Ce sera quitte ou double. A la veille de l’heure de vérité, l’incertitude reste totale quant à l’issue du vote sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), prévu mardi à l’Assemblée nationale. L’adoption du volet « recettes » vendredi, au prix de quelques compromis (la réduction de l’assiette de la hausse de la contribution sociale généralisée sur le patrimoine et l’abandon du doublement des franchises médicales), a, sans nul doute, donné une bouffée d’air au Premier ministre. Un obstacle de franchi, certes, mais qui ne garantit en rien un dessein similaire pour la partie « dépenses » du PLFSS, ni pour le texte dans son entièreté. Point de toutes les crispations : la suspension de la réforme des retraites, introduite par les députés, retoquée par le Sénat, puis rétablie par la Chambre basse dans la nuit du 6 au 7 décembre.
De tous bords de l’échiquier politique, le suspense est à son comble. Y compris au sein du socle commun, pourtant censé aller dans le sens de l’exécutif, mais qui avance de plus en plus désuni. Chez Horizons, les députés philippistes oscillent entre un bulletin négatif et une abstention. Même tendance au sein des Républicains, où Bruno Retailleau, s’agaçant d’un « hold-up fiscal » sur BFMTV dimanche, a sommé ses troupes de ne pas voter pour le PLFSS. A gauche, le ciel n’est pas plus dégagé : si le PS, par la voix d’Olivier Faure, a prié les élus de sa formation de soutenir un texte « de compromis », au micro de BFMTV ce matin, les Ecologistes laissent encore planer le doute, réclamant de meilleures garanties en termes de dépenses de santé. Un amendement visant à augmenter l’Ondam devrait être introduit par le gouvernement à ces fins, l’enjeu étant de ne pas fâcher davantage les 70 élus de la droite (41 Droite Républicaine, 29 Horizons & Indépendants), tout en persuadant les 38 Verts de s’abstenir. De leur côté, le Rassemblement national et la France insoumise devraient, sans surprise, faire bloc contre le budget de la Sécurité sociale. Rien de rassurant pour Sébastien Lecornu et ses ministres, qui s’évertuent à alerter sur les risques de ne pas parvenir à doter la France d’un PLFSS d’ici le 31 décembre.
Après une première lecture des deux Chambres, au cours de laquelle l’Assemblée n’avait pas eu le temps de se prononcer sur l’ensemble du texte, et qui s’est soldée par l’échec – prévisible – de la commission mixte paritaire (CMP) fin novembre, la navette parlementaire a recommencé. Une nouvelle lecture s’est ouverte début décembre au palais Bourbon, à partir de la copie du Sénat. Sans possibilité d’y ajouter des articles additionnels, mais simplement de rétablir ceux ayant été supprimés, selon la règle de l’entonnoir (voir notre article explicatif). Malgré des négociations acharnées, le chemin peine toujours à se libérer pour aboutir à un accord. Dans certains cas d’impasse législative, la procédure constitutionnelle prévoit le droit pour le gouvernement de donner le dernier mot aux élus du palais Bourbon, selon certaines conditions. Qu’en serait-il si les députés venaient à rejeter le PLFSS dans son ensemble ?
Le dernier mot pour l’Assemblée : oui, mais sur quel texte ?
A l’instar de toute cette séquence budgétaire inédite, la possibilité pour l’exécutif de laisser le dernier mot à l’Assemblée nationale ne met pas tout le monde d’accord. L’article 45 de la Constitution anticipe : « Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent [ndlr : à la suite de la soumission du texte élaboré par la CMP pour approbation aux deux Chambres], le gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement ». Et deux scénarios sont envisagés : « L’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ». Le premier n’est plus envisageable compte tenu de l’issue négative de la CMP, et le deuxième, lui, soulève une « ambiguïté sur le terme ‘voté’ », explique le constitutionnaliste Benjamin Morel. Pour ce dernier, ceci implique que « le texte ait été adopté par l’Assemblée », tandis que le docteur en droit public, Thibaud Mulier, avance que « la mise aux voix » est suffisante. En d’autres termes, que les députés aient voté, peu importe que le projet de loi ait été adopté ou non. Cette différence d’interprétation laisse en suspens la suite de la procédure relative au budget de la Sécurité sociale, si les députés rejettent le PLFSS mardi.
Dans l’hypothèse où le dernier mot serait envisagé, la Chambre basse pourrait être amenée à statuer définitivement sur « le texte mis aux voix devant elle, enrichi d’amendements adoptés dans sa nouvelle lecture par le Sénat, sous réserve de l’entonnoir, et possiblement d’amendements techniques du gouvernement », analyse Thibaud Mulier. « Ce serait une voie de recours assez intéressante pour l’exécutif si demain le PLFSS est rejeté à peu de voix, il pourrait introduire quelques dispositions qui permettraient de faire basculer le vote », estime le constitutionnaliste.
Mais si l’article 45 n’est pas applicable, comme le considère Benjamin Morel ? « Il faudrait repartir sur une nouvelle lecture totale », répond-il. « Au Sénat d’abord, avec comme base, le texte qu’il a produit fin novembre, qu’il pourrait recuisiner. Ensuite, la copie serait envoyée à l’Assemblée, qu’elle pourrait aussi retravailler. Puis, elle retournerait au Sénat, avant que l’Assemblée puisse être sollicitée par l’exécutif pour donner le dernier mot », déroule-t-il. Une option, somme toute, assez utopique pour espérer parvenir à un accord sur le budget de la Sécurité sociale d’ici le 31 décembre.
La loi spéciale : l’unique solution ?
Sans recours au 49-3, engagement de Sébastien Lecornu, auquel il ne paraît vouloir renoncer, l’atterrissage des textes budgétaires semble de plus en plus périlleux. « C’est franchement assez illisible, j’ai du mal à y croire », relève Benjamin Morel. « Cela étant, rien n’empêche d’imaginer le Premier ministre tenir sa promesse jusqu’à la fin de l’année, avant de rétropédaler l’année prochaine, avec l’impératif calendaire des élections municipales ». La voie des ordonnances est elle aussi laissée de côté par l’exécutif, pour l’heure, « et surtout, elles ne peuvent être employées que s’il n’y a pas eu de rejet définitif par le Parlement », rappelle Thibaud Mulier.
A partir du 19 décembre, une issue par loi spéciale risque de s’imposer pour le projet de loi de finances, repoussant le problème au mois de janvier. Néanmoins, cette « rustine temporaire », ne concerne pas le PLFSS, insiste Benjamin Morel, notant cependant qu’une loi spéciale de finances peut introduire l’autorisation d’emprunt pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ce qui avait été prévu par celle de décembre 2024. Et que faire si le budget est adopté mais pas celui de la Sécurité sociale, excluant toute loi spéciale ? « Comme le PLFSS survient avant le PLF, on pourrait envisager d’ajouter une disposition sur les avancées de trésorerie de la Sécurité sociale directement dans le PLF, sur le même modèle que la loi spéciale de l’an passé, sous réserve de possibilité contentieuse », imagine Thibaud Mulier. Bref, un énième casse-tête constitutionnel.