Le Sénat n’a pas dit son dernier mot sur les cabinets de conseil, tant s’en faut. A l’initiative du groupe communiste, la Chambre haute s’est longuement plongée au cours de l’année écoulée sur le recours, par l’exécutif, à certains prestataires privés. La commission d’enquête parlementaire, - dont les conclusions ont fait grand bruit en marge de la campagne présidentielle - a abouti à une proposition de loi, adoptée par le Sénat à l’unanimité des votants en octobre dernier, afin de mieux encadrer l’emploi des consultants extérieurs par l’administration. Néanmoins, les élus estiment que ce chapitre n’est pas tout à fait clos. Alors que ce texte attend depuis plus d’un mois d’être inscrit à l’agenda de l’Assemblée nationale, ses deux coauteurs, Éliane Assassi (PCF) et Arnaud Bazin (LR), ainsi que la rapporteure Cécile Cukierman (PCF), ont déposé ce lundi 28 novembre un amendement au budget 2023, en cours d’examen au Sénat, pour tenter de réintroduire l’une de leurs mesures phares : la publication annuelle d’un document retraçant l’ensemble des prestations fournies à l’Etat par des cabinets de conseil.
« Il se trouve qu’on ne peut faire passer cette mesure que via un projet de loi de finances (PLF). Il fallait saisir cette occasion, qui ne se représentera pas avant un an. Et puis, c’est aussi une manière de faire vivre le sujet, je ne le cache pas », assume auprès de Public Sénat Arnaud Bazin. Le manque de transparence sur les activités de consulting avait été l’un des principaux griefs adressés par les sénateurs au gouvernement. « On s’est rendu compte, dès la première audition, que personne n’était capable de nous dire quelle était la totalité de la dépense engagée pour les missions de conseil », rappelle l’élu. Au terme d’une quarantaine d’entretiens et après l’étude de quelque 7 300 documents, les sénateurs en sont arrivés à la conclusion que le gouvernement et les opérateurs publics avaient dépensé plus d’un milliard d’euros dans ce type de prestation en 2021. « Un chiffre qui a doublé par rapport à 2018 », souligne Arnaud Bazin et une tendance qui, au-delà du pic enregistré pendant la crise sanitaire, n’a fait que s’accroître au cours des dernières années.
« Dans ce que le gouvernement propose, il n’y a plus rien »
L’exécutif a indiqué vouloir rectifier le tir. Depuis cet été, le budget accordé à chaque mission de consulting est désormais limité à 2 millions d’euros. Élisabeth Borne, la Première ministre, a également demandé aux différents ministères de réduire de 15 % leur recours aux cabinets de conseil. Enfin, dans la même lignée, le gouvernement a voulu, via l’article 40 du PLF, mettre en place de son propre chef le document de suivi réclamé par les sénateurs. Un gage de bonne volonté à l’égard des travaux de la Haute Assemblée ? Pour les élus, le compte n’y est pas, en raison des nombreuses restrictions posées par l’exécutif, qui entend se soustraire à l’obligation de transparence pour les missions ayant trait au secret de la défense nationale, à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes, à la sécurité des systèmes d’information, au secret des affaires, ou encore lorsqu’il s’agit « de la protection du patrimoine scientifique et technique de la Nation ».
« Dans ce qu’ils proposent, il n’y a plus rien », s’agace Éliane Assassi. « C’est un document lacunaire et incomplet. La démarche de l’exécutif n’est pas négligeable mais notoirement insuffisante », abonde Arnaud Bazin. Les sénateurs reprochent au gouvernement de vouloir « dévitaliser » leur initiative. Les éléments dont ils demandent la publication dans leur amendement, comme la date de notification de la prestation et sa période d’exécution, le ministère bénéficiaire, ou encore le montant de la prestation, ne tombent pas nécessairement sous le coup du périmètre restreint défini par l’exécutif, soutiennent-ils. « Le gouvernement convoque le secret des affaires, qui n’est toutefois pas applicable aux informations demandées dans la liste des prestations de conseil ». Le secret-défense, en revanche, semble impossible à contourner.
Deux informations judiciaires sur les campagnes présidentielles d’Emmanuel Macron
Cet amendement, qui sera examiné lundi 5 ou mardi 6 décembre, devrait être adopté sans difficulté par le Sénat, au regard du consensus autour de la proposition de loi dont il est extrait. Notons qu'un amendement similaire a également été déposé par la sénatrice centriste Nathalie Goulet, la semaine dernière, et réclame la publication d'un « jaune » budgétaire « retraçant le recours des administrations et des ministères aux cabinets de conseil, et détaillant les prestations ainsi que les montants engagés ».
En revanche, le maintien d'une telle obligation dans la version finale du budget est sujet à caution, la fragmentation politique à l’Assemblée nationale ne laissant que peu de doute sur un nouveau recours au 49.3. « Visiblement, la polémique sur les cabinets de Conseil soulève toujours autant d’émotion », relève Éliane Assassi. Une référence à l’actualité des derniers jours ; le parquet national financier ayant annoncé jeudi 24 novembre l’ouverture de deux informations judiciaires sur le recours à des cabinets de conseil dans les campagnes électorales d’Emmanuel Macron. « L’exécutif aurait tout intérêt, pour envoyer des signaux, à conserver notre amendement, mais aussi à faire inscrire notre proposition de loi à l’agenda de l’Assemblée », poursuit celle qui est aussi présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE). « On attend désormais des preuves de la bonne volonté du gouvernement », ajoute Arnaud Bazin.