Budget rectificatif : le Sénat va modifier le texte pour combler « les trous dans la raquette »

Budget rectificatif : le Sénat va modifier le texte pour combler « les trous dans la raquette »

Le Sénat, à majorité de droite, va modifier le budget rectificatif. « A la différence du premier PLFR, on n’est pas sur un vote conforme » annonce à publicsenat.fr Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. « Le texte doit être amélioré » pour « ne laisser personne au bord de la route » face à la crise. Le Sénat va « annuler les charges dans la culture, le tourisme et la restauration ».
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On craignait que le premier budget rectificatif soit vite périmé. Face à la gravité de la crise, il n’est en effet resté valable qu’à peine à un mois. Le gouvernement a présenté la semaine dernière un nouveau projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour l’année 2020. Adopté dans la nuit de vendredi à samedi par les députés, il est examiné en séance par le Sénat mardi 21 avril.

Début avril, une note de la Commission des finances du Sénat reprochait au gouvernement de largement « sous-estimer » le coût des mesures d’urgence (voir notre article). Avec ce nouveau PLFR, l’exécutif a revu ses prévisions. Elles sont catastrophiques : récession avec un PIB en recul de 8%, déficit public de 9,1% (contre 2,2% avant la crise du coronavirus), dette à 115% du PIB. La pire crise depuis 1945. Et le gouvernement a déjà prévenu que les chiffres ne sont pas définitifs…

Ce second collectif budgétaire – nom donné à un PLFR – porte à 110 milliards d’euros les mesures de soutien à une économie à l’arrêt. Les crédits pour le chômage partiel passent eux à 24 milliards d’euros. Près de 9 millions de salariés sont concernés. Le fonds de solidarité en faveur des très petites entreprises et des indépendants est porté à 7 milliards d’euros. La TVA sur les masques et le gel hydroalcoolique passe de 20 à 5,5%. 880 millions sont aussi prévus pour les Français les plus modestes : 150 euros, plus 100 euros par enfant.

Albéric de Montgolfier : « Ce n’est pas un bouleversement du texte, mais une amélioration »

Au Sénat, la majorité LR-UDI ne devrait pas donner son blanc-seing. « Globalement, à la différence du premier PLFR, on n’est pas sur un vote conforme » annonce à publicsenat.fr Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat. Il y aura donc une commission mixte paritaire (CMP).

« Avec le premier PLFR, on avait un problème réel d’urgence. Il fallait ouvrir des mécanismes de garanties aux banques et le fonds de solidarité. Ce PLFR 2 comble les lacunes du premier PLFR. Ça va dans le bon sens. Le texte doit néanmoins être amélioré pour veiller à ce qu’il n’y ait quasiment plus de trous dans la raquette » explique le rapporteur général. Il ajoute :

On souhaite ne laisser personne au bord de la route.

Albéric de Montgolfier précise bien que « ce n’est pas un bouleversement du texte, mais une amélioration, qui j’espère devrait permettre d’aboutir en CMP ». Il est d’ailleurs en lien avec les cabinets des ministres. Il s’agit donc de compléter le dispositif « de sauvetage ». « Pour les mesures de relance, on aura sans doute un troisième PLFR en mai » prévient déjà le sénateur d’Eure-et-Loir.

Aider « les secteurs sinistrés » de la culture, du tourisme et de la restauration

Le rapporteur, qui a « travaillé tout le week-end », va encore « travailler toute la nuit » pour finaliser ses derniers amendements, qui seront examinés demain matin par la commission des finances. Mais il nous en donne déjà les grandes lignes.

Plus qu’un report, Albéric de Montgolfier va proposer, pendant la durée de la crise sanitaire, « l’annulation des charges dans le secteur de la culture, du tourisme et de la restauration, qui sont les plus impactés. Ils ne pourront pas rouvrir le 11 mai, alors que ce sont les meilleurs mois d’activité. Pour les festivals, les musées, c’est compliqué. Pour les théâtres, c’est impossible. Ce sont des secteurs sinistrés. Pour les traiteurs, c’est une catastrophe. Il n’y a plus de mariage ». Les impôts sont aussi visés par l'amendement.

