Budget : début de l’examen au Sénat, qui se voit en « véritable lanceur d’alerte des dégâts budgétaires »
Après le rejet du texte par les députés, les sénateurs examinent à leur tour le budget 2026, marqué par le contexte d’instabilité politique. La majorité sénatoriale de droite et du centre entend aider les entreprises et les collectivités, tout en diminuant les budgets de plusieurs ministères pour renforcer les économies. Le ministre de l’Economie, Roland Lescure, se dit « persuadé qu’un compromis » reste encore « possible », malgré les antagonismes.
« De la patience, il en faut pour réussir à suivre ce marathon budgétaire ». Le sénateur socialiste Thierry Cozic n’a pas tort. Les élus de la Haute assemblée ont donné, ce jeudi, le coup d’envoi de l’examen du budget 2026 au Sénat. Après les péripéties de l’Assemblée, qui a rejeté à la quasi-unanimité la partie recettes et donc le projet de loi de finances (PLF), où plusieurs nouvelles taxes avaient été adoptées, les sénateurs s’emparent à leur tour du texte.
« Pourquoi pas – on peut toujours rêver – parvenir à une CMP conclusive »
Mais alors que la Haute assemblée commence seulement ses deux semaines et demie d’examen, avec un vote final prévu le 15 décembre, jamais un échec n’a semblé aussi probable au bout de la procédure, mettant d’autant plus la pression sur la majorité sénatoriale, qui entend marquer le texte de son empreinte (lire ici les détails des mesures). « L’arrivée du PLF pour 2026 s’apparente pour nos territoires et notre économie à l’arrivée de l’été austral à La Réunion. On sait qu’il va faire chaud et que ça va être intense », préfère encore en sourire Stéphane Fouassin, sénateur de l’île de l’océan indien, apparenté au groupe RDPI (Renaissance).
Malgré les vents contraires, les ministres de Bercy se sont succédé à la tribune pour continuer à appeler à la recherche d’une voie de passage. Pour Roland Lescure, « le temps du compromis est arrivé, le temps nous est compté », se disant « persuadé qu’un compromis est possible et nécessaire ». Et « pourquoi pas – on peut toujours rêver – parvenir à une CMP conclusive ». Rappelant que « le Sénat a l’habitude » de trouver de tels accords transpartisans, il insiste :
L’heure est grave. On est dans un moment où nous devons tous chercher nos lignes de convergence.
Roland Lescure, ministre de l'Economie.
Sans budget voté, « nous n’aurions pas les moyens de soutenir les viticulteurs »
Sa collègue Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, veut croire qu’il existe « une majorité, non pour soutenir notre gouvernement, mais pour donner une base de stabilité à notre pays ». Alors que le recours à une loi spéciale est de plus en plus évoqué, en cas d’échec sur le budget, elle alerte sur les conséquences concrètes pour les Français : « Concrètement, pour l’agriculture, ça signifierait que nous n’aurions pas les moyens de soutenir les viticulteurs dans la crise qu’ils traversent, pour les collectivités, c’est l’interruption de l’investissement de l’Etat pour les communes et les régions, pas de soutien aux départements, pourtant tant en difficulté », ou encore « pour la défense, un retard dans nos investissements et l’équipement de nos forces, alors que la guerre est à nos portes ».
Avec l’objectif d’être « bien en dessous des 5 % de déficit », a rappelé Roland Lescure, alors que l’exécutif visait à l’origine 4,7 %, la ministre des Comptes publics a résumé quelques grands axes du budget : dépenses de l’Etat et opérateurs gelés, avec des ministères, hors défense, qui « vont réaliser des économies significatives », stabiliser dans le PIB les dépenses de santé, soit « les faire croître à la hauteur des moyens que nous pouvons y consacrer » et stabiliser celle des collectivités, à qui le gouvernement demande un effort de 4,6 milliards d’euros.
Jean-François Husson accuse Bruno Le Maire d’avoir « menti à la représentation nationale »
Pour la majorité sénatoriale, le rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson, a d’abord cherché à remettre les choses en perspective. « Comment en est-on arrivé là ? » demande le sénateur de la Meurthe-et-Moselle. Renvoyant aux travaux de la mission d’information qu’il a menée sur les causes du dérapage des comptes fin 2023/2024, il a de nouveau directement mis en cause l’ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Il pointe ses contradictions entre ses propos tenus lors de son audition, où il avait minimisé la responsabilité de l’exécutif, et le courrier qu’il a écrit, à l’automne 2023, pour « alerter » Emmanuel Macron sur « les risques de dérives de nos comptes ». « Il est temps de dire les choses : le gouvernement a alors menti à la représentation nationale. Il n’a alors sciemment pas dit la vérité », accuse Jean-François Husson, qui parle de « mensonges » (voir la vidéo). Il ajoute : « Malheureusement, nous n’en finissons pas de payer les pots cassés de cette funeste dérive ».
