Alors que le gouvernement vient de recourir au 49.3 à l’Assemblée sur le budget de la Sécurité sociale, six jours après le rejet du texte par les députés en commission, les sénateurs se préparent à l’examen de ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. La commission des affaires sociales du Sénat a ainsi auditionné ce jeudi le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau.
Le budget de la Sécu sera de nouveau en déficit, avec 8,8 milliards d’euros prévus en 2023 (contre 19,7 en 2022). Le déficit se réduit car le covid-19 est derrière nous. Mais il devrait repartir à la hausse en 2024 avec une estimation de 11,2 milliards d’euros de déficit.
« Le contexte global est celui de la dégradation du déficit de la branche maladie »
« Le contexte global est celui de la dégradation du déficit de la branche maladie, même si on est passé de 21 milliards d’euros en 2022 à 9 milliards d’euros en 2023 de déficit », a souligné Aurélien Rousseau, qui remarque que « 9 milliards de déficit sur 255 milliards, le jour où l’Etat sera à ce ratio sur son déficit, c’est qu’il aura lui-même nettement progressé ».
L’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie progressera de 3,2%, « ce qui fait une progression des moyens de l’ordre de 8 milliards d’euros. Donc on est loin d’une trajectoire austéritaire », soutient le ministre. De quoi financer la médecine de ville (+3,5%) et les mesures salariales pour les professionnels de santé. Reste que « c’est un montant assez vertigineux, car pour la première fois, l’Ondam va dépasser 250 milliards d’euros », relève Corinne Imbert, sénatrice (apparentée LR) de Charente-Maritime.
« On a un sujet de pertinence aussi dans la délivrance des médicaments à l’hôpital »
Mais ce PLFSS se fait aussi à l’heure des économies. Dans la branche maladie, elles seront de « 3,5 milliards d’euros, par rapport au tendanciel » afin de « modérer la progression et la dynamique de certaines dépenses », via des baisses de dépenses pour les médicaments, les laboratoires d’analyse ou encore les arrêts maladie. Autrement dit, on limite la hausse des dépenses, mais les déficits continuent.
Des économies qui passent notamment via des baisses de dépenses pour les médicaments, les laboratoires d’analyse ou encore les arrêts maladie. Le ministre appelle à « des efforts d’efficience et de pertinence, tant pour les soins de ville, (…) que pour l’hôpital. J’assume de dire que oui, on a un sujet de pertinence aussi dans la délivrance des médicaments à l’hôpital, ça ne fait pas de doute, et des efforts de responsabilité des assurés », via notamment la piste « des franchises médicales ». Il appelle ainsi à la « responsabilité de tous les acteurs ».
Sur cette question – sensible – des franchises médicales, avec l’idée d’un doublement du reste à charge pour les assurés pour les médicaments (50 centimes par boite) et les consultations (1 euros), qui est mise sur la table par l’exécutif, Aurélien Rousseau considère que « ce sujet peut être mis en œuvre. Mais on ne peut pas le faire sans être allé au bout de l’examen et des débats, y compris sur le PLF. (…) La mesure a quatre mois pour être mise en œuvre, on l’a expertisée. Elle est prête mais la décision sera prise à l’issue du débat parlementaire. Et en effet, c’est une responsabilité du pouvoir réglementaire », explique le ministre, qui ne souhaiterait pas que ce soit « considéré comme une mesure pour faire la poche des gens ».
Globalement, Aurélien Rousseau souhaite « pousser à la responsabilisation dans la prescription ». Toujours sur les médicaments, le ministre évoque une autre piste d’économie : « On est sans aucun doute au stade où la question du remboursement des médicaments au faible intérêt médical, les remboursements à 15%, doit être ouverte ».
Sur la fraude, « on a un sujet sur les professionnels de santé aussi »
Le gouvernement entend s’attaquer aussi à la fraude, et pas uniquement celle des assurés. « On a un sujet sur les professionnels de santé aussi », soutient Aurélien Rousseau, « ça se travaille dans le cadre conventionnel essentiellement ». Et de prendre un exemple : « Quand vous avez 1000 patients qui font exactement le même parcours, on peut se dire que vous avez quelque chose, avec le même généraliste qui renvoie vers le même spécialiste et que c’est traité par le même pharmacien. Il y a quelque chose qui doit se repérer, pour aller voir ce qu’il se passe ».
Pour limiter les indemnités journalisées, en forte hausse, le texte prévoit à son article 27 de renforcer les contrôles des médecins et des employeurs par l’Assurance maladie et d’accentuer les sanctions, pour limiter les abus. Le versement des indemnités pourrait être suspendu, suite au rapport du médecin contrôleur. « L’article 27 est un héritant, ça ne fait pas de doute. Mais c’est aussi un symbole un peu fort de dire qu’on remet cette notion de contrôle », défend le ministre.
Interrogé par la rapporteure générale du budget de la Sécu, la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, sur « l’extension » des taxes comportementales « aux produis sucrés ou contenant des additifs nocifs pour la santé », alors que ces taxes ne portent que « sur les boissons sucrées et édulcorées », pour des recettes de 600 millions d’euros en 2022, le ministre s’y est montré ouvert. « Sur la fiscalité nutritionnelle, moi je suis très preneur des propositions qui seront faites ici », affirme Aurélien Rousseau, défendant de « maintenir le caractère volontaire » du nutri-score, « car les industriels le portent et se sont engagés ».
« Rendre irréversible ce virage de la prévention »
Ce PLFSS porte un autre « grand objectif » : « Rendre irréversible ce virage de la prévention », lance le ministre de la Santé. Le texte prévoit « la vaccination contre les infections liées au papillomavirus, pris en charge à 100%, la gratuité des préservatifs pour les moins de 26 ans, la prise en charge des protections menstruelles réutilisables pour les moins de 26 ans et les plus précaires, ou le dispositif sur l’activité physique adaptée ». Le ministre évoque aussi « la médecine prédictive », « le traitement anticipé du cancer, où des choses exceptionnelles se passent ».
Point important : le Budget de la Sécu « organise la réforme du financement des établissements de santé, en mettant fin au caractère central de la T2A », la tarification à l’activité, accusée d’être l’une des causes des difficultés de l’hôpital.
Le ministre de la Santé s’est enfin exprimé sur un sujet sensible politiquement. Celui de l’aide médicale d’Etat, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Dans le cadre de l’examen du texte immigration, qui débute au Sénat, la majorité sénatoriale a déjà supprimé en commission l’AME, pour la transformer en aide médicale d’urgence. Pour Aurélien Rousseau, c’est clairement une mauvaise idée (voir notre article pour plus de détail). « Je pense que l’aide médicale d’Etat est un dispositif indispensable, que c’est un dispositif de santé publique », a-t-il défendu, alors que son collègue de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est dit favorable à la suppression de l’AME, voulue par les LR…