Budget : le Sénat adopte la loi spéciale à l’unanimité, sur fond de tensions entre la droite et le gouvernement

Le Sénat a adopté à l’unanimité le projet de loi dite « spéciale » qui permet à l’Etat de continuer de fonctionner en l’absence de budget. Sans enjeu sur le fond d’un texte purement technique, les débats ont permis de démêler ce qui s’est joué ces dernières semaines entre le gouvernement, LR et le PS.
Louis Mollier-Sabet

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Il est 19 h 30 en ce début de soirée du 23 décembre, et le Sénat débute l’examen du projet de loi spéciale, sorte de rustine budgétaire qui assure la continuité des services publics. Au même moment, Sébastien Lecornu prend la parole depuis Matignon pour rendre compte de l’action du gouvernement sur le budget et cette même loi spéciale. « Des mauvaises manières faites au bicamérisme », selon les mots du sénateur centriste Loïc Hervé, qui témoignent en tout cas de la priorité très claire assignée à l’Assemblée nationale par le Premier ministre, pourtant sénateur.

« Il y avait des frustrations légitimes à évacuer sur ces bancs », a été obligé de noter le ministre de l’Economie, Roland Lescure après la discussion générale. « Certains ont cherché à rejouer le match de ces dernières semaines, je peux le comprendre. Cette loi nous donne un peu de temps, reposons-nous un peu d’ici là, nous en avons tous besoin », a-t-il ajouté en tentant de calmer les esprits.

« Ce qui nous a manqué, c’est un accord de non-censure avec les socialistes sur un budget de centre droit »

C’est que sur les bancs de la droite sénatoriale, on ne décolère pas de l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) de vendredi dernier (voir notre article). Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR) a notamment rappelé le précédent du budget 2025, où députés et sénateurs s’étaient mis d’accord en CMP en moins de deux jours. « Le Sénat n’a pas changé depuis janvier dernier, l’Assemblée non plus. […] Ce qui nous a manqué, c’est un gouvernement ayant négocié avec les socialistes les conditions d’un accord de non-censure sur une copie de CMP de centre droit », a accusé le sénateur LR.

En clair, sans majorité à l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu avait deux options pour faire adopter un budget. Celle employée par François Bayrou l’année dernière, qui avait utilisé la CMP – qui compte 7 députés et 7 sénateurs et où le socle commun est donc majoritaire – pour élaborer un budget convenant à la droite et au centre. Mais pour que cette option soit viable, l’ancien Premier ministre avait dû utiliser le 49-3 pour faire adopter les conclusions de la CMP à l’Assemblée nationale, et donc négocier des lignes rouges avec les socialistes pour s’assurer que son gouvernement ne chuterait pas – et le budget avec.

En abandonnant le 49-3, Sébastien Lecornu a – pour le moment – tiré un trait sur cette option. Le gouvernement ne pouvait donc plus simplement se mettre d’accord avec la droite en CMP, il lui fallait un accord avec les socialistes. Or l’examen au Sénat a vu la majorité sénatoriale supprimer plus de 7 milliards d’euros de recettes, ce qui a conduit le gouvernement à remettre en cause ses choix budgétaires. S’en est suivie une semaine de tension, qui a abouti à l’échec de la CMP vendredi.

« Le gouvernement ne peut pas reprocher au Sénat de ne pas compenser les transferts à la Sécu »

Au-delà des mots des uns et des autres, c’est bien la configuration politique qui a changé. L’année dernière, François Bayrou avait utilisé la CMP – et donc indirectement le Sénat et la droite – pour élaborer un budget qu’il avait fait passer au forceps à l’Assemblée, alors que cette année, Sébastien Lecornu mise sur un vote à l’Assemblée et a donc tourné son regard vers la gauche. C’est exactement ce qu’il s’est passé sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, où les socialistes ont estimé avoir obtenu assez de concessions du Premier ministre pour voter ce budget. De même du côté des écologistes qui se sont abstenus.

De son côté, la droite a donc estimé qu’elle n’avait pas à contrebalancer l’aggravation du déficit du budget de l’Etat dû à la compensation des concessions obtenues par les socialistes sur le budget de la Sécurité sociale – notamment le dégel des prestations sociales et le décalage de l’application de la réforme des retraites. « Ces choix peuvent être débattus, mais ils doivent être assumés financièrement. Le gouvernement ne peut pas reprocher au Sénat qu’il compense à due proportion les transferts vers la Sécurité sociale », a notamment fustigé Christine Lavarde.

En attendant, le gouvernement mise sur « des points de convergence qui existent déjà entre l’Assemblée nationale et le Sénat », alors que les deux rapporteurs généraux étaient tombés d’accord sur 259 des 263 articles de ce projet de loi de finances. En nouvelle lecture, le droit d’amendement est restreint et la copie ne devrait donc pas fondamentalement évoluer. Pour le moment, contrairement au budget de la Sécurité sociale, les socialistes ne semblent pas se diriger vers un vote du projet de loi finances, ni les écologistes s’abstenir. « Le Premier ministre se résoudra peut-être au 49-3, mais entre-temps, nous aurons perdu du temps et de la crédibilité », a anticipé Jean-François Husson (LR).

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