Ils étaient quelque 1 400 participants, dimanche, dans les rues de Mulhouse, réunis pour une marche blanche en hommage à Dinah. Cette adolescente de 14 ans a mis fin à ses jours dans la nuit du 4 au 5 octobre, après avoir subi pendant deux ans le harcèlement de camarades de classe, selon sa famille. Un phénomène qui ne s’arrêtait pas une fois les grilles du collège franchies, mais qui a continué d’empoisonner chaque minute du quotidien de la jeune fille par le truchement des réseaux sociaux. « Ses amis ont créé un groupe sur WhatsApp pour se moquer d’elle, ça a commencé comme ça… », a rapporté la mère de Dinah auprès de RTL. Une enquête doit encore déterminer si le harcèlement est bien à l’origine de son suicide. Le 20 septembre, un peu plus de 15 jours avant la mort de Dinah, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait promis de franchir « un cran nouveau » dans la lutte contre le cyberharcèlement en accélérant le travail avec les plateformes. Tour d’horizon des dispositifs déjà existants.
Les principaux jalons contre le harcèlement et le cyberharcèlement
En France, 6 à 10 % des élèves subissent du harcèlement au cours de leur scolarité, selon un rapport sénatorial publié fin septembre. Le nombre de jeunes victimes du cyberharcèlement a connu une hausse particulièrement inquiétante ces dernières années, puisqu’il aurait plus que doublé entre 2015 et 2018 (de 4,1 % à 9 %), selon la Direction générale de l’enseignement scolaire.
» Lire notre article : un rapport du Sénat veut faire du harcèlement scolaire la grande cause nationale de la rentrée prochaine
Le Code Pénal définit le harcèlement comme « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Depuis la loi du 6 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, cette définition inclut la dimension virtuelle du harcèlement, lorsque celui-ci est exercé par « le biais d’un support numérique ou électronique ». Il concerne aussi bien les contenus rendus publics, par exemple des messages postés sur un forum, que ceux envoyés via messagerie privée. Le texte prévoit deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, et jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsqu’au moins deux circonstances aggravantes sont réunies. Le harcèlement en ligne fait partie de ces facteurs d’aggravation, comme le fait de viser un mineur de moins de 15 ans ou une personne portant un handicap.
Selon leur nature, les comportements imposés à la victime peuvent également constituer des infractions spécifiques, suivant des dispositions législatives parfois très anciennes. Ainsi, les injures et propos diffamatoires sont punis de 12 000 euros d’amende, d’après la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, qui constitue un premier jalon en matière de lutte contre le harcèlement. L’usurpation d’identité en ligne est sanctionnée depuis 2011 par un an de prison et 15 000 euros d’amende. Des peines similaires sont prévues pour la violation du droit à l’image, c’est-à-dire la publication d’une photographie ou d’un montage sans le consentement de la personne concernée. Enfin, une loi de 2016 s’attaque aussi au phénomène de « revenge porn », c’est-à-dire à la diffusion de contenus à caractère sexuel sans le consentement de la personne filmée ou photographiée. Les sanctions peuvent aller jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende s’il s’agit d’un mineur.
La Loi Schiappa contre les effets de « meute » en ligne
Si ce qui tombe sous le coup de la loi dans la vie de tous les jours concerne aussi le virtuel, la mise en application des textes est parfois plus laborieuse. « Concernant le monde réel, on a un arsenal important, la difficulté, c’est d’appliquer au monde numérique cette législation », relevait en juin dernier auprès de Public Sénat la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, membre de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. D’où la nécessité d’adapter la législation à certains phénomènes de harcèlement propres à l’univers numérique. C’est l’un des objectifs de la loi du 3 août 2018, dite « loi Schiappa », visant à améliorer la lutte des violences sexistes et sexuelles. Ce texte introduit un délit de « harcèlement groupé », qui réprime les phénomènes de « meute » en ligne.
Sont ainsi condamnés « les propos ou comportements imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ». En clair : ce texte offre la possibilité de condamner chaque personne ayant contribué, ne serait-ce qu’avec un ou deux messages, à une déferlante de messages haineux contre une autre. L’objectif est de s’attaquer aux phénomènes de multiplicité sur les réseaux sociaux, derrière lesquels certains internautes se sentent abrités. Cette disposition fait écho au harcèlement subi par la journaliste Nadia Daam fin 2017, suite à une chronique sur Europe 1 dans laquelle elle dénonçait une campagne de dénigrement menée sur le forum Blabla 18/25 de Jeuxvideo.com contre deux militantes féministes. Les innombrables menaces reçues dans la foulée par la journaliste ont fini par la contraindre à déménager. Mais seuls sept individus avaient pu être convoqués par la justice. Deux ans plus tard, l’affaire Mila, du nom d’une lycéenne cyberharcelée pour avoir insulté l’Islam sur les réseaux, aboutit à la condamnation de onze personnes à des peines de quatre à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris.
En février 2019, réagissant à la polémique suscitée par l’affaire de la Ligue du LOL – un groupe Facebook regroupant une trentaine de journalistes accusés de cyberharcèlement – Marlène Schiappa avait évoqué dans un tweet la possibilité d’élargir le texte de loi qui porte son nom, en retardant le délai de prescription pour les faits de cyberharcèlement, actuellement de six ans. Mais cette piste semble être restée lettre morte.
La loi Avia détricotée par le Conseil constitutionnel
Adoptée en mai 2020, la proposition de loi de la députée LREM Laetitia Avia contre la haine en ligne entendait se pencher sur la question des contenus, plutôt que sur les cyberharceleurs, en obtenant le retrait des publications problématiques sous un délai de 24 heures après signalement auprès de la plateforme. Mais quelques semaines plus tard, le texte se voit vider de sa substance par le Conseil constitutionnel, saisi par de nombreux sénateurs de la majorité de droite et du centre. Les sages de la rue Montpensier ont estimé que certaines dispositions risquaient de pousser les hébergeurs à supprimer des contenus qui n’auraient pas été illicites, ce qui aurait porté atteinte aux libertés d’expression et de communication. « Le Sénat avait prévenu ! On fait trop souvent de mauvaises lois avec de bonnes intentions ! Les plateformes ne doivent pas censurer la liberté d’expression. Sage décision du Conseil constitutionnel ! » avait réagi, auprès de Public Sénat, l’ancien président de la commission des Lois, Philippe Bas (LR). De son côté, la sénatrice écolo Esther Benbassa avait dénoncé un texte « cosmétique » face à l’impossibilité de « censurer la Toile ».
Parmi les dispositifs finalement retenus : la création d’un « parquet spécialisé dans les messages de haine en ligne », permettant d’engager une procédure contre les auteurs après signalement sur une plateforme dédiée, une simplification du processus de signalement des contenus problématiques, ou encore la création d’un observatoire rattaché au CSA, chargé de quantifier et d’étudier les phénomènes de haine en ligne.
Le programme pHARe étendu à l’ensemble du territoire depuis la rentrée
Outre ces différents textes de loi, le gouvernement a généralisé depuis septembre à l’ensemble des établissements scolaires son programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe), qui prévoit une série de dispositifs pour prévenir plus spécifiquement le harcèlement en ligne. Notamment un renforcement de la sensibilisation aux risques du numérique et la création d’un prix « non au harcèlement », avec une catégorie dédiée au « cyber » qui récompense les projets scolaires contre le harcèlement en ligne. Depuis 2009, la plateforme téléphonique « Net écoute », joignable au 3018 et opérée par l’association e-Enfance, accompagne les victimes, notamment en les aidant à obtenir une suppression des contenus haineux, voire des profils à l’origine des faits de harcèlement.