Cabinets de conseil : le gouvernement annonce une « nouvelle doctrine », jugée tardive par les sénateurs

Cabinets de conseil : le gouvernement annonce une « nouvelle doctrine », jugée tardive par les sénateurs

La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques a annoncé un meilleur encadrement du recours à l’expertise externe à l’administration, devant la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil. Son président observe que l’annonce intervient en fin de quinquennat.
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En bonne élève, Amélie de Montchalin a bien préparé son audition au Sénat, qui s’est tenue ce 19 janvier. La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques n’a pas seulement réfléchi aux réponses à apporter à la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil, elle a saisi l’occasion pour présenter ses solutions et surtout l’engagement du gouvernement d’être désormais plus vigilant à l’avenir sur le recours à des prestations de conseil extérieur. Une annonce est à retenir. Jean Castex va signer, « dans les prochains jours », une circulaire pour remettre de l’ordre et réduire le nombre de contrats passés avec des consultants extérieurs.

À moins de trois moins de l’élection présidentielle, l’exécutif cherche à corriger le tir sur les dépenses de conseil en stratégie. L’émoi suscité dans l’opinion par les appels répétés de l’État à des cabinets de conseil durant la pandémie de covid-19, comme l’américain McKinsey (auditionné la veille au Sénat), n’est sans doute pas étranger à cette volonté politique. « Cette commission d’enquête intervient à un moment particulièrement opportun, dans la mesure où le gouvernement est sur le point de présenter sa nouvelle doctrine de recours aux consultants », a affirmé Amélie de Montchalin, dès le début de son audition.

La ministre s’est engagée à « au moins 15 % de baisse » du volume de dépenses en conseil extérieur pour l’année 2022, sur les sujets de transformation et de stratégie (c’est-à-dire hors dépenses liées à l’informatique). Elle a annoncé la préparation d’une « nouvelle doctrine » de recours à des cabinets de conseils externes, et la publication « dans les prochains jours » d’une circulaire du Premier ministre, sur laquelle le gouvernement travaille « depuis de longs mois ».

Au niveau du coût pour les finances publiques, Amélie de Montchalin a affirmé que l’actuel quinquennat s’était caractérisé par une « stabilisation des dépenses » en matière de conseil (hors informatique), en se référant à la Direction du Budget. « Sur la période 2018-2020, je peux vous dire qu’en moyenne les dépenses ont été de 145 millions d’euros [par an]. » Sur le même périmètre, la facture globale était de 135 millions d’euros entre 2011 et 2013, selon un rapport de la Cour des comptes.

« Une trajectoire d’augmentation de près de 60 % quand même entre 2018 et 2020 »

Le président (LR) de la commission d’enquête, Arnaud Bazin, a toutefois tempéré le message envoyé. « Étant entendu qu’en 2020, ce sont 170 millions d’euros dépensés, contre 107 en 2018. Donc on était sur une trajectoire d’augmentation de près de 60 % quand même entre 2018 et 2020. » Le sénateur du Val-d’Oise a même tenu à rajouter le poids des dépenses en conseil informatique (lesquelles n’incluent pas les prestations informatiques). « Il faut quand même qu’on l’annonce : en 2020, il était de 457 millions d’euros ». Un rapport de l’Assemblée nationale sur l’externalisation, conduit par Cendra Motin (LREM), avait lui constaté une inflation des dépenses de conseil depuis le début du quinquennat. « Il est possible que le niveau de recours aux cabinets de conseil soit en augmentation depuis 2017, quoique la situation varie selon les ministères. »

Anticipant les interrogations légitimes ou les critiques, la ministre a plaidé pour une approche « pragmatique », dénuée de toute « idéologie », vis-à-vis des cabinets de conseil. Lesquels se justifient, selon elle, lorsque l’administration est sursollicitée, quand une compétence ponctuelle manque dans les services ou encore en cas de recherche d’un « regard extérieur ». « Je ne condamne pas par principe le recours aux cabinets de conseil qui, dans certains cas bien identifiés, et sous certaines conditions, peuvent apporter un concours précieux à l’action publique. Pour autant, l’Etat ne peut pas faire l’économie d’une refonte de sa politique de recours aux cabinets de conseil. »

« Le sujet n’est pas de se projeter dans un futur quinquennat », rappelle à l’ordre la rapporteure Éliane Assassi

