur les marchés pour l’État, dans l’attente d’une loi de finances complète, dont le dépôt doit intervenir le 19 décembre d’après l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, si aucun accord sur le PLF n’a été trouvé. C’est le chemin qu’avait choisi d’emprunter le gouvernement démissionnaire de Michel Barnier l’an dernier, pour la deuxième fois de la Ve République. Cette voie de recours implique que les dépenses peuvent et doivent toujours être exécutées, mais seules celles permettant la continuité de l’État. Pas de blocage à l’américaine donc, mais « des difficultés certaines pour le tissu économique » tout de même, pointe du doigt Benjamin Morel, avec le ralentissement des politiques publiques et des investissements. De quoi faire écho aux inquiétudes émises par François Hollande dans le Monde dimanche : « Si, demain, c’est la loi spéciale qui s’impose faute de compromis, ce sont les dépenses de l’année précédente qui vaudront, et les 6 milliards d’euros prévus pour améliorer notre capacité de défense ne seront pas là ».

Cet outil n’existe en revanche pas pour le PLFSS, signale la professeure agrégée de droit public à l’université de Lille Stéphanie Damarey : « L’article 47-1 de la Constitution est très clair, si le PLFSS n’est pas adopté dans les délais, la seule option à la disposition du gouvernement, ce sont les ordonnances ». Mais une loi spéciale serait de toute manière, « plus ou moins inutile » pour le financement de la sécurité sociale, explique Benjamin Morel, car le prélèvement des cotisations peut s’effectuer sans l’aval des parlementaires. Il est néanmoins nécessaire d’introduire l’autorisation d’emprunt pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui relèvent de « ressources non permanentes », ce qui avait été prévu par le troisième article de la loi spéciale du 20 décembre 2024, précise le maître de conférences en droit public à l’université Paris Nanterre Thibaud Mulier, et pourrait donc être réitéré cette année.

Si l’exécutif se dirigeait dans la même direction que l’an passé, le juriste souligne par ailleurs une méthode « pas du tout satisfaisante sur le plan de la constitutionnalité ». « C’était un projet de loi spéciale non pas déposé au titre de l’article 45 de la LOLF, mais qui s’en inspirait et n’avait pas de base dans la loi organique, parce qu’il y avait un PLF déposé dans les temps, comme c’est le cas cette année. Le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi, donc il ne s’est pas prononcé à ce sujet, mais on suppose qu’au regard de la jurisprudence et de sa décision de 1979, qu’au nom de la continuité de la vie nationale, le gouvernement et le Parlement peuvent adopter une telle loi, dans la sphère de leurs compétences respectives ». Et Stéphanie Damarey de résumer : « Depuis trois ans, les textes en lien avec l’élaboration du budget sont bien bousculés, car tout n’a pas été pensé à l’époque. Avec la configuration actuelle du Parlement, et la composition des hémicycles, on se retrouve dans des nouvelles situations. Donc, pour l’instant, on fait avec les moyens du bord ».

« Le Premier ministre pourrait ressortir l’article maudit du placard » : le 49-3

Reculer pour mieux sauter ? Rien n’est moins sûr. « C’est bien beau de se dire qu’on va faire des lois spéciales, mais c’est une solution qui permet uniquement de retarder le problème un peu dans le temps, et ne va pas vous sauver l’avenir. Cet outil implique qu’on fasse, in fine, passer un budget l’année prochaine », met en garde Benjamin Morel. Un tel vote en janvier ou février ne sera pas nécessairement tâche plus facile dans des hémicycles sous pression, « et à ce moment-là, on se retrouvera exactement face au même dilemme, dans la même impasse ». D’autant plus à l’approche des élections municipales, qui vont « exacerber les tensions et accentuer les clivages », souligne Jean-Philippe Derosier. Un constat partagé par Benjamin Morel : « Le scrutin de mars peut en effet créer une situation où le texte serait encore plus invotable ». Mais il peut aussi « rendre plus difficile et plus coûteuse le risque d’une censure, sans parler d’une dissolution », ajoute-t-il, ce qui pourrait hypothétiquement aider chacun à mettre un peu d’eau dans son vin, sans garantir cependant une majorité.

Alors deux autres solutions reviendront sur la table. La première : les ordonnances, qui peuvent être déclenchées soixante-dix jours après le dépôt du PLF, si le Parlement ne s’est pas prononcé, d’après l’article 47 de la Constitution, peu importe si une loi spéciale a été votée. Ou la deuxième : le rétropédalage sur le renoncement au 49-3, immunité de Sébastien Lecornu contre une censure du PS. « Le Premier ministre pourrait ressortir l’article maudit du placard, avec Emmanuel Macron qui, lui, menacerait d’une dissolution les députés. Les socialistes feraient sûrement en sorte que cela ne puisse arriver », suggère Benjamin Morel. Le parti à la rose lui-même pourrait venir à le réclamer : « Il est dans l’intérêt même du PS de prier Sébastien Lecornu de recourir au 49-3, de manière à avaliser un certain nombre d’avancées qu’il a pu obtenir, notamment sur la suspension de la réforme des retraites et la taxation des hauts revenus », selon Jean-Philippe Derosier.

Benjamin Morel rappelle aussi l’existence d’une dernière voie, plutôt laissée de côté jusqu’ici : le recours à l’article 47-2, pour désolidariser la première partie du PLF de la deuxième, à date du 11 décembre, « pour la faire examiner dans l’urgence et lui permettre d’être adoptée avant le 31 décembre. A la différence d’une loi spéciale, on ne reconduit pas les recettes de l’année dernière, donc on peut ré-indexer le barème de l’impôt sur le revenu, c’est une solution qui paraît moins problématique. Il y a aussi tout intérêt à voter la première partie du PLF avant la fin de l’année, car lorsqu’on vote un budget après le 1er janvier, il y a plusieurs règles qui s’appliquent en matière de non-rétroactivité fiscale ». Toutefois, ici encore, ce cas de figure implique d’avoir une majorité, sourit le constitutionnaliste. Un dernier scénario catastrophe ? « Le dernier jour de l’année, sans budget ni majorité, Emmanuel Macron décide d’emmerder tout le monde et de dissoudre… », conclut le constitutionnaliste.

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