« Cacophonie », « enfumage », « communication » : les sénateurs tancent les déclarations d’Olivier Véran sur la vaccination

« Cacophonie », « enfumage », « communication » : les sénateurs tancent les déclarations d’Olivier Véran sur la vaccination

Mercredi, le ministre de la Santé a donné en l’espace de quelques heures des chiffres « contradictoires » sur les objectifs de vaccination fixés par le gouvernement.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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La France aura-t-elle vacciné « 70 millions » de personnes fin août ? C’est en tout cas l’objectif fixé jeudi soir au 20h de TF1 par Olivier Véran, « si tous les vaccins sont validés et disponibles ». Le ministre de la Santé ajoutait dans la foulée viser 30 millions de vaccinés fin mai. Ce vendredi matin, c’était au tour du secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance, Adrien Taquet, d’afficher son optimiste. Une « grande majorité » de la population sera vaccinée cet été, « si on poursuit sur ce rythme-là », a-t-il espéré sur le plateau de la matinale de Public Sénat « Bonjour chez vous ». Pourtant mercredi, quelques heures avant son passage au JT, Olivier Véran confiait ses doutes aux sénateurs de la commission des lois qui l’auditionnait sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire : « Même avec la meilleure organisation et tous les approvisionnements qui arriveraient en temps et en heure, nous ne pourrions avoir vacciné tous les publics fragiles [entre 25 et 30 millions] d’ici à l’été. » Il précisait alors que le gouvernement cible « 15 millions de personnes vaccinées » d’ici juin.

Qui croire ? Le Olivier Véran « du soir » ou « celui du matin » ? C’est la question que se posent beaucoup de représentants politiques vendredi, à l’image de la députée Annie Genevard, invitée de Parlement Hebdo. « Ni l’un ni l’autre », rétorque le sénateur de la commission des affaires sociales, René-Paul Savary (Les Républicains). « J’ai le sentiment qu’il y a une confusion dans son esprit entre les précommandes de vaccins et les commandes. Il y a 200 millions de précommandes, mais certaines risquent de ne pas être homologuées. On est en train de se faire enfumer, ça devient la cacophonie », fustige-t-il.

« À force de ne pas dire la vérité, lui-même ne sait plus où aller », tance le sénateur apparenté socialiste, Bernard Jomier. « Devant la commission, il nous avait annoncé 77 millions de doses d’ici fin juin, qui permettraient de vacciner 38 millions de personnes. Tout ça pour dire que je pense que c’est de la mauvaise communication. Mais là on a franchi un stade, car c’est contradictoire en à peine quelques heures », regrette-t-il. Présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche (LR) acquiesce : « Ce qu’a dit Olivier Véran est totalement en contradiction avec ce qu’il nous disait la semaine dernière, mardi 12 janvier ».

Le ministre de la Santé a tenu à déminer la polémique montante via une série de tweets postés vendredi après-midi :

  Si tous les vaccins commandés sont autorisés par les autorités sanitaires et si les laboratoires respectent leurs engagements, nous atteindrons cet objectif. Les autorités sanitaires nous diront bientôt si tous les types de vaccins sont indiqués pour tous les publics. La vaccination des plus fragiles, priorité pour nous, pourrait le cas contraire se prolonger jusqu'à l'été  », a-t-il ajouté 

Etablir une stratégie d’élimination du virus « au plus vite »

Bernard Jomier poursuit : « Tout ça dissimule le fait que le programme de vaccination des personnes âgées à risque ne sera pas tenu au premier trimestre mais au premier semestre. Le projet initial qui était de reprendre des mesures de confinement territoriales au mois de janvier n’est plus d’actualité, d’où un report des mesures de confinement, car on risquait un autre confinement au mois d’avril. Il décale le plus possible, il tire, il tire. C’est un calendrier politique et de communication. C’est dommageable car ça perturbe la confiance qu’on a dans le gouvernement ». Au regard des chiffres disponibles, le médecin de formation estime probable que la France ait vacciné « 7 à 8 millions » de personnes d’ici mars, et l’ensemble des personnes vulnérables d’ici juin. Selon les dernières données publiées par le ministère, la France a pu vacciner un peu moins de 110 000 personnes en 24 heures. En restant sur ce rythme, le pays pourrait ne pas dépasser la barre des 25 millions de personnes vaccinées avant la fin du mois d’août. A l’heure actuelle, un peu moins de 700 000 personnes ont reçu le vaccin.

« C’est toujours le même problème, entre le discours et les actes, il n’y a plus de correspondance… C’est un gouvernement d’annonces et qui est contradictoire dans la même journée ! », renchérit René-Paul Savary. Les deux hommes pressent le gouvernement de commencer à envisager une stratégie de vaccination générale. « La vraie question c’est : qu’est-ce qu’on fait une fois qu’on a vacciné les plus vulnérables ? Pour le moment on est dans une stratégie de vivre avec le virus. Quand on aura 30 ou 40 millions de doses, il faudra réfléchir à une stratégie d’élimination du virus. Il faut anticiper et ne pas le faire en juillet. Je demande au gouvernement de poser sur la table une telle stratégie », explique Bernard Jomier.

« Je suis complètement perdue avec les chiffres »

Face à l’avalanche de chiffres, changeants de semaine en semaine, Catherine Deroche est déboussolée. « Je ne sais plus qui croire. La semaine dernière, le ministre nous disait espérer que les plus de 75 ans seraient vaccinés d’ici Pâques. Mais c’est déjà trop loin », souligne-t-elle. Ces nouvelles déclarations lui font penser qu’on « ne nous dit pas la vérité ». Elle doit rencontrer le ministre mardi prochain et promet que les sénateurs vont demander un nouvel « échéancier précis des livraisons de doses ». En attendant, les déclarations du gouvernement l’inquiètent. « C’est nocif : les gens ont une appétence pour le vaccin et ils ne peuvent pas la satisfaire. Je sens monter une colère très forte. Et on a l’impression que dès que l’on met en doute quelque chose, on fait de la polémique politicienne. Mais il n’y en a pas un qui souhaite que le gouvernement se plante sur la vaccination ! », défend-elle.

« Je ne sais plus qui il faut croire, je suis complètement perdue avec les chiffres », réagit également, Véronique Guillotin. La sénatrice RDSE de Meurthe-et-Moselle estime qu’il « faudrait s’épargner ces chiffres ambitieux et ce comptage ». « Ce n’est pas prudent. On n’arrive pas à tenir ses promesses ». Selon elle, l’objectif de vacciner la totalité des Français pose beaucoup de questions.  « Ça veut dire quoi ? C’est vacciner aussi les enfants ? C’est deux doses ? », s’interroge-t-elle. « Il n’y a même pas 70 millions de Français », rappelle un sénateur. Et d’ironiser : « On va vacciner les carpes et les lapins aussi ? »

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