Encore un ultimatum. A la fin de la semaine, « nous saurons si nous allons à la dissolution ou pas », a assuré Olivier Faure sur LCI dimanche 26 octobre, arguant que le rejet de la taxe Zucman, ou de sa version « light », dans l’hémicycle, conduirait les socialistes à censurer le gouvernement Lecornu II. Pourtant, un tel scénario pourrait être compromis par un calendrier budgétaire resserré, et la fenêtre d’une dissolution se refermer.
Une dissolution après le 9 novembre, « ça semble impossible »
L’article 12 de la Constitution prévoit un délai de vingt à quarante jours entre l’organisation des élections et l’annonce de la dissolution par le président de la République. Selon Benjamin Morel, interrogé dans l’Opinion, ce calendrier rendrait presque impossible une telle décision après le 15 novembre. En effet, « on voit bien que le calendrier ne tient pas », affirme la juriste spécialiste du droit constitutionnel Anne-Charlène Bezzina, « la date du 15 novembre n’est ni légale, ni constitutionnelle, mais de bon sens ».
Pour le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, la deadline s’arrêterait même au 9 novembre : « Avec un premier tour au 30 novembre et un second au 7 décembre, au plus tôt ». « Plus tard, ça semble impossible », la nouvelle Assemblée élue devant se réunir le deuxième jeudi suivant son élection, « soit le 18 décembre dans cette hypothèse », explique le professeur de droit public. « Si on décale encore d’une semaine, leur première réunion se tiendrait le 25 décembre », souligne-t-il, « ce qui ne me paraît pas être le jour propice », rappelant que l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, impose le dépôt d’une loi spéciale, avant le 19 décembre, en l’absence d’un budget. Ce texte court et technique autorise l’exécutif à continuer à percevoir les impôts existants, dans l’attente d’une loi de finances complète. « Il faut donc que l’Assemblée nationale puisse se réunir avant cette date », si le Parlement était amené à se prononcer sur un tel texte, ce qu’avait fait le gouvernement démissionnaire de Michel Barnier. Présentée en conseil des Ministres le 11 décembre 2024, la loi spéciale avait été adoptée à l’unanimité par la chambre basse le 16, et par le Sénat le 18.
Autre possibilité face aux blocages parlementaires, le gouvernement peut demander au Parlement de voter sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances, celle relative aux recettes, avant le 11 décembre, et réserver les débats sur la partie « dépenses » à janvier 2026. Une piste qui semble néanmoins aussi compromise face à une dissolution qui tarderait à arriver.
Vers un recours inédit aux ordonnances ?
A son arc, l’exécutif possède une troisième et dernière corde : la possibilité de recourir aux ordonnances, prévue à l’article 47-3 de la Constitution. « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». Jamais utilisées sous la Ve République, elles soulèvent toutefois une ambiguïté sur le terme « prononcé ». En cas de censure, ce recours « paraît possible dans un but de continuité de l’État d’adopter un budget, même de manière autoritaire », explique Anne-Charlène Bezzina. Et Jean-Philippe Derosier de confirmer qu’un gouvernement démissionnaire pourrait émettre des ordonnances « parce qu’il serait chargé de la gestion des affaires courantes, qui recouvrent deux aspects : les décisions purement techniques de mise en œuvre, et les décisions urgentes ». Toutefois, « il faut qu’aucune des deux assemblées ne se soit prononcée sur le texte, or si l’Assemblée nationale rejette la première partie du budget, cela vaut pour l’ensemble du budget, et cela signifiera qu’elle s’est ‘prononcée’, et donc plus de recours possible aux ordonnances ». Et après une dissolution ? Les avis divergent. Benjamin Morel soutient qu’elle rendrait le projet de loi de finances en cours d’examen caduc, là où Jean-Philippe Derosier s’autorise à supposer : « Si on fait office d’ingénierie constitutionnelle, on peut interpréter que, si l’Assemblée nationale est dissoute, alors effectivement elle ne s’est pas prononcée, mais pour rendre cette hypothèse possible, il faudrait encore savoir à quel moment les soixante-dix jours échoient ».
Renommer Sébastien Lecornu, à l’infini ?
Une autre piste pourrait se dessiner, avec un président de la République qui attendrait le vote d’une loi spéciale avant de dissoudre l’Assemblée nationale. « Ce serait sans doute la solution la plus confortable d’un point de vue institutionnel », reconnaît le maitre de conférences en droit public Gilles Toulemonde. Et Anne-Charlène Bezzina d’ajouter : « A peine renversé, le Premier ministre démissionnaire dépose une loi spéciale et le budget continue de s’appliquer jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé avec un nouveau Premier ministre, voire une nouvelle Assemblée ». Nommer Sébastien Lecornu une troisième fois ne serait d’ailleurs pas « constitutionnellement interdit pour Emmanuel Macron », observe Jean-Philippe Derosier, « mais ce serait une provocation politique ». « Et je ne vois pas trop sur quel attelage le gouvernement pourrait tenir à moins d’être renversé toutes les 48 heures », poursuit Anne-Charlène Bezzina. Reste à voir quelle partition politique l’hôte de l’Élysée choisirait de jouer.
« On a toujours bricolé »
Sans budget au 31 décembre, « on n’est quand même pas aux États-Unis, avec le shutdown », temporise Gilles Toulemonde. Le juriste ne croit pas en une impasse « insurmontable », même en cas de dissolution tardive. « Ça poserait des difficultés bien sûr, mais on a toujours bricolé ». Le 24 décembre 1979, le Conseil Constitutionnel avait censuré intégralement la loi finances adoptée. En l’absence à l’époque d’une LOLF, qui organise les lois de finances, l’équivalent d’une loi spéciale avait quand même pu être « immédiatement adopté pour reconduire les budgets », explique Jean-Philippe Derosier. Une telle solution, par loi spéciale ou par ordonnances, pourrait aujourd’hui, exceptionnellement, prendre « une forme à la marge de la Constitution voire contraire à la Constitution ». Des propos corroborés par Gilles Toulemonde : « Je ne vois pas ce qui interdirait les constituants de créer de toutes pièces une nouvelle clé », pour sortir d’un tel cul-de-sac.