Pour son grand retour au Sénat, Bruno Retailleau a eu le plaisir d’accueillir son meilleur ennemi à la réunion de groupe LR. Au moment où le Sénat s’apprête à démarrer son marathon budgétaire avec l’examen du projet de loi de finances de la Sécu mercredi et celui du budget de l’Etat la semaine prochaine, Laurent Wauquiez, le patron des députés LR, était reçu par les sénateurs LR pour passer le relais. « L’objectif pour nous c’est vraiment de travailler au mieux entre le groupe de l’Assemblée nationale et du Sénat. On est totalement alignés », assure l’ancien rival de Bruno Retailleau à la présidence du parti. Avec Philippe Juvin, rapporteur du budget à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez a rappelé « la ligne commune » des sénateurs et députés de droite : « Aucune augmentation d’impôts, aucune augmentation de taxes, des économies sur la dépense. On est la seule famille politique à porter ça », a-t-il brièvement exposé à la sortie.
Signe qu’une guerre des chefs est toujours sous-jacente à droite, les deux prétendants à une candidature LR pour la présidentielle n’ont tout de même pas poussé cet esprit d’unité à s’exprimer ensemble.
Aux dires des participants, les questions qui fâchent ont été mises de côté lors de cette réunion décrite comme apaisée. Laurent Wauquiez a toutefois dû rendre des comptes sur le vote de 8 députés de son groupe en faveur d’une suspension de la réforme des retraites. « Il a indiqué qu’il avait tout fait pour amener son groupe à voter contre. Mais que certains n’avaient pas voulu se déjuger par rapport à leur vote antérieur sur une réforme qui n’était, de toute façon, pas une réforme idéale », rapporte un participant.
Bruno Retailleau dénonce « un hold-up fiscal en bande organisée »
Bruno Retailleau n’a lui pas caché ses doutes sur les chances de voir le budget voté à l’Assemblée nationale d’ici le 23 novembre à minuit. Il a dénoncé « la coalition de la gauche et du Rassemblement national pour un hold-up fiscal en bande organisée ». Le patron de la droite promet au Sénat de dégager « une ligne très visible pour l’intérêt supérieur du pays » qui consistera à voter les baisses d’impôts et la baisse de la dépense publique.
Une ligne lisible, mais antagoniste avec les amendements adoptés jusqu’ici à l’Assemblée, ce qui risque de rendre très incertaine l’hypothèse d’une commission mixte paritaire conclusive (CMP), composée de 7 députés et 7 sénateurs en charge de trouver une version commune. Et les délais contraints rendent quasi impossible une seconde lecture du budget dans les deux chambres. De quoi raviver la piste de l’article 47 alinéa 3 de la Constitution qui permet à l’exécutif de mettre en œuvre le budget par ordonnances lorsque le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours (lire notre article). « C’est soit ordonnances, soit ordonnances », résume, désabusé, un parlementaire LR.
« On ne laissera pas faire tout le sale boulot au Sénat »
« C’est la grande menace qu’on nous brandit. Mais quelle est la situation actuelle ? On a le pire déficit des 27 pays européens. La situation est catastrophique et le gouvernement a fait un deal avec la gauche pour suspendre la réforme des retraites. Il faut qu’on raisonne sur l’intérêt national et ce n’est pas creuser la dette », tonne Bruno Retailleau.
Car au groupe LR, on renvoie la responsabilité de cet échec quasi annoncé au gouvernement et à Sébastien Lecornu qui a renoncé à utiliser l’article 49.3 et les ordonnances de l’article 47 de la Constitution. Si le Premier ministre s’est justifié en indiquant vouloir « sauver la démocratie représentative » et « montrer que le Parlement « n’est pas une institution « qui ne sert à rien », la droite sénatoriale n’achète pas. « On ne se laissera pas faire. On ne laissera pas faire tout le sale boulot au Sénat. S’ils veulent des économies sur la Sécurité sociale, sur le budget, le gouvernement devra se mouiller un peu. Il ne peut pas faire porter la responsabilité d’un éventuel échec sur le Parlement », prévient Sophie Primas, l’ancienne porte-parole du gouvernement.
« On n’est pas là pour maintenir vaille que vaille le gouvernement, donner un budget pour un budget. On est là pour répondre aux besoins quotidiens des Françaises et des Français. On ne peut pas avoir une dette qui s’amplifie et ne pas êtres au niveau des 4,7 % de déficit », appuie le président du groupe LR du Sénat Mathieu Darnaud.
Comme Mathieu Darnaud, une bonne partie de sénateurs LR appelle le Premier ministre à revenir sur son engagement de ne pas utiliser l’article 49.3 de la Constitution « au moins une fois à l’Assemblée sur le vote final, en disant aux députés, c’est ça ou il n’y a pas de budget », esquisse le sénateur des Hauts de Seine, Roger Karoutchi. « Je pense que même à l’Assemblée, ils seront ravis puisque plus aucun groupe ne sait comment s’en sortir ».
« Jusqu’au-boutisme de la majorité sénatoriale »
Le patron des sénateurs PS, Patrick Kanner a bien entendu cette « petite musique selon laquelle, ce seraient, à la fin, les socialistes qui demanderaient eux-mêmes au Premier ministre d’utiliser le 49.3 ». « On reste à notre place. On ne le demandera pas », écarte-t-il. « On ne votera pas non plus pour le budget. Ce n’est pas notre budget. Ce qu’on peut espérer de notre part, c’est un vote d’abstention. Mais si la suspension de la réforme des retraites n’est pas dans la copie finale. C’est terminé », met-il en garde. Quant au risque pour le gouvernement de Sébastien Lecornu d’un vote de censure automatique de la part des socialistes, en cas de recours au 49.3, Patrick Kanner l’écarte à ce stade. « On jugera si le texte est acceptable et si les mesures positives que nous avons adoptées, sont maintenues ».
Pour ce faire, le sénateur du Nord compte sur la composition de la CMP favorable. « Est-ce que le Premier ministre sera capable de maîtriser les élus du bloc qui n’a plus grand-chose de commun. Les élus de cette plateforme de stabilité devront être capables d’apporter de la clarté au pays face au jusqu’au-boutisme de la majorité sénatoriale ».
Reste qu’en cas de recours à l’article 49.3 de la Constitution, Sébastien Lecornu sera contraint de gérer sa communication autour de ce qui s’apparentera à une rupture de sa parole donnée. « Il a dit qu’il ne retournerait pas à Matignon. Il y est retourné. Il a promis la rupture, il fait la continuité. Il peut bien revenir sur son engagement au 49.3 », ironise l’ancienne ministre, Laurence Garnier.