« C’est Macron, ou la France » : à Arras, l’ultimatum de la dernière chance de Marine Le Pen

« C’est Macron, ou la France » : à Arras, l’ultimatum de la dernière chance de Marine Le Pen

En meeting à Arras (62), Marine Le Pen a jeté ses dernières forces dans la bataille. La candidate du Rassemblement national mise clairement sur un rejet, une haine, presque, du Président sortant pour convaincre. Jusqu’à pousser ses militants au dérapage.
Louis Mollier-Sabet

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« It’s the final countdown. » La playlist sur laquelle les 3000 militants RN commencent à remplir le Parc des expositions d’Arras, dans le Pas-de-Calais, sonne à propos. À trois jours du second tour, il ne reste plus que quelques heures à Marine Le Pen pour inverser la tendance, puisque la campagne électorale prendra fin vendredi à minuit. En position d’outsider dans ce remake du duel perdu de 2017, la candidate du Rassemblement national n’a pas vraiment convaincu les observateurs lors du débat de mercredi soir. Mais aura-t-elle su toucher des citoyens plus éloignés de la politique ? Les militants présents veulent croire que le « calme » et le « sérieux » dont a fait preuve leur championne face à Emmanuel Macron aura su convaincre des indécis. Ils récusent les critiques sur une prétendue faiblesse de Marine Le Pen dans le débat. « Quand elle est offensive, on dit qu’elle attaque trop et qu’elle est agressive, quand elle est calme on dit qu’elle n’attaque pas assez. Je pense qu’elle a trouvé un bon équilibre hier soir », affirme par exemple un jeune militant de la Nièvre. Un autre militant venu de Lorraine estime que Marine Le Pen a « progressé », à la fois « sur le fond » et « dans la maîtrise d’elle-même. »

Débat : un Emmanuel Macron « nonchalant, condescendant et d’une arrogance sans limite »

On sent que la campagne bat son plein dans cette dernière ligne droite, parce que les militants sont parfaitement raccords avec le porte-parole du Rassemblement national, Julien Sanchez : « Le but, hier, n’était pas de parler à nos électeurs mais aux abstentionnistes, et à tous ceux qui ne veulent plus d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen a bien fait de ne pas répondre aux provocations du chef de l’Etat et de rester au-dessus de la mêlée. » Le Rassemblement national espère mobiliser un front anti-Macron face au front républicain prétendument fissuré, et notamment en allant chercher les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, « qui ne voudront pas de la retraite à 65 ans » d’après Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, à 25km de là. Au moment de débriefer la prestation de leur candidate, les militants RN sont d’ailleurs surplombés par deux affiches géantes qui encadrent l’estrade du Parc des Expositions d’Arras, où figure le slogan de deuxième tour de Marine Le Pen : « Pour tous les Français. » Le message est clair. « On va gagner », scandent les militants pour s’échauffer.

Enfin, Marine Le Pen arrive. Et elle se montre moins tendre avec Emmanuel Macron qu’hier soir, en dénonçant un Président « nonchalant, condescendant et d’une arrogance sans limite. » La candidate du Rassemblement national ajoute : « Un Président ne devrait pas se tenir comme ça », espérant probablement ainsi que l’attitude du chef de l’Etat l’handicapera autant que les propos de François Hollande recueillis par Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Un Président ne devrait pas dire ça [Stock]. « Son dédain, c’est celui avec lequel il traite les Français depuis bientôt 5 ans. […] Emmanuel Macron n’aime pas les Français », poursuit Marine Le Pen, en entonnant en refrain qu’on lui connait bien depuis le début de la campagne. Celle que ses militants appellent « Marine » n’a eu de cesse de dépeindre le Président sortant comme froid et déconnecté, et c’est l’argument qu’elle compte pousser au bout dans ce sprint final.

« Comme si les millions de Français que je représente, avaient quoi que ce soit à voir avec l’extrême droite »

On l’a compris, la stratégie du Rassemblement national est de faire d’Emmanuel Macron un repoussoir plus fort que ne peut l’être Marine Le Pen. Celle-ci s’emploie donc à récuser « l’anathème » d’extrême-droite : « On a vu défiler les ministres hagards, et la litanie des arguments habituels de ceux qui n’ont pas d’arguments : l’anathème ‘d’extrême droite’, répété à tort et à travers, comme si vous qui êtes ici, comme si les millions de Français que je représente, avaient quoi que ce soit à voir avec l’extrême droite. » Ainsi le front républicain ne serait pas celui que l’on croit, parce que face à « la vision mondialiste et postnationale » d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen appelle… à faire barrage : « Il faut faire barrage à Emmanuel Macron. Or pour faire barrage, il faut voter, on ne s’abstient pas. Et on vote pour le seul front qui soit républicain, le front anti-Macron. »

Marine Le Pen prolonge l’argument en s’adressant à « la majorité silencieuse », qui « triomphera si elle décide de sortir de son silence. » La candidate du Rassemblement national entend rassembler une coalition populaire face à Emmanuel Macron et veut rassurer, par une sorte de dévoilement devenu récurrent dans les derniers meetings de Marine Le Pen : « Avec moi, il n’y aura plus aucune différence entre les Français, j’ai trop souffert, moi-même, d’injustices et de persécutions en raison du nom que je portais, pour que, chef de l’Etat, je puisse admettre, ne serait-ce qu’une seconde la moindre discrimination. » Résolument rassembleuse, elle va même jusqu’à s’adresser directement au « peuple de France », dans une anaphore qui conclut son discours : « Peuple de France, l’heure est venue de te lever. […] Peuple de France, le moment où tu pourras te rendre justice dans les urnes approche. » Par cette adresse, Marine Le Pen oppose le « peuple » à « ceux qui ont bradé [son] industrie » et « ceux qui ont mis les Gilets Jaunes par milliers sur les ronds-points de nos campagnes avant de les réprimer sans précédent. »

« Macron, décapitation »

Sur une terre frappée de plein fouet par la désindustrialisation, où Marine Le Pen a été élue conseillère régionale, puis départementale, la formule fait mouche. Les militants sont chauffés à blanc et Marine Le Pen pousse son argumentaire à fond. Elle exalte sa vision « nationale » et « fraternelle » autour « d’un Etat bienveillant », qu’elle oppose au « monde nomade et liquide » promis par le Président sortant. « Puisqu’Emmanuel Macron a voulu réduire ce rendez-vous à un referendum, banco ! » s’exclame finalement Marine Le Pen. Et à ce référendum, la question posée « sera assez simple : Macron, ou la France ? »

La rhétorique construite par Marine Le Pen tout au long du discours, et structurée autour de cet ultimatum final, arrache même un « Macron, décapitation » à un militant présent. Un dérapage à propos, dans la ville de naissance de Robespierre. Pas sûr que le clin d’œil historique soit prémédité, mais il n’en reste pas moins qu’il est révélateur de la ligne choisie par Marine Le Pen dans cette dernière ligne droite : après la dédiabolisation de Le Pen, voici venue l’heure de la diabolisation de Macron. Les cadres du Rassemblement national parient sur un rejet, voire une haine d’Emmanuel Macron. Pour Marine Le Pen il ne restait donc plus qu’à proposer une alternative, avec cet ultimatum, presque évident : c’est elle, ou c’est Macron. La colère sociale et le climat protestataire sont bien là, reste à savoir si Marine Le Pen arrivera à capitaliser politiquement et électoralement pour l’emporter dimanche.

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