Et maintenant, que vont-ils faire ? Sébastien Lecornu à peine nommé à Matignon, la question d’un possible accord, avec les socialistes, qui permettrait au gouvernement de faire adopter son budget sans être censuré, est sur la table.
Mais plus d’un socialiste a été « échaudé » par l’accord conclu l’hiver dernier avec François Bayrou. « La dernière fois qu’on a négocié, on s’est fait arnaquer », grinçait mardi un sénateur PS. Cette fois, tout « deal » avec les socialistes se paiera au prix (que fixera) Faure. Ne voulant pas donner « de chèque en blanc », le premier secrétaire du PS a prévenu, mercredi, sur France Info : « Si c’est pour dire on continue comme avant, si c’est on change pour que rien ne change, ça ne peut pas marcher, et donc nous censurerons ce gouvernement ».
Pour les socialistes, ce ne sont pas à eux d’aller vers Sébastien Lecornu, mais au premier ministre de venir à eux. « Nous ne rentrons pas dans l’idée d’un marchandage », prévient le sénateur de l’Oise, Alexandre Ouizille, porte-parole du PS. « Nous voulons savoir ce qu’il pense de nos propositions (faites à Blois, lors de l’université d’été du parti, ndlr), et une fois qu’il se sera exprimé là-dessus, nous prendrons nos responsabilités », assure le sénateur PS sur l’antenne de Public Sénat, pour qui « le mot rupture », revendiqué par Sébastien Lecornu, « pour nous, c’est notre contre budget ». Regardez :
Canaux de communication
Pour sa part, le sénateur PS Rachid Temal « salue le fait que le premier ministre ait indiqué une rupture sur la forme et surtout sur le fond ». Mais l’ancien premier secrétaire par intérim du PS soutient aussi que « la responsabilité aujourd’hui, n’incombe pas aux socialistes, elle incombe au premier ministre ». Rachid Temal sait bien que « le budget ne peut pas être totalement socialiste, ni totalement macroniste ou du socle commun, donc il faut que chacun vienne sans totem, ni tabou, et qu’on cause », répète le sénateur PS du Val-d’Oise, « mais celui qui a la clef de la réussite, c’est Sébastien Lecornu ».
Le socialiste pourra peut-être lui dire, si ce n’est déjà fait. Car Rachid Temal confie avoir « des relations amicales depuis longtemps avec Sébastien Lecornu ». Le sénateur, qui suit les questions de défense pour son groupe, a eu naturellement des échanges avec le ministre des Armées ces derniers mois. Les deux hommes sont aussi nés dans la même ville du Val-d’Oise, Eaubonne. Ça aide. On comprend pourquoi le premier ministre a appelé dès mardi Olivier Faure, comme on le sait, mais aussi un autre socialiste : Rachid Temal. Au moment où la mission fixée par le chef de l’Etat est de trouver les « accords » pour adopter un budget, tous les canaux de communication seront utiles dans la période.
« Si on sent une porte ouverte sérieuse, une vraie rupture de la part de Sébastien Lecornu, on est prêts à aller à une table de dialogue », assure Patrick Kanner
Les socialistes attendent donc de connaître le jeu du premier ministre, pour savoir s’ils sont prêts à suivre. Pour autant, ils sont prêts à discuter, à condition d’avoir de très sérieux gages. « Si on sent une porte ouverte sérieuse, une vraie rupture de la part de Sébastien Lecornu, on est prêts à aller à une table de dialogue. C’est notre logique. Car avec les Verts, le PCF, Place Publique, on veut être la gauche utile aux Français les plus modestes », soutient Patrick Kanner, président du groupe PS. Si jeudi, à l’heure du déjeuner, le rendez-vous avec le premier ministre n’avait toujours pas été calé, il devrait l’être assez rapidement.
Si les socialistes veulent que le premier ministre se prononce sur leur contre budget dans son ensemble, ils n’en ont pas moins quelques mesures phares en tête : « L’étalement de l’effort de réduction du déficit sur un plus grand nombre d’années, pour nous 2032, et pas 2029 ; des mesures de justice fiscale, avec la taxe Zucman, ou en tout cas une mesure forte qui touche ceux qui ont bénéficié de la politique d’Emmanuel Macron ; le pouvoir d’achat, en relançant la politique de la demande après avoir eu huit ans de politique de l’offre. C’est notre mesure sur la CSG. Pour la financer, il faut trouver des sous, donc c’est la question de la suppression des exonérations patronales sur les salaires, plus de 80 milliards d’euros aujourd’hui, ça mérite de regarder de près, notamment sur les hauts salaires ; et un plan de relance par les collectivités territoriales, qu’il faut encourager à investir. Pour cela, il faut déjà ne pas toucher aux dotations », résume le sénateur PS du Nord, qui « n’oublie pas la question des retraites. J’ai lu qu’ils étaient prêts à rouvrir le conclave, mais il ne faut pas que ce soit pour nous balader. Ça doit aboutir avant le budget de la Sécu ».