À l’avenir, l’exigence sera renforcée. Amélie de Montchalin précise que l’administration devra « faire la démonstration » qu’elle ne peut répondre à une demande sans une prestation externe, sous le contrôle de comités dans chaque ministère qui veilleront à la bonne adéquation entre les besoins et la prestation, et qui devront contrôler les prix. Elle a déclaré aux sénateurs qu’elle souhaitait un « suivi centralisé » de toutes les prestations de conseil commandées par les ministères. Ce manque de « vision d’ensemble » est très vite apparu dans les constats de la commission d’enquête. « Un pôle interministériel d’achat de prestations intellectuelles sera créé au sein de la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique), qui deviendra une tour de contrôle ». Une attention particulière sera portée aux prestations de plus de 500 000 euros. La « nouvelle doctrine » se matérialisera également par le « respect d’une charte de principes et de bonnes pratiques » et le « renforcement » des chartes déontologiques, l’inclusion d’une part minimale de fonctionnaire dans les projets. Les missions seront « suivies » dans leur déroulement et « évaluées » sur leur qualité finale.

Ces multiples engagements seront eux-mêmes soumis à un contrôle. « Une mission d’inspection sera diligentée par le Premier ministre, d’ici la fin du second semestre, pour s’assurer de la bonne mise en œuvre dans chacun des ministères », a promis Amélie de Montchalin. L’agenda annoncé, qui s’étend au-delà de la présidentielle d’avril, a fait quelque peu sourciller la rapporteure de la commission d’enquête, Éliane Assassi. « Le sujet n’est pas de se projeter dans un futur quinquennat. Le sujet, c’est répondre à un certain nombre de faits. »

Les travaux à 496 000 euros de McKinsey pour l’Education nationale reviennent sur la table

Un exemple « concret » d’évènement passé, la présidente du groupe communiste, à l’origine de la création de cette commission d’enquête, s’est empressée de le donner. La sénatrice est revenue à l’offensive sur un contrat attribué à McKinsey pour la préparation d’un colloque de l’Education nationale en 2020. Le sujet a constitué l’un des temps forts de l’audition du cabinet de conseil, la veille (revoir la séquence). « J’ai bien entendu ce que vous avez dit ce matin. C’était à dire que c’était une erreur. C’était quand même une grosse erreur, 496 800 €. C’est l’équivalent de 1 600 purificateurs d’air dans 1 600 restaurants scolaires et c’est l’équivalent d’un million de masques FFP2 qu’attendent dans l’urgence les enseignants », a mis en perspective Éliane Assassi.

La ministre, qui était au Quai d’Orsay au moment où la commande a eu lieu, a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de commenter la prestation. Elle a cependant demandé des précisions à l’une de ses directions. McKinsey a été chargé de préparer des « documents supports » pour le colloque et d’effectuer des « analyses comparatives, notamment internationales ». Le colloque, reporté une première fois, a finalement fait les frais de la crise sanitaire, mais les travaux ont bénéficié à l’économiste Yann Algan (spécialiste de l’Education) et ont nourri un rapport, remis dans le cadre d’une conférence au Collège de France, en décembre dernier. La ministre a indiqué que les « livrables » pouvaient être communiqués à la commission d’enquête.

Le discours sur la « nouvelle doctrine » promis par la ministre a cependant étonné le président Arnaud Bazin. « Est-ce qu’il ne faut pas en toute sincérité plutôt parler de doctrine, quand il n’y en avait pas, et d’encadrement, quand il était plus que léger ? »

Amélie de Montchalin a assuré que le gouvernement s’était employé, dès le début du quinquennat, à encadrer davantage le recours aux cabinets de conseil, notamment avec la signature en 2018 d’un accord-cadre de la Direction interministérielle de la transformation publique (il arrive à échéance cette année), un cadre de référence pour le recours à ce type de prestation. « Nous avons fait le choix de renforcer nos capacités internes de conseil », a-t-elle également ajouté. Elle a notamment cité le recrutement de consultants dans la fonction publique, et de chefs de projets à la Direction interministérielle du numérique (DiNum) pour pouvoir répondre aux différents ministères, dans leurs projets informatiques. A ce titre, la récente réforme de la fonction publique facilitera ce genre de recrutement, selon elle. « C’est une culture de la conduite de projet que nous souhaitons développer dans notre administration pour réduire le recours à de telles compétences dans le secteur privé. »

Les sénateurs pourraient presque avoir le sentiment que le gouvernement les a doublés, le rapport de la commission étant attendu pour le mois de mars. Ils se satisferont sans doute d’orientations à même de corriger les dysfonctionnements ou les failles qu’ils ont identifiés durant ces deux derniers mois d’audition. Mais la prise de conscience du gouvernement intervient tardivement, de l’avis du président Arnaud Bazin. « À vous écouter, j’ai le sentiment d’avoir entendu des éléments de décisions qui arrivent pour cadrer ce qui commençait à nous inquiéter sérieusement, mais qui arrivent au bout de 5 ans… »

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