Budget des collectivités territoriales : le Sénat monte au front
À l’occasion de l’examen du budget des collectivités territoriales, mercredi 30 novembre, le Sénat s’est montré extrêmement critique sur la copie présentée par le gouvernement. Avec l’extinction de mesures de soutien exceptionnelles, le budget revient en effet au niveau « normal » des années précédentes, ce qui le rend fortement sensible à l’inflation. Néanmoins, les crédits accordés aux collectivités territoriales ont été adoptés par la Chambre haute en début de soirée.
[Mise à jour mercredi 30 novembre, à 20h35 : le Sénat a adopté en début de soirée les crédits du compte spécial aux collectivités territoriales]
Dominique Faure a un peu dû avoir l’impression de passer un baptême du feu. L’ex-secrétaire d’Etat à la ruralité, s’est en effet retrouvée à défendre le budget des Collectivités territoriales deux jours après avoir récupéré le portefeuille de Caroline Cayeux, ex-ministre démissionnaire depuis ce lundi, suite à une saisine de la justice par la HATVP concernant ses déclarations de patrimoine. « Bienvenue dans la chambre des territoires », lui a amicalement lancé la présidente de la délégation sénatoriale aux Collectivités, la sénatrice centriste Françoise Gatel. « Vous repartirez tout à fait armée. » On espère pour la ministre nouvellement promue que l’examen des crédits de son ministère aura en effet fait office de rattrapage accéléré, parce que le budget des Collectivités territoriales est, sans surprise, loin d’être celui qui a le plus convaincu les sénatrices et les sénateurs.
« Les crédits sont stables depuis plusieurs années »
Le gouvernement et le Sénat s’accordent sur le fait que les crédits consacrés au budget des collectivités territoriales sont en baisse de plus de 600 millions d’euros. Mais la majorité de cette baisse est en fait due à l’extinction de dispositifs d’urgence mis en place par le gouvernement l’année dernière pour soutenir exceptionnellement les collectivités. Le président de la commission des Finances, Claude Raynal, identifie ainsi un « effet de périmètre », c’est-à-dire que les crédits de la mission budgétaire « Collectivités territoriales » diminuent, mais parce qu’ils ne recouvrent en fait pas les mêmes dépenses entre le budget 2022 et le budget 2023. Le budget de l’année dernière intégrait notamment des crédits exceptionnels pour la Dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), pour le plan Marseille et pour un plan d’attractivité de la Seine-Saint-Denis.
Ces dispositifs ponctuels n’ont donc pas été reconduits cette année, et à périmètre dit « constant », c’est-à-dire pour financer les mêmes postes de dépense, le budget des Collectivités territoriales est plus ou moins revenu à son niveau de 2021. « Sans tenir compte de ces baisses qui résultent de niveaux exceptionnellement hauts en 2022, les crédits sont stables depuis plusieurs années », a ainsi résumé Claude Raynal. C’est donc plutôt l’inflation qui risque de menacer l’impact financier de ce budget des collectivités. « Les collectivités ne sont pas épargnées par l’inflation », explique Charles Guené, rapporteur de ce budget, qui ajoute : « Un effet ciseaux pourrait générer un repli de l’autofinancer et le contexte d’inflation en 2023 risque de continuer à peser sur les finances des collectivités. »
« Le gouvernement voit les collectivités comme une variable d’ajustement »
Ce débat avait déjà eu lieu il y a quelques jours lors de l’examen des recettes de ce budget 2023, quand les sénateurs avaient voté une revalorisation de la Dotation globale financière (DGF) à la hauteur de l’inflation. Dominique Faure a beau vanter un « soutien sans faille aux élus et aux territoires » de la part de l’Etat, avec l’augmentation inédite de 300 millions d’euros de la DGF, le Sénat est resté extrêmement sceptique.