Présentant « le Sénat en véritable lanceur d’alerte des débats budgétaires, depuis de nombreuses années », Jean-François Husson affirme que « pour 2026, nous exercerons une loyauté exigeante ». Alors que les LR ont officiellement quitté le gouvernement, bien que certains de ses membres y soient toujours, les sénateurs LR ont pris sérieusement leur distance avec le socle commun, certains estimant ne plus en faire partie.
Le groupe LR veut supprimer « la plateforme pour l’inclusion ou l’Agence bio, sans jamais remettre en cause les crédits d’intervention »
Si elle veut garder la cible de 4,7 % de déficit, la majorité sénatoriale prévoit « 4 milliards d’euros d’allègement de fiscalité des entreprises », en supprimant la prolongation de la surtaxe d’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises, « acceptée l’an dernier uniquement comme mesure d’urgence ». Le rapporteur présentera une série d’amendements pour limiter le champ de la taxe sur les holdings pour qu’elle ne « pèse pas sur les activités opérationnelles des entreprises », pour supprimer la taxe plastique ou supprimer la surtaxe sur l’IFER photovoltaïque. Côté collectivités, le Sénat ramènera l’effort demandé de 4,6 milliards à 2 milliards d’euros (lire notre article pour les détails). Si la majorité sénatoriale s’oppose aux concessions faites aux PS à l’Assemblée, Jean-François Husson espère malgré tout « donner un budget à la France, et pour la France, avant le 31 décembre ».
La sénatrice LR Christine Lavarde, qui avait été rapporteure de la commission d’enquête sur les agences, assure que le groupe LR « traduira en acte » cette volonté de réduire leur poids, « avec l’extinction de plusieurs structures, […] telles que Les entreprises s’engagent, le pass culture, le secrétariat général pour l’investissement, la plateforme pour l’inclusion ou l’Agence bio, sans jamais remettre en cause les crédits d’intervention ». L’an dernier, lors du passage du PLF au Sénat, la droite sénatoriale avait déjà tenté de supprimer l’Agence bio.
« Les classes moyennes et les retraités ne doivent pas être systématiquement les dindons de la farce »
Pour le groupe Union centriste, allié des LR dans la majorité sénatoriale, le sénateur Vincent Capo-Canellas entend « montrer qu’on peut faire différemment que cette collection de taxes et d’impôts » votés par les députés. « Nous sommes constructifs, mais aussi vigilants sur le contenu de la copie finale », assure le sénateur UDI de Seine-Saint-Denis, qui appelle à « faire des efforts, mais avec progressivité et discernement. Les classes moyennes et les retraités ne doivent pas être systématiquement les dindons de la farce, en tout cas, se faire plumer ».
Le sénateur Horizons Emmanuel Capus, membre du groupe Les Indépendants, voit dans la période un parallèle avec « celle de 1936 » et la montée des périls. Son président de groupe, Claude Malhuret, ironise sur le texte sorti de l’Assemblée, « devenu un monstre ». Et de lancer :
On pense au tube digestif d’un bébé glouton, avec un appétit féroce à l’entrée et à l’autre extrémité, une irresponsabilité absolue.
Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants.
« Un ruissellement qui ne fut qu’un mirage et qui fait désormais pleuvoir les inégalités »
En face, les oppositions fourbissent leurs amendements. A commencer par les socialistes, dont les députés sont la clef pour une éventuelle adoption – pour le moins improbable pour le moment – du budget. « Nous serons cohérents avec ce que nos collègues de l’Assemblée ont adopté », prévient Thierry Cozic, chef de file des sénateurs PS sur le PLF. Si les socialistes sont prêts à trouver des compromis, ce ne sera pas à n’importe quel prix, prévient cependant le sénateur PS de la Sarthe : « Le groupe PS sera toujours un acteur de la stabilité, mais pas au prix de devenir l’idiot utile de la continuité ».
