Ce n’est pas encore le « money time », mais on s’en approche. Alors que le Sénat est en plein examen du budget et que les députés reprennent ce mardi, en nouvelle lecture, l’examen du budget de la Sécu dans l’hémicycle, le premier ministre a de nouveau reçu les socialistes, ce lundi midi, à Matignon. Autour du premier secrétaire, Olivier Faure, les deux présidents de groupes de l’Assemblée et du Sénat, Boris Vallaud et Patrick Kanner, accompagnés des chefs de file respectifs sur le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). « On est venus en force », s’amuse l’un des membres de la délégation socialiste. Pas de jaloux, Sébastien Lecornu voit aussi l’ensemble des groupes représentés au Parlement, comme il l’a annoncé la semaine dernière.
A écouter le numéro 1 socialiste, la rencontre s’est plutôt bien passée. « Nous avons fait le tour d’horizon, ligne par ligne, avec le gouvernement. Nous pouvons dire que nous progressons, que nous sommes dans une approche qui peut permettre d’aboutir à un compromis », a lancé Olivier Faure, avant d’ajouter : « Nous n’en sommes pas encore là mais les prochaines heures nous permettrons d’apprécier. Et nous jugerons en fonction ».
Optimiste le premier secrétaire ? « Trop », lâche un parlementaire socialiste, visiblement un peu surpris de la tonalité à la sortie de Matignon, et pour qui les concessions gouvernementales restent « très floues ». De quoi étayer l’idée que le député de Seine-et-Marne serait des plus allants, au sein du PS, pour trouver un accord.
Malgré « une volonté réelle du premier ministre de trouver une voie de compromis », Patrick Kanner est « incapable de dire si on y arrivera »
Chez les participants à la réunion de ce midi, on confirme cependant avoir plutôt ressenti une certaine ouverture du premier ministre. « Le sentiment, c’est que côté gouvernement, il y a la volonté de chercher la voie du compromis. Cette volonté existe. Après, il y a le contenu du compromis », souligne la sénatrice Laurence Rossignol, qui suit en particulier le budget de la Sécu au Sénat. Le contenu, c’est un peu les petites lignes dans un contrat. Tout compte. « Il y a une volonté réelle du premier ministre et de ses ministres de trouver une voie de compromis, qui pourrait aboutir à une adoption, par les voies naturelles, du budget. Mais je suis incapable de dire si on y arrivera », affirme pour sa part Patrick Kanner, qui ajoute : « Il faut de l’espoir. Mais à ce stade, objectivement, on en est aux promesses de dons, il n’y a pas de dons encore ». Bref, comme dit le sénateur Thierry Cozic, chef de file du groupe PS sur le PLF, « il y a encore du travail. Il y a une semaine devant nous », avant le vote à l’Assemblée sur le budget de la Sécu, prévu le 9 décembre.
Une semaine avec de gros sujets. Le premier secrétaire du PS a rappelé les points importants pour les socialistes : « Que la suspension de la réforme des retraites soit maintenue, que les prestations sociales et les pensions de retraite ne soient pas gelées, que les franchises médicales ne soient pas appliquées, que toute une série de mesures, présentées comme le musée des horreurs, ne figurent pas ».
« Si le PLFSS n’aboutit pas, c’est réglé… »
Si les détails ne filtrent pas, les socialistes et le premier ministre, qui était entouré de plusieurs de ses ministres, ont pu avoir un échange franc. « On était vraiment dans la discussion à bâton rompu », assure Thierry Cozic. « Les discussions sont assez cash », confirme Laurence Rossignol.
Des discussions qui se sont surtout concentrées sur le budget de la Sécu, la première urgence. « L’absence de vote sur le PLFSS ne serait pas une bonne chose, ni pour le système de santé, ni pour les assurés sociaux », met en garde Laurence Rossignol, qui rappelle qu’« il n’y a pas de loi spéciale sur le PLFSS ». Et d’un accord, ou pas, sur le budget de la Sécu, découle la suite. « Si le PLFSS n’aboutit pas, c’est réglé… » résume un parlementaire socialiste.