Il s’agit d’une mesure demandée par ces secteurs. Le ministre Gérald Darmanin a lui-même annoncé travailler à ces annulations de cotisations. Le Sénat devance ainsi l’exécutif.

Techniquement, c’est un crédit d’impôt qui est mis en place. L’amendement instaure ainsi, pour les entreprises « faisant l'objet d'une prolongation de mesures d'interdiction d'ouverture au public au-delà du 11 mai 2020 », un « crédit d’impôt correspondant aux impôts directs dus en 2020 » et aux « cotisations et contributions sociales » pour une durée de « cinq mois, entre mars et juillet 2020 ».

Baisse de la TVA sur les surblouses et les gants à 5,5% et 2 milliards d'euros de plus pour les entreprises

Autres amendements du rapporteur : porter le fonds de solidarité pour les entreprises de 7 milliards à 9 milliards d’euros, soit 2 milliards de plus. Une mesure qui vise notamment, là aussi, les secteurs de la restauration et de la culture, qui seront toujours à l’arrêt après le 11 mai.

Albéric de Montgolfier veut aussi abaisser de 20 à 5,5% la TVA pour les « tenues de protection adaptées à la lutte contre l’épidémie », autrement dit les surblouses ou les gants.

Contrôle du Parlement en cas de nationalisation

Le rapporteur général va aussi défendre un amendement pour défiscaliser les heures supplémentaires sans plafond. « Des personnes les acceptent, il faut les encourager » dit-il.

Albéric de Montgolfier souhaite aussi « avoir un contrôle du Parlement sur la prise de participation de l’Etat dans les entreprises ». Autrement dit, « si demain, l’Etat doit nationaliser ou prendre des participations dans Air France ou Renault, il faut un contrôle de la commission des finances ».

Autre idée : en cas de refus d’un prêt à une entreprise par une banque, que le dossier puisse automatiquement passer par le dispositif qui permet à l’Etat de lui-même prêter.

Faire contribuer davantage les assurances ?

Du côté des sénateurs LR eux-mêmes, on trouvera d’autres amendements, comme des avantages fiscaux en faveur du mécénat et des dons privés à l’aide alimentaire et la recherche médicale. Le sénateur LR de la Sarthe, Jean-Pierre Vogel, entend lui venir en aides aux « poney-clubs et centres équestres » et fixant la TVA à 5,5% « sur l’ensemble des prestations facturées à compter de la reprise de l’activité ».

Un amendement vise aussi les compagnies d’assurance pour qu’elles aident le fonds de solidarité, davantage que les 200 millions d’euros initiaux, alors que les sinistres sont en baisse, comme les accidents de la route. Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, propose ainsi « une hausse progressive en 2020 et 2021 de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurances ». « Selon les chiffres de la fédération française de l'assurance », la baisse des sinistres permet d'économiser « entre 600 et 800 millions d'euros pour les seuls mois de mars et d'avril », « ce qui justifie d'affecter les recettes ainsi dégagées pour soutenir davantage les TPE et PME en grande difficulté » dit l’amendement.

Mais sur ce point, Albéric de Montgolfier n’est pas convaincu. « La situation est plus contrastée que ça. En assurance habitation, il n’y a pas beaucoup de sinistres. En revanche, les assurances en responsabilité civile commencent à exploser » souligne le rapporteur. Mais pour le futur, Albéric de Montgolfier propose de « travailler à la mise en place d’un régime pandémie où l’assurance prend en charge la perte d’exploitation, et en dernier lieu l’Etat ».

