Face à la presse ce mercredi 12 novembre, les deux sénateurs de Place Publique, Bernard Jomier et Grégory Blanc, insistent : les écarts de richesse tiennent de plus en plus de l’héritage, à rebours de la promesse formulée par Emmanuel Macron peu avant sa première élection en 2016, d’encourager le travail plutôt que la rente. Aujourd’hui, la moitié des ménages le plus aisés détient 92 % du patrimoine privé. Et sur le côté, le secteur caritatif s’essouffle, expliquent-ils, la faute, entre autres, à la baisse du pouvoir d’achat. Un constat qui les a conduits à déposer une proposition de loi (PPL) ainsi qu’un amendement à l’article 11 du budget 2026, afin de réformer le droit des successions.
Plus précisément, c’est la réserve héréditaire qui se trouve dans le viseur des deux sénateurs. Celle-ci fixe la part de succession qui revient de droit aux héritiers, et la quotité disponible, qui permet d’effectuer les libéralités, soit de transmettre le patrimoine restant à des tiers selon le bon vouloir du légataire. Actuellement, les libéralités ne peuvent dépasser la moitié du patrimoine si le légataire n’a qu’un enfant, le tiers s’il en a deux, et le quart s’il en a trois ou plus. En augmentant cette quotité, cette révision permettrait de favoriser « la philanthropie en France », arguent Bernard Jomier et Grégory Blanc, une pratique beaucoup plus développée « dans les pays anglo-saxons ». Les deux élus proposent qu’ « au-delà d’un certain seuil transmis aux héritiers réservataires – seuil fixé par décret, et qui pourrait être de l’ordre de quelques millions d’euros -, les légataires se verraient reconnaître une liberté totale de transmission ».
Sans régulation, « on renforce une société d’héritiers »
Il ne s’agit pas de « priver les héritiers », veut rassurer Bernard Jomier, ni de viser « les patrimoines moyens », mais plutôt de « commencer à déverrouiller notre droit des successions qui favorise le conservatisme et l’immobilisme ». D’autant plus dans une société à l’espérance de vie rallongée, où on hérite désormais en moyenne à 50 ans, une dynamique qui bénéficie à des individus déjà établis, et non plus aux jeunes actifs. « Une part de l’héritage doit revenir aux enfants pour qu’ils puissent vivre, et même bien vivre », néanmoins, un assouplissement de la réserve héréditaire pour « les patrimoines les plus élevés », devrait permettre le transfert d’une part vers des « causes d’intérêt général », déroule le sénateur de Paris.
Alors que les revenus issus du travail continuent de stagner, « la nécessité d’avoir […] un Etat régulateur et stratège » s’impose, selon Grégory Blanc. Sans lequel, « on renforce une société d’héritiers ». « Aujourd’hui, les liquidités se concentrent massivement sur les produits d’épargne, au moment même où on a une contrainte au niveau de la demande. Il s’agit de déplacer ces fonds pour les diriger vers un soutien plus massif à l’investissement et à la consommation. Il faut qu’on facilite, à travers certaines mesures, de quoi aller chercher l’argent qui dort », renchérit-il. Le sénateur du Maine-et-Loire déplore aussi des « coupes budgétaires », participant à préserver une « fiscalité basse qui contribue à massivement augmenter les patrimoines de ceux qui en ont déjà beaucoup, et ne corrigent pas ce déséquilibre économique ».
Une telle réforme respecterait « la liberté de celui qui détient le patrimoine d’en transmettre une partie » vers certaines associations ou fondations s’il le souhaite, assure Bernard Jomier. Et Grégory Blanc d’ajouter : « Sur notre territoire, certains entrepreneurs et certaines fortunes ont en tête la nécessité d’aller plus loin ». L’homme d’affaires milliardaire français Xavier Niel serait par exemple intéressé par une telle mesure, rapportent les deux élus.
Insérer cette réforme dans le « débat sur la justice fiscale »
D’abord l’objet d’une PPL, cette réforme est également proposée par les sénateurs sous la forme d’un amendement à l’article 11 du PLF pour permettre sa discussion plus rapidement, calendrier serré oblige, le texte arrivant au palais du Luxembourg le 24 novembre. « Cette proposition illustre bien la façon dont on aborde l’ensemble de la séquence [du budget] et la nécessité de redresser les comptes publics », estime Grégory Blanc. « S’il y a un débat sur la justice fiscale […], on doit l’insérer dans une politique économique d’ensemble plus efficace […], pour mieux corriger nos équilibres budgétaires ».
« Ces mesures ne visent pas à augmenter la pression fiscale, mais à réorienter l’épargne. Taxer un peu plus certains, mais en taxer moins d’autres », poursuit le sénateur. L’élu de Place Publique est sans appel : « Si on n’est pas capable d’avoir un consensus sur une mesure qui ne demande pas un euro à l’État, alors c’est qu’il y a un problème de blocage dans notre pays ».