25 millions d’euros. Cette somme représente le montant global des prestations délivrées par différents cabinets de conseil dans le cadre de la crise sanitaire, selon La Lettre A. Le chiffre choque et a entraîné, au Sénat, la création d’une commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseils privés dans les politiques publiques. Initiée par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), la commission d’enquête a débuté son cycle d’auditions jeudi 2 décembre.
Après avoir reçu le délégué interministériel à la transformation publique, Thierry Lambert, les sénateurs ont auditionné le politologue et sociologue, Frédéric Pierru. Ce chercheur au CNRS s’est notamment fait connaître pour ses nombreux ouvrages sur les politiques de santé et l’hôpital. De ses enquêtes, il a conçu une image peu reluisante des cabinets de conseil aujourd’hui sous le feu des projecteurs.
Politique publique : comment les consultants se sont imposés ?
« Ce n’est pas moi qui suis venu aux consultants, ce sont eux qui se sont imposés à moi lors de mes enquêtes sur les réformes hospitalières des années 2000, relate Frédéric Pierru. Dans la fabrique des politiques hospitalières, ces acteurs sont devenus de plus en plus omniprésents. »
Selon le chercheur, la présence des cabinets de conseil est restée relativement marginale jusqu’aux années 90. « A partir des années 2000, on a vu un alignement de la France sur les pratiques des pays anglo-saxons notamment dans l’appel aux grands cabinets de conseil », rapporte-t-il.
Un constat également partagé par l’ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy qui, sur France culture, expliquait sans ambages que cette période correspond au « démantèlement des administrations centrales ». « On fait peser sur l’Etat central l’essentiel de la charge de réduction du déficit public, on prive les administrations centrales de moyens et on a recours à des agences », développait Emmanuelle Mignon.
Férédéric Pierru n’explique pas autre chose devant les sénateurs. Il évoque un « paradoxe du serpent » qui veut que « les préconisations des cabinets de conseil affaiblissent les ressources de la sphère publique qui dépend dès lors de plus en plus d’eux ». Et il en veut pour preuve les anecdotes collectées lors de ces enquêtes.
En 2009, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, prépare la loi hôpital patient santé territoire. « Son conseiller - le responsable du dossier ARS - venait de McKinsey et y est reparti juste après », assure-t-il. Il évoque également « le groupe ARS » au ministère où « il y avait plus de consultants de Capgemini que de hauts fonctionnaires ».
La présence de ces cabinets de conseil a eu un certain de nombre de conséquence, d’après le chercheur. Premièrement, l’administration devenue « dépendante » des cabinets de conseil perd des compétences et des savoirs faire. Par ailleurs, les fonctionnaires de terrain se trouvent affectés par cette omniprésence.
« Les cabinets de conseil ont été les opérateurs d’une centralisation croissante de la gouvernance du système de santé »
« Les cabinets de conseil ont été les opérateurs d’une centralisation croissante de la gouvernance du système de santé », explique Frédéric Pierru. Cette « autonomisation des décideurs » sur la mise en œuvre des politiques est, ici, jugée délétère. « Il faudrait une gouvernance inverse où l’on réinvestirait l’échelon territorial de proximité et où l’on remédicaliserait la gouvernance des hôpitaux ».
Lors de l’audition, le président de la commission d’enquête, Arnaud Bazin (LR), a soulevé un paradoxe. La description de la faiblesse de l’administration sanitaire l’interrogeant au vu des effectifs : « On nous dit que dans les hôpitaux on a 34 % d’administratifs contre 20 % en Allemagne et que ça marche mieux en Allemagne ». Pas étonnant pour le chercheur qui constate une multiplication « des bureaucraties de contrôles plutôt que des fonctionnaires opérationnels ».
La commission d’enquête poursuivra ses auditions dans les prochaines semaines. Elle rendra son rapport au cours du mois de mars 2022, c’est-à-dire éloigné du mieux possible du premier tour de l’élection présidentielle (10 avril) pour ne pas être éclipsée.