Aider les entreprises à condition de mesures pour le climat

Du côté du groupe centriste, la sénatrice Françoise Férat a déposé un amendement, au nom du groupe, qui risque de faire débat. Il propose, comme l’ont déjà fait en vain plusieurs députés, d’imposer des conditions écologiques pour les aides versées aux grandes entreprises. « Cet amendement vise à conditionner le soutien aux grandes entreprises (plus de 5 000 salariés ou chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros) à l’élaboration d’une stratégie interne de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre alignée sur les objectifs de l'Accord de Paris » explique l’amendement, avec publication « dans les douze mois » de l’empreinte carbone et d’un plan d’investissement pour concrétiser l’objectif. En cas de non-respect des engagements, « un régime de sanction » « pourra notamment prévoir les remboursements d'une partie des investissements de l'État ». L'écologiste Joël Labbé a déposé un amendement similaire.

Le gouvernement a prévu 20 milliards d’euros pour recapitaliser les entreprises en difficulté. Mais les ONG comme GreenPseace dénoncent « un chèque en blanc aux grands pollueurs des secteurs aérien, automobile et pétrolier ». Le ministre Bruno Le Maire répond qu’au contraire l’Etat demande aux entreprises « une politique environnementale ambitieuse ». Un amendement de la majorité a bien été adopté en ce sens à l’Assemblée, mais il ne contient aucune mesure contraignante…

Les centristes veulent une annulation des cotisations pour les PME en difficulté

Autre amendement du groupe Union centriste, présenté par son président Hervé Marseille, pour « transformer le report » de cotisation et impôts pour les entreprises, « une annulation pure et simple » pour les PME, TPE et travailleurs indépendants les plus impactés.

Parmi une série d’amendements, Nathalie Delattre propose notamment d'instituer un crédit d'impôt en faveur des investissements publicitaires réalisés dans les médias d'information. Une manière de soutenir la presse. La sénatrice dépose un autre amendement, avec des sénateurs LR, pour aider le secteur viticole pour « appliquer le taux réduit de 5,5% sur la taxe sur la valeur ajoutée perçue sur les boissons d’origine viticole ».

Toujours au groupe Union centriste, à noter cet amendement de Nathalie Goulet pour que les fonds de solidarité aux entreprises « ne s'appliquent pas aux entreprises dont des filiales ou établissements sont établis dans des paradis fiscaux ou des territoires non coopératifs ».

Le PS propose le retour d’une forme d’impôt de solidarité sur la fortune

Pour le groupe socialiste, c’est bien mais peut mieux faire. « Globalement, on n’est pas hostile à ce qu’il y a dans ce PFLR : augmentation des crédits de chômage partiel ou garanties d’emprunt. Mais il y a des trous dans la raquette : rien au niveau des ressources ou pour les aides particulières » pointe Vincent Eblé, président PS de la commission des finances du Sénat. Le sénateur de Seine-et-Marne souligne que le gouvernement « fait le choix d’un financement intégral des mesures par le déficit et la dette. Il n’y a aucune inflexion des recettes ».

« Les contribuables les plus fortunés pourraient contribuer de façon exceptionnelle » estime le socialiste. Le groupe PS va ainsi défendre un amendement pour « rétablir une forme d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) », pour revenir sur le prélèvement forfaitaire unique (PFU) et également pour augmenter le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 à 0,5%.

Fonds d’aide pour les étudiants

Vincent Eblé vise aussi « le secteur de l’assurance et le secteur bancaire. On pourrait appeler ces branches à un effort. Pour les assurances, elles pourraient contribuer a minima à hauteur de ce qu’elles économisent en couverture de sinistre. Les cambriolages sont en baisse, ça joue aussi sur l’assurance habitation ». De quoi donner une majorité sur ce sujet avec certains sénateurs LR, lors de la séance ? D’autant que les sénateurs communistes visent également l’assurance (voir plus loin).

Le groupe PS « propose aussi un certain nombre de fonds d’aide, notamment dans plusieurs secteurs de la culture : spectacle vivant, qui comprend la musique, les arts visuels, la question des auteurs aussi, car les recettes des auteurs de la SACD (art dramatique) et de la Sacem (musique) en baisse ». Les sénateurs PS vont aussi défendre des fonds « pour les étudiants et pour les professionnels de santé ».

