« Un avis hypothétique et spéculatif, dès sa publication. Ce qui est inédit ». L’avis du Haut conseil des finances publiques (HCFP) sur les projets de budget de l’Etat et de budget de la Sécu pour 2026 n’est pas épargné par la période hors norme que le pays traverse. Son président, Pierre Moscovici, a été auditionné ce mercredi par la commission des finances du Sénat, qui peut commencer ses travaux, le gouvernement ayant enfin présenté en Conseil des ministres un projet de loi de finances (PLF), mardi.
« Notre avis est un exercice un peu à blanc »
Une audition un peu spéciale pour Pierre Moscovici. Celui dont le nom a circulé pour Matignon s’apprête à partir, à partir de janvier, à la Cour des comptes européenne. Il quitte ainsi ses fonctions de président de la Cour des comptes et de président du Haut conseil des finances publiques, casquette avec laquelle il est intervenu ce mercredi. S’il est « toujours arrivé à l’heure » ces cinq dernières années, il s’est présenté aujourd’hui avec un léger retard. Car « il n’y a qu’une seule chose qui est un peu plus sacrée, c’est d’amener mon fils à l’école. Donc je ne pouvais pas être là à 9 heures précises », a glissé en ouverture l’ancien ministre de l’Economie.
C’est surtout le budget 2026 qui a failli arriver en retard, ou plutôt hors délais, pour être adopté à temps. Dans ce calendrier serré, les membres du Haut conseil, à qui Pierre Moscovici a rendu un hommage appuyé, n’ont pas eu d’autre choix que de travailler – encore une fois – dans l’urgence. Pire : c’est une copie qui sera certainement loin du texte final. Les mesures qui sous-tendent les prévisions macroéconomiques du PLF seront donc sûrement « très hypothétiques », a souligné l’ancien ministre socialiste. Autrement dit, « notre avis est un exercice un peu à blanc ».
Le « grand cru classé de 2024 », ironise Pierre Moscovici
D’abord quelques points positifs. Après le « grand cru classé de 2024 », a ironisé Pierre Moscovici, où le déficit public a totalement dérapé, le président du Haut conseil pour les finances publiques a salué un début d’éclairci. « Le bug majeur de 2024 ne s’est pas reproduit » et « après deux années noires, 2025 marquera une toute première étape, certes limitée, de redressement des comptes publics. C’est la bonne nouvelle », a commencé Pierre Moscovici. L’objectif de croissance à 0,7 % cette année est jugé « crédible », tout comme une inflation à + 1,1 %.
« Au total, le scénario d’un déficit à 5,4 % en 2025 semble crédible », soutient le responsable du Haut conseil, qui note cependant que « l’effort structurel proviendra intégralement de la hausse des prélèvements obligatoires », alors qu’« il y a un an, le gouvernement Barnier venait avec un PLF 2025, avec 70 d’économies en dépenses et 30 % de prélèvements obligatoires »…
30 milliards d’euros d’effort, dont 17 milliards sur les dépenses et 14 milliards sur les « recettes additionnelles »
Sur 2026, c’est plus compliqué. Globalement, l’effort affiché l’année prochaine « serait une nouvelle marche beaucoup plus conséquente, avec plus de 30 milliards d’euros d’efforts structurels, soit un point de PIB, avec 17 milliards d’euros en dépenses et 14 milliards d’euros en recettes additionnelles. A ma connaissance, ça n’a été fait qu’une fois, en 2013 », souligne Pierre Moscovici.
Il soulève au passage un point important de méthode : après avoir affiché un effort en « tendanciel », avec Michel Barnier et François Bayrou, soit l’effort à faire si rien n’était fait, une manière « de gonfler l’effort », pointe le président du Haut conseil, le gouvernement Lecornu revient à une présentation plus classique, comme ailleurs en Europe, sur l’effort structurel. « C’est plutôt bon que le gouvernement l’ait fait cette année. On revient à des choses plus d’équerre », salue Pierre Moscovici.
« Impact sur la croissance de 0,6 point »
Reste que les chiffres du budget, tels que présentés, devraient différer dans la réalité. « Le scénario économique pour l’année 2026 repose sur une hypothèse optimiste », cadre d’emblée Pierre Moscovici, avec une croissance retenue par le gouvernement à 1 %. Mais le risque d’un budget aux effets « plus restrictif » « devrait se traduire par une estimation de croissance plus faible ». Au total, « l’ajustement budgétaire marqué » pourrait avoir « un impact sur la croissance de 0,6 point », prévient-il. « Ce volontarisme est particulièrement net pour l’investissement des entreprises : 2,6 % contre moins de 1 % chez les autres prévisionnistes », relève Pierre Moscovici.
