La chasse aux économies se poursuit au palais du Luxembourg, où a atterri le projet de loi de finances de la sécurité sociale la semaine dernière. Nouvelle piste des sénateurs centristes : mettre un terme au remboursement et à la participation financière de l’assurance maladie de soins « se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques », sous couvert de « la cohérence scientifique » et de « l’efficience des dépenses ». Un amendement en ce sens, soutenu par une dizaine d’élus, a été déposé le 16 novembre, il devrait être débattu en séance publique dans les jours à venir.
Consacrer « les financements publics à des soins dont l’efficacité est reconnue »
« Grande Cause nationale 2025 » certes, mais à quel prix ? Le président de la République a fait de la santé mentale, en début d’année, un enjeu majeur de santé publique, axant l’action gouvernementale sur la lutte « contre le manque d’information et la stigmatisation des troubles mentaux ». Depuis 2022, le dispositif « Mon soutien psy », lancé par Emmanuel Macron, promet un accès facilité aux soins psychologiques, grâce au remboursement d’un nombre limité de séances auprès de professionnels conventionnés, pour des patients souffrant de troubles psychiques légers à modérés. Selon un premier rapport remis par le gouvernement au Parlement fin mars, près de 600 000 Français ont déjà eu recours à cet outil.
Cependant, « dans un contexte budgétaire contraint », onze sénateurs centristes estiment « légitime que la solidarité nationale concentre son effort sur les prises en charge dont l’efficacité est démontrée et évaluée ». L’amendement soutient que « les soins fondés sur la psychanalyse, en particulier lorsqu’ils s’appliquent aux troubles du neuro-développement, aux troubles anxieux ou dépressifs et aux affections psychiatriques chroniques, ne disposent aujourd’hui d’aucune validation scientifique ni d’évaluation positive du service médical rendu par la Haute Autorité de santé ». Sans remettre « en cause la liberté de choix des patients ni la liberté de pratique des professionnels », « il se borne à mettre fin au financement public de la pratique, quels que soient les dispositifs de financement : Mon Soutien Psy, centres médico-psychologiques, etc », à compter du 1er janvier 2026.
A l’origine de cette proposition, la sénatrice de l’Essonne Jocelyne Guidez défend un amendement fondé sur « de nombreux témoignages de parents que j’ai reçus et qui ont subi des dérives de thérapies psychanalystes, pour leurs enfants atteints d’autisme ou de TDAH [ndlr : trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité] ». « Ces dérives, je trouve ça honteux, c’est scandaleux. Faire de la psychanalyse pour ces enfants, ça ne sert à rien », déplore-t-elle. Loin d’être « contre les psychologues », elle précise : « Je serais d’ailleurs favorable à ce qu’ils soient considérés pleinement comme des professionnels de santé, et qu’on mette plus de moyens derrière eux, à condition qu’ils s’inscrivent dans une démarche scientifique, ce qui n’est pas le cas de la psychanalyse ». Et d’ajouter : « Je suis pour qu’on s’attaque davantage à la santé mentale, en consacrant les financements publics à des soins dont l’efficacité est reconnue ».
Un « amendement idéologique et déconnecté des réalités du terrain »
La levée de boucliers au sein des collectifs et syndicats de psychologues et de psychiatres ne s’est pas fait attendre. Fustigeant un « amendement idéologique et déconnecté des réalités du terrain », du côté de l’association M3P, et « d’une extrême gravité pour le soin », pour le Syndicat national des psychologues (SNP), ils s’inquiètent d’une « standardisation » des prises en charge, dans « une logique de performance budgétaire ». Et d’abonder : « Il appartient aux parlementaires de faire la loi, mais il appartient aux professionnels du soin de déterminer les méthodes pertinentes dans leur champ. […] Proposer un amendement d’une telle portée sans consulter les organisations professionnelles est inacceptable. […] Nous appelons les sénateurs à ne pas créer une psychothérapie d’Etat pour des motifs idéologiques ». Lancée dans la foulée du dépôt de l’amendement, une pétition du SNP, défendant une pluralité des approches, rassemble déjà près de 50 000 signatures ce mercredi 19 novembre.
De nature plutôt « discrète », Jocelyne Guidez s’étonne : « Je n’ai jamais voulu faire autant de buzz ». D’ailleurs, « personne n’osait déposer un tel amendement », « mais je ne suis pas la seule », assure-t-elle. Interrogée par Public Sénat sur les réactions enflammées des professionnels, elle temporise : « Ce sont surtout les comités freudiens qui sont montés au créneau. […] Et certains psychiatres m’ont appelée pour me dire que j’avais raison ». De quoi tout de même « faire un peu peur aux sénateurs », qui débattront de l’amendement en séance publique prochainement. Plusieurs contactés, parmi ceux le soutenant, ne préfèrent d’ailleurs pas se prononcer. L’un concède : « L’exposé des motifs est peut-être mal fait ». « A gauche ils seront complètement contre », anticipe la sénatrice centriste, mais des LR lui ont dit qu’ils « le voteraient ». Elle ne se fait toutefois pas trop d’illusion quant à l’avenir de cette proposition : « Très peu seront pour, mais ce n’est pas grave. C’est un amendement d’appel, pour qu’on puisse ouvrir la discussion ».