Primes pour les personnels des Ehpad, les salariés à domicile et les personnels soignants

Amendement encore du sénateur PS Olivier Jacquin. Il vise à « créer un fonds de soutien doté de 2,5 milliards d’euros à destination de l’ensemble des travailleurs et travailleuses qui sont en première et en seconde ligne ».

Un autre pour financer, avec un budget de 600 millions d’euros, une prime de 1.000 euros pour chaque personne travaillant dans un Ehpad, qu'il soit public ou privé. Prime aussi de 1.000 euros pour les salariés à domicile, pour un total de 1,6 milliard d’euros, ou pour les personnels soignants, avec 300 millions supplémentaires. Il est aussi proposé de créer un fonds d’urgence de 280 millions d’euros pour les sociétés de l’audiovisuel public. Un amendement de David Assouline.

A noter, cet amendement du sénateur PS, Franck Montaugé, pour créer un fonds d’aide de 250 millions d’euros pour le secteur de la restauration et de l’hôtellerie. Le sénateur PS de Guadeloupe, Victorin Lurent, propose, lui de créer un « plan d’urgence et de relance économique Outre-mer » 60 millions d’euros. Amendement aussi de Laurence Rossignol pour créer un fonds d’urgence d’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse doté de 300.000 euros.

Les communistes veulent taxer les « très hauts revenus »

Du côté du groupe CRCE (à majorité communiste), on retrouve des sujets de convergence avec les socialistes. « On va proposer de rétablir l’ISF et de supprimer la PFU » prévient le sénateur PCF Eric Bocquet. A défaut d’un retour de l’ISF, supprimé par Emmanuel Macron, les sénateurs communistes proposeront « une contribution exceptionnelle sur la fortune, à hauteur de 3,5 milliards d’euros, soit ce que rapportait l’ISF, pour ceux qui y étaient assujettis, soit 358.000 foyers ». Autre idée du même ordre : « Taxer davantage les très hauts revenus, supérieur à 200.000 euros, ou créer une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu, à 50% » explique le sénateur PCF du Nord.

Le groupe communiste propose aussi de faire contribuer les banques et l’assurance. Eric Bocquet souhaite que ces dernières participent à hauteur d’un milliard d’euros au fonds de solidarité pour les entreprises.

300 euros par mois pour les plus pauvres

Alors que « les inégalités augmentent », Eric Bocquet veut par ailleurs « porter les aides mensuels à 300 euros pour les bénéficiaires des minima sociaux, les chômeurs non indemnisés et les étudiants boursiers », alors que le gouvernement a prévu une aide unique de 150 euros.

Les sénateurs communistes proposent aussi la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité et la baisse de la TVA à 0% pour les masques et gels. Le tout financé par une hausse de la TVA sur les produits de luxe.

Enfin le groupe CRCE veut aider les collectivités, avec notamment une augmentation de la dotation globale de fonctionnement de 5 milliards d’euros et la suspension de la suppression de la taxe d’habitation, pour les 20% des revenus les plus riches.

Suspension du délai de 6 mois pour les déclarations de succession

Au groupe LREM du Sénat, un amendement de son président François Patriat, pour ne pas limiter la baisse de la TVA aux seuls gels hydroalcooliques, et ainsi en faire bénéficier les produits « biocides désinfectants », ce qui inclut « les produits d’origine naturelle ».

A noter enfin plusieurs amendements des sénateurs Jean-Pierre Grand, Cyrile Pellevat (LR), Loïc Hervé (UDI), qui visent à permettre aux monuments historiques recevant du public, détenu en nom propre ou en SCI, de bénéficier du prêt garanti par l’Etat.

Amendement aussi de Jean-Pierre Grand, qui pense aux nombreuses familles touchées par un deuil en cette période. Il propose « de suspendre le délai de six mois pour l’enregistrement des déclarations de succession entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ».

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