Comme l’an dernier, elles n’y couperont pas. Alors que le traditionnel congrès de l’Association des maires de France (AMF) s’ouvre ce mardi à Paris, les collectivités vont de nouveau être mises à contribution pour l’effort de réduction de la dépense publique. Dans son projet de loi de finances (PLF), le gouvernement fixe les économies demandées à 4,6 milliards d’euros. Un niveau immédiatement dénoncé par les associations d’élus, vite relayées par les sénateurs. Comme l’an dernier, le Sénat, qui représente les collectivités par la Constitution, se fera leur porte-voix, lors de l’examen du budget 2026.
« Ces 2 milliards, on ne transigera pas dessus », prévient Gérard Larcher
Après avoir ramené, en 2024, la contribution de 5 à 2,2 milliards d’euros, la majorité sénatoriale vise cette année de limiter l’effort à 2 milliards d’euros. Et pas un de plus. « Ces 2 milliards, on ne transigera pas dessus », a prévenu au micro de Public Sénat, le 6 novembre dernier, le président LR du Sénat, Gérard Larcher. « Le Sénat dit non (aux 4,6 milliards). Pas par corporatisme, mais parce que 70 % de l’investissement dans ce pays, ce sont les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Et il ne faut pas affaiblir l’investissement public dans ce pays », a insisté le président de la Haute assemblée.
« Si ce chiffre de 4,7 milliards (les deux chiffres sont évoqués, ndlr) d’effort était maintenu, il y aurait une baisse de l’investissement de plus de 30 % », a prévenu Carole Delga, présidente PS de l’Occitanie et présidente de Régions de France.
« L’effort demandé par le gouvernement n’est pas soutenable »
Pour les sénateurs, c’est entendu. « Nous considérons que l’effort demandé par le gouvernement n’est pas soutenable », prévient ce lundi le sénateur LR du Cantal, Stéphane Sautarel, rapporteur spécial de la commission des finances sur les collectivités. « Nous proposons 2 milliards d’euros, qui nous semblent être un maximum. Mais à titre personnel, je souhaite que nous puissions réduire encore ce montant », ajoute le sénateur LR. Et les sénateurs ne sont pas prêts à couper la poire en deux. « Je ne suis pas dans une logique de marchandage. On ne demande 2 milliards pour avoir 3 milliards. On met la barre là où les choses nous semblent acceptables », prévient Bernard Delcros, président centriste de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Les sénateurs ne disent pas non à tout effort, mais interrogent son degré. « La question, c’est de savoir à quel niveau les collectivités peuvent contribuer sans mettre en péril leur équilibre financier et leurs investissements, qui sont essentiels à la vie des territoires », souligne Bernard Delcros. Le sénateur du Cantal relève au passage qu’aux 4,6 milliards d’euros demandés, il faut ajouter « d’autres charges imposées aux collectivités, comme la poursuite de la hausse des cotisations à la CNRACL (caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales), qui va coûter 1,3 milliard d’euros supplémentaires ».
« Le gouvernement a déjà réduit l’effort demandé, de 5,3 à 4,6 milliards d’euros », fait valoir l’entourage de Françoise Gatel, qui « entend la demande du Sénat »
« Il faut réduire cet effort, car les collectivités ne sont pas responsables de la situation. Leur part dans l’endettement du pays est de l’ordre de 8 % et reste stable. Et car les collectivités sont le dernier rempart, le service public du quotidien et l’investissement de nos territoires », insiste Stéphane Sautarel. Si l’ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, chargeait bien volontiers la barque des collectivités, pointant leur responsabilité dans les chiffres de la dette, le discours du gouvernement a changé de ce point de vue.
Interrogé ce lundi sur le niveau de l’effort, l’entourage de la ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, l’ex-sénatrice Françoise Gatel, rappelle que la mouture originale du budget Bayrou partait de plus haut. « Le gouvernement a déjà réduit l’effort demandé, de 5,3 à 4,6 milliards d’euros. Le premier ministre a en plus doublé le fonds de sauvegarde des départements (+ 300 millions d’euros, voir plus loin, ndlr). Nous entendons la demande du Sénat, mais tout dépendra de l’équilibre global du budget », soutient à publicsenat.fr l’entourage de la ministre. Auditionnée par le Sénat la semaine dernière, Françoise Gatel renvoyait la balle aux sénateurs : « Il appartient au Parlement de faire son travail de discussion, de rééquilibrage, dans un contexte général où notre objectif est le redressement ».
Premiers gestes de Sébastien Lecornu
Face à la bronca des élus, le premier ministre s’est en effet déjà montré prêt à faire des gestes. D’abord à l’occasion du congrès des régions de France, le 6 novembre. Lors d’une réunion à huis clos, Sébastien Lecornu s’est engagé à limiter l’effort des collectivités, sans qu’on n’en connaisse les détails, sauf sur des « compensations » pour le financement de places de formations d’infirmiers notamment.
Une semaine plus tard, devant le congrès de l’Assemblée des départements de France cette fois, nouvelle concession : le fonds de sauvegarde sera porté de 300 à 600 millions d’euros. Quant au Dilico, le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités, le nombre de départements ponctionnés devraient être réduits.