À gauche, la sénatrice communiste Cécile Cukierman dénonce une « marche funèbre », avec un nouveau budget qui « rogne largement sur les finances des collectivités, alors que Didier Marie, sénateur socialiste, déplore que « le gouvernement ait considéré les collectivités territoriales comme une variable d’ajustement plutôt qu’un moteur de résilience. »
Du côté de la droite et du centre, on attire l’attention sur le coup de frein à l’investissement que pourrait constituer une mise en difficulté des collectivités locales, qui sont 46 % à renoncer à des projets de transition énergétique et/ou d’investissement cette année, d’après Françoise Gatel. « L’heure est grave », a solennellement ajouté la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités, alors que la sénatrice LR Sylviane Noël a rappelé à la ministre que les collectivités territoriales « ne faisaient pas l’aumône, mais attendaient la protection due à leurs habitants. »
« Madame la ministre, pardonnez-moi, mais on ne va pas vous décrire ce qu’est la ruralité ! »
Parmi les temps forts de l’examen, la grogne d’une très large partie de l’hémicycle devant la volonté de l’exécutif de supprimer le critère de la longueur de voirie dans le calcul de répartition de la dotation de solidarité rurale (DSR), attribuée aux communes de moins de 10 000 habitants qui peinent à rassembler des ressources fiscales. « Madame la ministre, pardonnez-moi, mais on ne va pas vous décrire ce qu’est la ruralité ! Est-ce qu’on peut se parler en Français ? La ruralité se caractérise par un habitat étendu, très dispersé, parce qu’il y a des fermes, et donc pour relier la ferme au bourg, il y a des routes ! », s’est agacée Françoise Gatel, tout en faisant remarquer que les élus ne disposaient d’aucune subvention spécifique pour construire des chaussées. Après des débats nourris, les sénateurs ont finalement voté en faveur du maintien du mode de calcul actuel de la DSR.
« Un climat de défiance » entre l’Etat et les collectivités
Les sénateurs ont aussi dénoncé un « contexte de défiance » entre les collectivités et le gouvernement, selon les mots du sénateur centriste Loïc Hervé, rapporteur de la commission des Lois. En cause, un article non rattaché qui sera donc examiné lundi ou mardi prochain avec les autres dispositions qui ne figurent pas dans une « mission budgétaire » particulière.
Dans la version du texte considérée comme adoptée par l’Assemblée nationale, le gouvernement entendait au départ limiter les dépenses de fonctionnement des collectivités par des « contrats de confiance » qui ont furieusement rappelé les « contrats de Cahors » aux sénateurs. Suspendus en 2020 avec de la pandémie, ceux-ci constituent un véritable repoussoir pour les élus locaux, en limitant l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités. En échange de cet engagement à la rigueur financière, l’Etat promettait la stabilité des dotations aux collectivités.
Élisabeth Borne a finalement renoncé au mécanisme de sanction prévu dans cet article pour les collectivités qui ne respecteraient pas cette rigueur budgétaire, mais Loïc Hervé a tout de même déploré un « inutile climat de défiance » et le « temps et l’énergie perdus » sur la question. Didier Marie a lui prévenu : le gouvernement trouvera toujours le Sénat sur son chemin sur le sujet. « Nous supprimerons de nouveau ce carcan », a-t-il annoncé. Si le Sénat a jusqu’ici adopté la plupart des missions budgétaires examinées, le vote de ce soir s’annonce plus compliqué pour le gouvernement.
Petite révolution au Palais de Marie de Médicis, la majorité sénatoriale LR, jusqu’ici dans l’opposition, se retrouve dans la majorité de Michel Barnier. « Le poids politique des sénateurs est évidemment renforcé », souligne le constitutionnaliste Benjamin Morel. Mais il ne faut pas oublier que « c’est toujours l’Assemblée qui a le dernier mot », rappelle le politologue Olivier Rouquan. De quoi tempérer l’idée d’un Sénat qui gagne en influence.
Après 12 ans dans l’opposition, Les Républicains se retrouvent de manière inattendue au pouvoir au sein de ce qui devrait ressembler à une coalition. Aux journées parlementaires du parti à Annecy, les sénateurs ont prôné un travail législatif « constructif » avec leurs nouveaux alliés macronistes et philippistes. « On était en mort clinique. Et on se réveille du coma », se réjouit un sénateur.
Ce vendredi, l’essayiste et enseignant à Sciences Po David Djaïz était l’invité de la matinale de Public Sénat. Il est revenu sur la nomination de Michel Barnier à Matignon, le rôle du Parti socialiste dans la séquence actuelle, ainsi que sur les solutions qu’il voit pour sortir de la crise politique.
Les sénateurs et députés LR, rassemblés à Annecy pour leurs journées parlementaires ont reçu la visite d’un des leurs. Le Premier ministre, Michel Barnier est venu s’entretenir « chaleureusement » avec les élus de sa famille politique leur assurant que leur pacte législatif serait sa base de travail.