Cabinets de conseil : « Aucune leçon n’a été tirée », reproche Éliane Assassi
Un marché important de prestations de conseil conclu dans l’été, un journal qui ne parvient pas à se faire communiquer des documents, ou encore un nouveau cadre jugé décevant : l’actualité récente donne du grain à moudre aux anciens ténors de la commission d’enquête sénatoriale sur les cabinets de conseil. Autant d’exemples qui justifient leur proposition de loi qui sera débattue en octobre, selon eux.

Cabinets de conseil : « Aucune leçon n’a été tirée », reproche Éliane Assassi

Un marché important de prestations de conseil conclu dans l’été, un journal qui ne parvient pas à se faire communiquer des documents, ou encore un nouveau cadre jugé décevant : l’actualité récente donne du grain à moudre aux anciens ténors de la commission d’enquête sénatoriale sur les cabinets de conseil. Autant d’exemples qui justifient leur proposition de loi qui sera débattue en octobre, selon eux.
Guillaume Jacquot

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Six mois ont passé depuis la publication du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le recours de l’Etat aux cabinets de conseil. En cette rentrée, le sujet reste brûlant d’actualité, si ce n’est inflammable, alors que se profilent de nouvelles règles pour encadrer plus sévèrement et rationaliser ce que les parlementaires avaient appelé un « phénomène tentaculaire ».

Le Sénat s’apprête en effet à examiner au cours de la semaine du 17 octobre (selon nos informations) la proposition de loi transpartisane reprenant les préconisations formulées par la commission d’enquête, dans le rapport d’Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), à l’origine de la commission. Le texte, présenté le 21 juin, vise notamment à mettre fin à l’opacité qui régnait sur ce type de dépense et à durcir le cadre déontologique. « On a un grand rendez-vous avec cette proposition de loi. On verra quelle est la position du gouvernement », met au défi l’ancien président de la commission d’enquête, Arnaud Bazin (LR).

Mis sous pression depuis l’hiver, en plein cycle d’auditions sénatoriales, le gouvernement a présenté fin juillet un nouveau cadre pour la passation de contrats entre l’Etat et les cabinets de conseil, à partir de 2023. Entre le plafonnement du coût unitaire des missions à deux millions d’euros et la limitation des prestations consécutives pour une même entreprise, Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques a également fait de la « transparence » son mantra. Plusieurs révélations ces dernières semaines font toutefois désordre dans ce dossier dans lequel l’exécutif tente de reprendre la main.

« On est encore loin de la transparence que nous souhaitons », dénonce Arnaud Bazin

En juillet, l’Union des groupements d’achats publics (UGAP), la centrale d’achat publique, placée sous la tutelle de Bercy, a conclu un nouveau marché en prestation de conseil, lancé fin 2021. Dans ce marché plafonné à 375 millions d’euros, conclu pour des prestations de conseil en stratégie, organisation, finance et immobilier, une quinzaine de sociétés ont été retenues, révélait l’Obs. L’hebdomadaire a notamment mis en lumière une progression marquée de l’enveloppe dédiée au conseil en stratégie. Sa valeur pourrait atteindre jusqu’à 75 millions d’euros. Selon le site d’information spécialisé Consultor, le montant de ce lot est d’au minimum 25 millions d’euros, ce qui représente le double de ce qui avait été attribué en 2019. L’attribution intervient dans une année où le gouvernement s’est engagé à réduire de 15 % en volume ses dépenses en conseil extérieur (relire notre article).

« Avec des marchés qui passent au creux de l’été, avec des montants qui interrogent, on peut se poser des questions », observe le sénateur Arnaud Bazin, en relevant au passage que ces prestations ne comprennent pas le conseil en informatique. « Cela indiquerait une forte augmentation, ce qui ne va pas trop dans le sens de l’histoire. On est encore loin de la transparence que nous souhaitons et à laquelle le gouvernement semblait s’être rallié verbalement », ajoute-t-il. Plus embêtant encore, pour le sénateur du Val-d’Oise, le marché UGAP peut « apparaître comme un contournement » du nouvel accord-cadre de la Direction interministérielle de la transformation (DITP), signé cet été par le gouvernement. « A côté du marché DITP, on a un marché beaucoup plus important ! »

Insatisfaite par l’accord-cadre rénové par le gouvernement fin juillet, Éliane Assassi considère elle aussi que les montants du contrat estival sont « encore un peu trop importants ». La sénatrice n’en dira pas plus, préférant réserver son argumentaire pour le débat parlementaire d’octobre.

L’Obs a également relevé un autre élément. Dans la liste des prestataires retenus par le marché UGAP figure le cabinet McKinsey. Ce cabinet américain réputé, qui a notamment épaulé le ministre de la Santé durant la crise sanitaire, fait actuellement l’objet d’une enquête du Parquet national financier pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale », à la suite de révélations du Sénat sur sa situation fiscale. La firme américaine tient à préciser qu’elle a été choisie avec d’autres cabinets uniquement en tant que « suppléant », le « rang 2 » selon la terminologie de l’UGAP. Elle ne peut être sollicitée « que dans le cas, rarement observé en pratique dans ce type de contrat, d’une défaillance dûment constatée du groupement attributaire de rang 1 », a détaillé McKinsey dans un communiqué le 7 septembre.

Interrogé sur France Inter ce 12 septembre, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a souligné que le marché a été conclu « en conformité parfaite avec la loi ». « Il peut y avoir une enquête fiscale sur une entreprise qui a le droit de fonctionner et de faire appel à des marchés publics », a justifié l’ancien ministre de la Santé, qui vient de publier son journal de bord de la crise. Il n’en demeure pas moins que « d’un point de vue politique, c’est une question embarrassante », reconnaît le sénateur Arnaud Bazin.

« Tout concourt pour donner raison à notre rapport », pour Éliane Assassi

Le feuilleton estival des cabinets de conseil ne s’arrête pas là, puisque Le Monde a dénoncé dans un article du 5 septembre le manque de célérité de l’exécutif à lui communiquer des documents publics. Le quotidien du soir sollicite depuis février auprès de l’Elysée la liste et le contenu des missions de conseil menées depuis 2017. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a donné un avis favorable à la requête des journalistes. La présidence de la République justifie ces délais par la « charge de travail disproportionnée » requise pour masquer les données commerciales présentes sur les documents. Le journal fait face à la même attente du côté des ministères, depuis février. Là encore, Le Monde est appuyé par la CADA. Un manque d’entrain qui agace au Sénat. « Il est tout à fait inacceptable que des documents qui doivent être communiqués, selon l’avis de la CADA, ne le soient pas. On ne peut pas trouver cela normal dans une démocratie », soutient le sénateur Arnaud Bazin.

Une chose est certaine, les épisodes de l’été sur le front des cabinets de conseil n’ont pas entamé la détermination des sénateurs à légiférer. C’est même le contraire. « Tout concourt pour donner raison à notre rapport et aux recommandations que nous avons faites. Aucune leçon n’a été tirée », conclut Éliane Assassi. « Cela démontre que notre proposition de loi est toujours aussi indispensable », renchérit son camarade Arnaud Bazin. La semaine prochaine, la commission des lois devrait désigner le ou la future rapporteur(e) du texte.

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