Du côté des déficits, c’est le flou. Alors que le texte initial du gouvernement prévoit une baisse du déficit public de 4,7 % en 2026, soit 0,7 point en moins, « le premier ministre a annoncé de nouveaux chiffres moins ambitieux », « il a parlé de 5 % », rappelle le président du HCFP. Le problème vient que « les mesures qui permettent d’y parvenir n’ont pas été intégrées à la copie », rendant l’avis du Haut conseil déjà daté. Mais même « en se fondant sur l’hypothèse de 4,7 %, le Haut conseil émet une première réserve, au regard du caractère un peu volontariste des hypothèses économiques ».
« Economies substantielles sur les dépenses »
Il rappelle « les économies substantielles sur les dépenses », avec « une année blanche sur les prestations sociales et les salaires publiques », « un resserrement des transferts de l’Etat vers les collectivités » ou « un paquet d’économies significatifs sur l’Assurance maladie, notamment la hausse des franchises et des participations des assurés ». Quant à l’Ondam, soit le budget de l’hôpital, ce serait « un record » à la baisse, car « ce serait divisé par deux la progression des dépenses de l’Assurance maladie ». « Au total, ça représente une économie de 17 milliards d’euros », souligne Pierre Moscovici.
Quant à la hausse de 14 milliards d’euros des impôts, qui comprend le gel de l’impôt sur le revenu, des mesures sur les niches fiscales, la taxe sur les holdings ou la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus, « le Haut conseil émet de sérieux doutes sur leur réalisation ». Rien que pour le projet de loi de lutte contre la fraude, les recettes estimées sont de 1,5 milliard d’euros, « un rendement difficile à confirmer ».
Les mesures nouvelles, comme la suspension de la réforme des retraites, « sont susceptibles de remettre fortement en cause le scénario »
Tout cela sans compter les « mesures nouvelles, dont on n’est pas saisi, qui sont susceptibles de remettre fortement en cause le scénario présenté ici. Ce serait bien sûr le cas avec la suspension de la réforme des retraites », ajoute Pierre Moscovici. Si le coût sera bien de « quelques centaines de millions d’euros en 2026 et autour de 2 milliards d’euros pour 2027, le problème est plus en perspective », selon le président de l’institution, qui se place dans l’hypothèse où la réforme serait carrément abrogée.
Avec un déficit aujourd’hui des régimes de retraites « de 6,6 milliards d’euros, il restera stable jusqu’en 2030 si la réforme était mise en œuvre. Elle rapporterait d’ici 2030 10 milliards d’euros. Si d’aventure la réforme n’intervenait pas du tout, il faudrait trouver 10 milliards d’euros pour éviter que le déficit se dégrade. Si ce n’était pas le cas, on serait autour de 17 milliards d’euros en 2030 », met-il en garde. Et après 2030, la dégradation s’accélérera, avec un déficit « de 15 milliards d’euros en 2035 et de 30 milliards en 2045 ».
« La Commission européenne a sans doute une petite tolérance »
Face à toutes ces incertitudes, Pierre Moscovici est clairement pessimiste sur la capacité de la France de repasser sous la barre des 3 % de déficit d’ici 2029, objectif du gouvernement. « Pour cette année, ça devait être 4.6 % de déficit (à l’origine). Si on va à 5 %, on diffère assez clairement. Ce qui est clair, c’est que si on fait un effort de 0,4 ou 0,5 point par an, ça nous amène en réalité au mieux en 2031 (pour atteindre 3 %). Et en 2027, une année présidentielle, on sait ce que c’est. Il ne faut pas attendre à ce qu’on charge la barque. Tout ce qui ne sera pas fait cette année devrait être fait dans les années ultérieures », prévient le président du Haut conseil des finances publiques. Il insiste : « L’écart par rapport aux 4,6 % doit être comptabilisé comme quelque chose à faire en plus, plus tard, ce qui rend beaucoup plus incertain les 3 % en 2029 ».
Si « la Commission européenne attend, […] elle a sans doute une petite tolérance, mais elle n’est pas infinie non plus », « il y a une petite marge sans doute, mais qui devra être maîtrisée ». Bref, « l’inflexion », ce « début d’amélioration de nos finances publiques » observé en 2025 « n’est pas suffisant si on veut garder le rythme pour être en dessous de 3 % de déficit en 2029. Il faudra accélérer », prévient le responsable du Haut conseil.
« C’est une expérience particulièrement créative que le Parlement s’apprête à vivre »
La balle est maintenant dans le camp du Parlement. Mais avec ce budget qui sera examiné sans menace du recours au 49.3, comme le premier ministre s’y est engagé, et sans majorité absolue, tout est possible. Une première que Pierre Moscovici résume ainsi : « C’est une expérience particulièrement créative que le Parlement s’apprête à vivre. Il y a l’Assemblée nationale et le Sénat. Et le Sénat aura un rôle très important à jouer dans cette affaire ».