« On essaie de limiter au maximum les contributions des départements »
« C’est un premier pas de fait », reconnaît Stéphane Sautarel, mais insuffisant à ses yeux. « On essaie de limiter au maximum les contributions des départements », explique le sénateur LR. D’autant que « les départements sont les plus concernés par les dépenses subies, notamment les dépenses sociales, celles qu’elles ne maîtrisent pas, ne pilotent pas », ajoute Bernard Delcros.
Mais les sénateurs n’oublient pas évidemment le niveau le plus local. « On veut limiter au maximum la contribution des communes, c’est le socle de base de notre organisation territoriale », soutient Stéphane Sautarel. Reste « les régions, qui elles, auront, avec l’intercommunalité, forcément une contribution qui sera un peu plus conséquente, car la situation des régions est un peu moins inquiétante. Mais on va demander de garder la dynamique de la TVA pour elles, plutôt qu’un retour de la dotation globale de fonctionnement (DGF) », précise le sénateur LR.
Limiter l’effort sur la compensation des valeurs locatives industrielles
Dans le détail, la majorité sénatoriale a plusieurs amendements dans sa besace, en vue de l’examen du rapport de Stéphane Sautarel en commission des finances, mercredi. Alors que le gouvernement veut réduire « la compensation des valeurs locatives industrielles », pour un montant de « 1,2 milliard d’euros », « nous allons la réduire de plus de la moitié », nous annonce le rapporteur spécial de la commission des finances.
« C’est une piste étudiée, mais cette dépense a explosé et atteint 4,5 milliards en 2025. Toute évolution devra tenir compte de cet impératif », fait-on cependant remarquer dans l’entourage de Françoise Gatel.
« Essayer de trouver un terrain d’atterrissage »
Sur le Dilico, système de prélèvement sur les collectivités, avant que les sommes leur soient restituées, et dont le gouvernement veut changer les règles, Stéphane Sautarel souligne que le nouveau système « ne garantit pas le retour vers les collectivités ». Les sénateurs « maintiennent que c’est un dispositif d’épargne forcée, dont on a l’assurance d’un retour vers les collectivités dans les 3 ans », précise le sénateur LR. En volume, « le gouvernement propose 2 milliards d’euros. Nous voulons que ce soit inférieur à 1 milliard d’euros », ajoute le sénateur du Cantal. Dans l’entourage de la ministre, on souligne que « le Dilico s’inscrit dans une copie globale mais le premier ministre a demandé des ajustements. La ministre y travaille en lien avec les parlementaires », confirme-t-on.
Stéphane Sautarel est en discussion avec les équipes de Françoise Gatel, de Bercy et de Matignon « pour essayer de trouver un terrain d’atterrissage ». Mais pour faciliter un rapprochement des points de vue et montrer sa bonne volonté, la majorité sénatoriale, qui défend globalement des économies, entend compenser sur d’autres missions. « L’idée, c’est que ce qui ne serait pas économisé par les collectivités, on le trouve sur d’autres postes de dépenses. On pourrait aller plus loin pour rester à l’objectif de 4,7 % de déficit public », explique Stéphane Sautarel, qui pointe la « création de 8000 postes » de fonctionnaires au total dans le budget, et évoque les économies sur « les agences », ou les missions « jeunesse, vie associative, recherche ou culture. Il y a un toilettage de toutes les missions ».
« Je suis déterminé à me battre pour rétablir la DETR, qui permet de financer des équipements », prévient Bernard Delcros
Autre mesure dans le collimateur des sénateurs : la fusion de plusieurs dotations d’investissement – DETR, DSIL et DPV – en un seul et nouveau dispositif, le fonds d’intervention territoriale (FIT). Une disparition de la DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) qui passe très mal pour Bernard Delcros. « Je suis déterminé à me battre pour rétablir la DETR, qui permet de financer des équipements », prévient le sénateur du Cantal, département rural. « Absolument contre » l’idée de « diluer » la DETR dans ce nouveau fonds unique, le président de la délégation note qu’« au passage », le gouvernement réalise une économie de « 200 millions d’euros » dans l’opération. Il ajoute : « La DETR, c’est une dotation qui marche bien, qui est connue, appréciée des élus. Pourquoi casser ce qui marche bien, sous prétexte de simplification ? » Mais Bernard Delcros a bon espoir d’être entendu. « Je pense qu’on arrivera à sauver la DETR », confie le sénateur du groupe Union centriste.
Du côté du gouvernement, on ne ferme pas la porte. « La DETR n’est pas supprimée : elle est intégrée au FIT. Son montant est préservé à 1 milliard d’euros, ce qui est une preuve de confiance dans la ruralité, surtout en fin de cycle électoral. Le FIT est une simplification demandée par les élus, pas une remise en cause de la DETR, mais le débat aura lieu au Parlement. Tout est ouvert », fait savoir l’entourage de Françoise Gatel.
Globalement, Bernard Delcros se rassure en se rappelant le parcours de Sébastien Lecornu. « Le premier ministre a longtemps été président de département, élu local. Il connaît bien la question des collectivités », souligne le centriste. On verra si le locataire de Matignon, qui a aussi été élu sénateur en 2020, saura se le rappeler.