Politique
Le bureau politique de LR s’est accordé sur une suspension des ministres issus de leurs rangs ayant bravé les consignes du parti. Une décision largement validée par le bureau politique, malgré les dissensions internes au parti.
Le
Par Simon Barbarit
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Ce n’est pas forcément rédhibitoire mais ce n’est pas un très bon signe non plus. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la commission des finances a rejeté, par 37 voix contre 11, la partie « recettes » du projet de loi de finances 2026. Seuls les élus Renaissance l’ont voté. La droite, le RN et l’ensemble de la gauche l’ont rejeté. Les élus Horizons se sont eux abstenus. « Un premier tour de chauffe », a relativisé, le Premier ministre, Sébastien Lecornu. Il n’empêche, même si les députés du groupe Renaissance, LR voire PS à l’Assemblée, sont loin de former un bloc uniforme, ce rejet jette un premier voile sur les chances de voir la discussion budgétaire aboutir sur un vote au terme du délai fixé par la Constitution. Rappelons aussi, qu’à la différence d’autres projets ou propositions de loi, les débats sur les textes budgétaires ou constitutionnels en séance publique se font à partir des projets de loi déposés par le gouvernement et non sur la version amendée en commission.
Pour rappel, la Constitution fixe une limite à 70 jours de débats budgétaires, au total, entre les deux chambres du Parlement avant le 31 décembre, pour voter le budget de l’Etat. En ce qui concerne le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le PLFSS, le Parlement dispose là de 50 jours.
Comme le relève le maître de conférences en droit public, Benjamin Morel, « deux péchés originels » font partir le débat budgétaire d’un très mauvais pied. Le premier est le renoncement à l’article 49 alinéa 3 qui, comme nous l’avions expliqué ici, permet au gouvernement de faire voter un budget avec un soutien soft de sa majorité en faisant des deals avec les oppositions placées dans une position relativement confortable. Une abstention sur une motion de censure est, en effet, préférable au vote d’un budget rempli d’irritants. Olivier Faure s’en est rendu compte. Le Premier secrétaire du PS a lancé un ultimatum au gouvernement ce vendredi. « S’il n’y a pas d’évolution d’ici lundi » sur le budget concernant notamment la taxation des ultra-riches, les socialistes voteront la censure du gouvernement, a-t-il mis en garde.
« Les socialistes se sont retrouvés piégés par ce non-recours à l’article 49.3. Et de son côté, Sébastien Lecornu a commis la deuxième erreur de se fâcher avec la majorité sénatoriale de droite et du centre qui, on l’a vu l’année dernière, avait bien aidé Michel Barnier à constituer son budget », souligne Benjamin Morel.
Au Sénat, les élus de droite et du centre s’agacent d’être occultés par Sébastien Lecornu, et fustigent le choix du Premier ministre de se tourner vers la gauche au détriment de son socle parlementaire. « Je pense que quand on a pour objectif de donner un budget à la France, on écoute les deux chambres. Le premier ministre a besoin de plus entendre le Sénat », a fait valoir le patron de la droite sénatoriale, Mathieu Darnaud, sur Public Sénat.
Intéressons-nous ici aux différentes réalités arithmétiques qui permettraient au gouvernement de voir le budget adopté par un vote du Parlement. « La première hypothèse serait un budget adopté à la fois par le PS et les Républicains. Cela voudrait dire que Laurent Wauquiez choisit la copie d’Olivier Faure plutôt que celle adoptée par la droite sénatoriale. C’est peu crédible », note le constitutionnaliste. « Le deuxième scénario serait que tous les députés de gauche hors LFI s’abstiennent sur un budget voté par Les Républicains, et le dernier serait une abstention du PS et du RN et le vote des LR », résume Benjamin Morel. Dans ces deux derniers cas, l’ultimatum lancé par les socialistes ne laisse pas présager une abstention « constructive » sur un budget de la Sécu qui comporterait la suppression de l’abattement pour les retraités, et le gel des pensions et des prestations sociales. Quant au RN, Marine Le Pen espère la dissolution au plus vite et un retour aux urnes qui passerait par la chute de Sébastien Lecornu.
Sans majorité pour voter un budget, il reste deux options pour le gouvernement. La première est celle que font mine de craindre les partis d’opposition. Cette possibilité est prévue à l’article 47 alinéa 3 de la Constitution. « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». Elles n’ont jamais été utilisées sous la Ve République et elles soulèvent une ambiguïté : la signification du verbe « prononcé ». « C’est la question à un milliard », sourit Benjamin Morel.
« A partir du moment où l’assemblée a rejeté le PLF, le recours aux ordonnances n’est plus possible. Les ordonnances répondent à l’hypothèse où le débat s’enlise et que le Parlement n’est pas en mesure de se prononcer sur l’ensemble du projet. En cas de censure et de suspension des débats, les 70 jours pourraient, par exemple, s’épuiser avant un tel vote, ce qui permettrait les ordonnances », explique Alexandre Guigue, professeur de droit public à l’Université Savoie Mont Blanc.
Plusieurs questions accompagnent ce saut dans l’inconnu. Un gouvernement démissionnaire peut-il mettre en vigueur le budget par ordonnance ? « Rien ne l’interdit », répond Benjamin Morel. Quelle juridiction serait compétente pour contrôler ces ordonnances ? « Comme les ordonnances ne sont pas ratifiées par le Parlement, elles relèvent du Conseil d’Etat et non du Conseil constitutionnel. Tout personne ayant intérêt à agir pourrait le saisir », précise Alexandre Guigue.
Le recours aux ordonnances serait, en outre, « très violent d’un point de vue politique ». « Le régime parlementaire en France est quand même fondé sur le contrôle budgétaire. Laisser l’exécutif traiter le budget serait un renoncement au régime parlementaire », rappelle Benjamin Morel.
Néanmoins, en exigeant du gouvernement que la suspension de la réforme des retraites figure dans une « lettre rectificative » plutôt que dans un amendement au budget de la Sécurité sociale, les oppositions ont, en quelque sorte, anticipé ce recours aux ordonnances. Selon une note récente du Secrétariat général du gouvernement, c’est le projet de loi initial qui serait mis en œuvre par ordonnance.
En cas de censure du gouvernement, un nouveau projet de loi de finances ne pourrait être déposé dans les temps. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2021 prévoit une issue de secours. Avant le 11 décembre, le gouvernement peut demander au Parlement de se prononcer, par un vote séparé, sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances, celle relative aux recettes.
En cas d’échec, ou si cette procédure n’a pas été suivie, le gouvernement dépose avant le 19 décembre un projet de loi spéciale, un texte court et technique qui l’autorisera à continuer à percevoir les impôts existants, dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances en bonne et due forme. C’est ce qu’avait fait l’an dernier, le gouvernement Barnier démissionnaire en présentant un projet de loi spéciale le 11 décembre.
Mais reste un dernier scénario catastrophe, celui d’une dissolution tardive. C’est-à-dire après la mi-novembre. La loi de finances en examen à l’Assemblée serait alors caduque et ne pourrait pas être mise en œuvre par ordonnance. Il n’y aurait pas non plus de députés pour siéger et donc voter une loi spéciale avant le 31 décembre. C’est pourquoi le président de la République serait bien inspiré de dissoudre l’Assemblée nationale après s’être assuré que la France aura un budget, soit par ordonnance, soit par une loi spéciale.
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