Le non-recours au 49.3, « une connerie » pointée par certains socialistes
Reste une solution, qui n’a pas été évoquée ce midi, mais qui l’est depuis quelques semaines, pour sortir de la situation de blocage : le retour du 49.3. Bien que le premier ministre se soit engagé à ne pas y recourir, sur demande d’Olivier Faure, certains socialistes y ont vu en réalité, d’abord sous couvert d’anonymat, « une erreur ». Voire « une connerie. Olivier Faure pensait faire du budget un grand moment pour sa candidature », tacle un camarade socialiste.
L’idée d’un recours au 49.3 commence à être exposée plus ouvertement aujourd’hui. Boris Vallaud, à la tête des députés, qui avait quelques doutes sur le sujet, ouvre lui-même la porte dans Le Parisien, renvoyant la décision sur le locataire de Matignon. « Le 49.3 est dans les mains du premier ministre, pas dans les nôtres. L’absence de 49.3 a obligé le Parlement à débattre et à dialoguer. C’est inédit. […] Je ne suis pas président de l’amicale des constitutionnalistes, je suis président des députés socialistes. C’est pour la protection du pouvoir d’achat et des services publics que je me bats, pas contre un article de la Constitution. […] S’il n’y a pas de compromis, 49.3 ou pas, il n’y aura pas de budget », prévoit Boris Vallaud. On comprend que c’est davantage le résultat qui compte, que les moyens d’y arriver.
« Un 49.3 de compromis est la bonne méthode, qui permettrait d’intégrer le socle de mesures que nous proposons », défend le sénateur PS Rachid Temal
Au sein du PS, on a entendu François Hollande ouvrir la porte également. Le sénateur Rachid Temal ne cache pas pour sa part défendre le recours à cet article de la Constitution. « Comme je l’ai dit, si j’étais premier ministre, ce que je ne suis pas et ne serai pas, j’aurais utilisé le 49.3. Le 49.3 peut être un 49.3 de compromis. Je pense que c’est la bonne méthode, qui permettrait d’intégrer le socle de mesures que nous proposons », soutient le sénateur PS du Val-d’Oise, pour qui « ce n’est pas la méthode qui importe, c’est comment on améliore la vie des gens ». « Pour les Français, ça devient un bordel innommable. Ils ne comprennent plus rien », met en garde Rachid Temal, alors « il faut en sortir ».
Mais pour les socialistes, difficile de se dédire officiellement. Ils attendent que le premier ministre face le premier pas sur le 49.3. « J’espère encore aboutir. Après, si le Président et le premier ministre décident d’utiliser le 49.3, c’est leur responsabilité, mais ça ne sera pas à notre demande », affirmait la semaine dernière Patrick Kanner sur le plateau de Public Sénat.
« Je ne suis pas un papa qui est là pour rassurer ou inquiéter les gens, c’est juste qu’à un moment, chacun doit faire son job », lâche Sébastien Lecornu
Les tenants du recours à l’arme nucléaire parlementaire risquent, pour l’heure, d’être déçus. Interrogé en fin de journée, après une autre rencontre avec les parlementaires au ministère de la défense, Sébastien Lecornu est resté fidèle à sa ligne : « Pas de 49.3. Ce sont les parlementaires qui doivent décider d’un compromis pour le budget de l’Etat et le budget de la Sécurité sociale ».
Interrogé pour savoir s’il pouvait rassurer ses alliés LR et du bloc central, face aux concessions faites au PS, il a répondu : « Je ne suis pas là pour rassurer les gens. Les parlementaires ont du pouvoir et sont là rassurer les Français pour dire qu’il y aura bien un budget dans les temps », lance Sébastien Lecornu, avant d’ajouter, un brin remonté : « Je ne suis pas un papa qui est là pour rassurer ou inquiéter les gens, c’est juste qu’à un moment, chacun doit faire son job. […] C’est la dernière ligne droite qui doit nous permettre d’avoir un compromis ». Dans le marathon budgétaire, il faut savoir sprinter à la fin. Sans tomber.