Taxe Zucman : « S’ils sont en capacités d’inventer une autre taxe qui aurait les mêmes effets, je suis prêt à le regarder », affirme Olivier Faure
Pour trouver un compromis, il faut que les deux parties soient prêtes à faire un pas. Sinon, ça s’appelle une capitulation. S’ils rentrent dans cette pré-négo en montrant les muscles – classique – les socialistes n’excluent pas, en réalité, de bouger sur certains points, à commencer par ce qui pouvait commencer à ressembler à une mesure totémique : la taxe Zucman.
« S’ils sont en capacités d’inventer une autre taxe qui aurait les mêmes effets, je suis prêt à le regarder », a concédé sur France Info Olivier Faure, qui ajoute : « Je ne veux pas fermer la porte, je ne suis pas obtus. Si quelqu’un me fait la démonstration qu’il y a un autre moyen que la taxe Zucman pour obtenir le même rendement et taxer les mêmes », le premier secrétaire sera prêt à signer, du moins sur ce point. Dans leurs propositions, les socialistes visent 15 milliards d’euros de rendement avec la taxe Zucman. Si c’est autre chose, « on regardera. On n’est pas les ambassadeurs de Monsieur Zucman, mais on estime que c’est un système qui a une cohérence. Après, s’ils imaginent un autre système correct, je n’ai pas de problème », confirme Patrick Kanner, avant d’ajouter : « Peu importe l’écrin, c’est le contenu qui est important ».
Autrement dit, ce sera le résultat qui compte. « Les mécanismes importent peu. Nous ne sommes pas fétichistes. Nous souhaitons des mesures concrètes pour la vie des Français », renchérit Rachid Temal, « notre boussole, c’est d’avoir des avancées pour les Français, pour dire, nous avons obtenu ça, ça et ça ». A Sébastien Lecornu de définir le « ça ».
Sur la taxation des plus riches, le socle commun se montre ouvert
Ça tombe bien, chez Renaissance, et même à droite, on sent que la poutre bouge sur ce point. L’idée d’une taxation des riches, qui était d’ailleurs évoquée par François Bayrou mais de façon très floue, fait son chemin. « Il faut que chacun participe à proportion de ses moyens », nous affirmait mercredi le patron des sénateurs Renaissance, François Patriat, à la sortie de son entretien avec le premier ministre, estimant que « c’est une idée qui est passée dans l’opinion, on ne reviendra pas dessus ».
Chez les LR, le sénateur Roger Karoutchi n’a plus d’opposition de principe. « On l’avait fait sous Nicolas Sarkozy. Il y avait eu un impôt supplémentaire, sur les plus hauts revenus. Si c’est ça, on peut discuter », a souligné hier l’ancien ministre, « mais je ne suis pas sûr que ce soit encore possible d’avoir des marges, au niveau d’imposition qu’on a », ajoute-t-il cependant. Mais si l’imposition concernait ceux qui ont des revenus « de plus de 500.000 euros par an, si c’est ça, on peut discuter », ouvre la porte le sénateur LR des Hauts-de-Seine. Dans Libération, le député LR Ian Boucard, soutient même que ses collègues députés sont prêts à suivre : « On a acté que si on voulait de la stabilité, il fallait faire des concessions. Une taxation sur les 2 % les plus riches, globalement, le groupe y est prêt ».
Renaissance et LR n’excluent pas un allègement de l’effort de réduction du déficit
Autre bougé vers les socialistes, qui pourrait s’envisager : le rythme de déduction du déficit. François Patriat, toujours lui, pense pour sa part que « si (l’effort) est modifiable, c’est à la marge. Ce n’est pas 20 milliards de moins. Au Sénat, on dit que si on arrive entre 38 et 42 milliards d’économies, ce serait bien ». C’est déjà moins que les 44 milliards d’économies que fixait François Bayrou. Dans Le Parisien, Gabriel Attal, patron du parti, a aussi ouvert la porte à un allègement de l’effort.
Les LR sont prêts aussi à mettre de l’eau dans leur vin. « Très franchement, oui. La période est tellement confuse, il y a une telle colère fiscale, qu’on se dit que tout est remis à plat pour adopter un budget. […] On va se poser la question de 44 milliards d’euros pour quoi, voir si on peut faire moins, si c’est possible, et on le fera », confirme ce jeudi sur Public Sénat la sénatrice LR Agnès Evren, porte-parole du parti. Quand on dit que les choses bougent…