Pour Thierry Cozic, il est aussi « temps de faire le bilan de cette sacro-sainte politique de l’offre, avec un ruissellement qui ne fut qu’un mirage et qui fait désormais pleuvoir les inégalités ». S’il vise ici Emmanuel Macron, le président PS de la commission des finances, Claude Raynal, rappelle pour sa part que le Haut conseil des finances publiques « nous a confirmé que l’intégralité de l’effort structurel du budget Barnier, revu par Bayrou, provenait des hausses d’impôts, sans que cela n’émeuve particulièrement ceux qui étaient alors membres du gouvernement, et qui ont depuis quitté ces bancs… » Un message envoyé à ses collègues LR qui, on l’a vu, stigmatisent par principe quasiment toutes hausses d’impôts.
« Des rationnements de la population, pour des subventions pour l’industrie de l’armement »
Le groupe communiste (CRCE-K) a tenté, en vain, de mettre fin aux débats par une question préalable. Pointant les « arrangements erratiques » et « les faux-semblants entre la majorité sénatoriale et le gouvernement », le sénateur PCF Pascal Savoldelli a dénoncé un « projet de budget illégitime, car minoritaire ». Pour le sénateur du Val-de-Marne, ce PLF vise en réalité « des rationnements de la population, pour des subventions pour l’industrie de l’armement ».
Son collègue communiste, Pierre Barros, a pointé les « 200 milliards d’euros d’aides publiques accordées aux entreprises sans contreparties et sans contrôle », et « si on se tient au PLF, 88 milliards de dépenses fiscales dont 26 milliards au sens strict et 7 milliards d’euros de subventions directes ».
« La question climatique n’est pas une option »
Le sénateur du groupe écologiste, Grégory Blanc, a souligné que « la question climatique n’est pas une option. Les mouvements de sol sont là. Les feux et inondations sont là. Demain, tout cela coûtera plus cher à tous », met en garde le sénateur du Maine-et-Loire. Dénonçant un budget « sans aucune ligne directrice que la courbe du déficit », il pointe « un budget autruche, la tête enfouie dans le sable, refusant les réalités du monde ».
Aymeric Durox, l’un des trois sénateurs RN, pointe une « faillite morale et politique », avec des « Gaulois réfractaires qui n’acceptent plus d’être tondus, pour faire vivre un système à bout de souffle, qui est désormais en état de mort clinique ». « Vos manœuvres indignes n’auront fait que retarder l’échéance que les Français attendent, comme en témoignent les sondages pour la présidentielle. Oui, les Français attendent et veulent le programme du RN et nous sommes d’ailleurs aux portes du pouvoir », soutient le sénateur d’extrême droite, reprochant au gouvernement de « refuser » de s’« attaquer à l’immigration et aux clandestins », aux « fraudeurs » ou à « l’Etat mammouth ».
« L’avenir de ce budget est un grand point d’interrogation »
Pour le groupe RDSE, le sénateur Christian Bilhac note que « nombreux sont ceux qui préfèrent capitaliser sur l’instabilité actuelle pour préparer les échéances à venir ». « L’avenir de ce budget est un grand point d’interrogation », résume Claude Malhuret, « mais les raisons d’aboutir sont nombreuses », veut croire le sénateur Horizons de l’Allier, qui pense à la nécessité de « donner les moyens aux armées ». Les Français doivent, eux, s’armer de patience, face au caractère inédit, et parfois incompréhensible, des débats budgétaires dans ce contexte hors norme.
Après la publication d’un rapport de la droite sénatoriale destinée à lutter contre l’entrisme islamiste, plusieurs responsables culte musulman ont adressé une lettre ouverte à Gérard Larcher pour dénoncer « une instrumentalisation politique de leur pratique culturelle ».
Face aux menaces russes et à la mise en garde du chef d’état-major, Emmanuel Macron accélère la création d’un service national militaire volontaire. Si les sénateurs reconnaissent l’urgence stratégique, ils pointent une annonce précipitée, sans débat public ni concertation parlementaire, et des financements jugés peu crédibles.
A quelques instants de l’ouverture de l’examen du projet de loi de finances au Sénat, la majorité sénatoriale prévoit, comme promis, de couper dans la copie déposée par le gouvernement pour trouver de nouvelles pistes d’économies, au grand dam des élus de gauche.
Alors que le Sénat démarre l’examen du budget ce jeudi, la délégation aux entreprises organisait une table ronde avec les représentants du patronat. L’occasion pour Patrick Martin, président du Medef de mettre en cause certaines données qui circulent dans le débat public notamment le chiffre de 211 milliards d’aides aux entreprises issu d’une commission d’enquête de la chambre haute.
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Le Sénat poursuit l'examen du projet de loi de la sécurité sociale
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