Politique
« Un gâchis » : comment la tentative d’un compromis sur le budget 2026 a volé en éclats
La tentative de compromis sur le projet de loi de finances pour 2026 s’est vite conclue sur l’impossibilité d’aboutir ce 19 décembre.
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Par François Vignal
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Après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) sur le budget 2026, une bataille politique s’engage. Celle sur la responsabilité de l’impossibilité de trouver un accord. A qui la faute ? Classiquement, chacun se renvoie la balle.
Pour le gouvernement, c’est entendu : c’est la faute des sénateurs LR. Le premier ministre Sébastien Lecornu « regrette l’absence de volonté d’aboutir de certains parlementaires, comme nous pouvions le craindre malheureusement depuis quelques jours ». Son entourage pointe dans la foulée « l’intransigeance de quelques sénateurs LR », comme il l’avait fait la veille, dénonçant « la radicalité d’une petite partie du groupe LR du Sénat ».
Les sénateurs LR, coupable idéal ? La majorité sénatoriale ne l’entend pas ainsi. « Je veux à cet instant tordre le cou aux affirmations et aux insinuations qui visent le Sénat et le travail du Sénat », a rétorqué après la CMP le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général du budget de la Haute assemblée, assurant qu’un accord était « quasiment fait » en réalité. Il restait cependant des points d’achoppement.
Dans les jours précédant la CMP, la semaine écoulée a vu la tension monter. Le ministre de l’Economie, Roland Lescure, a ouvert les hostilités, pointant directement le rôle de la majorité sénatoriale, sur l’alourdissement du déficit après le passage du texte au Sénat. « Il était en service commandé. Pas pour anticiper, mais pour précipiter l’échec de la CMP », soutient aujourd’hui un sénateur LR. Irriter les sénateurs juste avant une CMP, où le rôle des sénateurs LR allait être essentiel, était en effet une stratégie pour le moins étonnante de la part du gouvernement.
Dans les rangs LR, la colère domine. « Je trouve ça désagréable, injuste, pitoyable », lance une figure du groupe, qui rage contre « les coups de billard à trois bandes (du gouvernement). On finit toujours par se brûler les doigts ». Ce sénateur croit même savoir, d’un de ses interlocuteurs, que « la décision d’une CMP non conclusive était déjà prise il y a 10 jours ». « C’est un vaudeville pathétique », pointe un sénateur LR, qui ajoute que « c’est plus facile de dire que c’est la faute de Bruno Retailleau, que de dire on ne s’y prend pas bien, on augmente les impôts de douze milliards d’euros ».
En début d’après-midi, c’est par un communiqué rageur des présidents des groupes LR et Union centriste du Sénat, Mathieu Darnaud et Hervé Marseille, que la riposte monte d’un cran. « La responsabilité de cet échec incombe au gouvernement qui a soigneusement, méthodiquement, scrupuleusement organisé l’impossibilité d’un accord », dit le communiqué, pointant les « négociations exclusives avec la gauche » et l’absence de « cap ».
Surtout, l’expression des sénateurs LR « radicalisés » est restée au travers de la gorge. « Ces mots, indignes de ceux qui les ont prononcés, sont inacceptables. Ils ont définitivement fermé les voies de passage qui avaient été patiemment explorées entre les Rapporteurs généraux des deux assemblées en amont de la CMP », dénonce le communiqué commun, qui conclut :
Cette attitude regrettable ne pouvait qu’aggraver les tensions. À se demander si le gouvernement ne souhaitait pas l’échec de la CMP pour aller directement à la loi spéciale.
Si la question du déficit a envenimé la préparation de la CMP, le sujet est toujours brûlant après son échec. « Le Sénat a rendu une copie, légèrement dégradée de 6 milliards d’euros », a reconnu ce vendredi Jean-François Husson, alors que le chiffre n’était évoqué qu’hors micro jusqu’ici. Mais pour lui, la responsabilité première vient de l’exécutif. Jean-François Husson accuse « le gouvernement d’avoir adressé une copie beaucoup plus dégradée, par rapport à sa copie initiale, de 10 milliards d’euros », conséquence des concessions faites au PS sur le budget de la Sécu. « Nous, on avait à la base une copie à 4,7 % de déficit. Elle sort finalement à 4,9 %, alors que le gouvernement avait envoyé une copie à 4,7 %, portée à 5,1 % de déficit après l’assemblée », complète le rapporteur général.
Si l’exécutif reproche aux sénateurs LR d’être restés sur leur ligne, la sénatrice LR Christine Lavarde, membre de la CMP, soutient que dans les discussions préparatoires à la CMP, la proposition mise sur la table était bien trop éloignée de celle du Sénat : « Il ne restait rien du texte du Sénat. Il y avait 6 milliards d’euros de surtaxe sur l’impôt sur les sociétés (IS) », pointe la sénatrice des Hauts-de-Seine.
Cette question de la surtaxe d’IS sur les grandes entreprises était l’un des points durs, car trop identitaire pour les LR. La copie du gouvernement prévoyait 4 milliards d’euros de recettes. Les députés l’avaient porté à 6 milliards d’euros, quand les sénateurs de droite et du centre ont tout simplement supprimé la surtaxe, rappelant qu’elle ne devait durer qu’un an.
« Vous connaissez le Sénat, on était dans la négociation, mais là c’était impossible qu’on touche à l’IS, c’est compliqué par rapport à tout ce qu’on défend depuis le début », souligne le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, membre suppléant de la CMP. Le sénateur de l’Essonne ajoute : « On n’est pas arrivé à cette CMP comme des gens butés, mais à un moment donné il faut être honnête, la stratégie du gouvernement nous conduit à un échec ».
Emboîtant le pas du gouvernement, au Parti socialiste, on estime que les LR ont une responsabilité imminente. « On paye une forme d’irresponsabilité de la part des Républicains, et une position extrêmement dogmatique, qui s’est durcie. Il y a une forme de renoncement à l’impôt qui est leur ligne politique », a regretté à la sortie le sénateur PS Thierry Cozic, présent en CMP.
« Il y a une forme de fuite en avant des Républicains du Sénat », insiste le sénateur de la Sarthe. Il confirme que « ce qui a achoppé c’est toute la fiscalité, et notamment la surtaxe IS, qui était l’un des principaux enjeux ».
« Voilà à quoi nous mène le jusqu’au-boutisme de la droite au Sénat », a renchéri sur X Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. « La droite sénatoriale a depuis le départ écarté toute possibilité de compromis sur le budget de l’Etat », ajoute le numéro 1 du PS, Olivier Faure, qui estime que « refuser de négocier revient à faire le choix de bloquer le pays ».
Le sénateur Horizons, Emmanuel Capus, renvoie la faute lui sur l’opposition de gauche. « Les vrais responsables, c’est la gauche et l’extrême gauche qui, en votant de façon pavlovienne, n’ont pas été capables de trouver un accord sur un PLF qui passe par un équilibre à 5 %, en baissant les dépenses », dénonce ce membre de la CMP.
Mais selon un sénateur centriste, les torts sont en réalité partagés. « Le gouvernement cherche à expliquer les raisons et ne veut pas porter le chapeau de l’échec. Il a sûrement une part de responsabilité. Et les LR aussi sans doute. Il y a sûrement eu trop d’intransigeance », admet ce centriste, « en même temps, j’ai trouvé Jean-François Husson très ouvert ». Et de continuer : « Je pense qu’il n’y a pas que les sénateurs LR qui sont responsables de l’échec. Sans doute les souhaits des députés étaient trop forts pour la majorité sénatoriale ». Si la CMP a fini tout droit dans le mur après deux mois de débats au Parlement, c’est « collectivement » qu’il faut en chercher les responsabilités, selon ce membre de la majorité sénatoriale.
Le gouvernement va maintenant déposer un projet de loi spéciale, pour permettre de faire fonctionner l’Etat. Et dès la rentrée de janvier, il faudra remettre le couvert sur le budget, avec peut-être un nouveau texte…
François Vignal et Guillaume Jacquot
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