La proposition de loi fait suite à un rapport commandé à la Cour des comptes, au sujet du financement des associations qui interviennent dans le champ de l’immigration. À l’issue de débats sous tension entre droite et gauche, les sénateurs ont adopté, 227 voix contre 113, le 12 mai une proposition de loi de Marie-Carole Ciuntu (LR) pour écarter les associations des centres de rétention administrative (CRA), et confier à la place « le rôle d’information sur l’accès au droit de l’étranger » à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), cet organisme étant placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur.
Les missions qui relèvent de l’assistance juridique, allant du conseil à la rédaction du recours, assurées actuellement par des associations, seraient alors assumées par des avocats, dans le texte du Sénat. « Compte tenu de leur rôle dans les centres de rétention administrative, on peut effectivement s’interroger sur l’activité de ces associations, qui massifient le contentieux », a résumé en séance la sénatrice LR, dont le texte a été cosigné par près d’une centaine de collègues de son groupe. Et d’ajouter : « Ce sont non pas les associations qui définissent la politique de l’État, mais bien l’État qui, comme le souhaitent nos concitoyens, met en œuvre sa politique d’immigration, sans pour autant dénier aux étrangers retenus le droit à une défense. »
La gauche dénonce une attente « aux principes fondamentaux du droit »
Les partisans du texte indiquent, sur la base du rapport de la Cour des comptes, que le coût de l’assistance juridique assuré par les associations a augmenté de 30 %, quand, dans le même temps, le nombre de personnes en centre de rétention a baissé de 20 %.
Le texte a également reçu l’appui de l’ancien président du groupe LR, Bruno Retailleau, désormais ministre de l’Intérieur. L’ancien sénateur considère que ces associations « outrepassent leurs missions et les retournent en réalité contre l’Etat en entravant son action par pur militantisme ». « Le renversement de valeurs a consisté à remettre en cause l’impartialité des fonctionnaires, alors que c’est le propre même de leur statut et du statut garanti par la fonction publique », a-t-il également épinglé au cours des débats.
Aujourd’hui, cinq associations dont la Cimade, France terre d’asile ou encore Forum réfugiés, sont mandatées par l’Etat dans le cadre d’un marché public pour intervenir dans les CRA. Les débats au Sénat lundi soir ont été vifs entre les deux parties de l’hémicycle, la gauche reprochant au texte d’installer une « asymétrie totale ». « Il n’y a aucun doute sur l’intention derrière ce texte : mettre à mal les principes fondamentaux de notre État de droit », a ainsi dénoncé le communiste Ian Brossat. « On reprocherait donc aux associations de trop bien faire appliquer le droit. C’est original », a également attaqué la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin.
Durant une bonne partie de la soirée, l’atmosphère a été électrique entre d’un côté la droite sénatoriale et de l’autre l’opposition sénatoriale. « Je n’admets pas que, dès qu’il s’agit d’immigration, on nous juge en nous traitant de fachos. C’est absolument inadmissible », s’est exclamée Marie-Carole Ciuntu.
Bruno Retailleau évoque une économie annuelle de 6,5 millions d’euros
Les groupes de gauche ont tenté de rejeter le texte dès le début des débats, à travers plusieurs motions de procédure. Le groupe écologiste a également estimé que cette proposition de loi alourdirait les dépenses assurées par l’État, ce qu’a contesté le ministre de l’Intérieur. « Le gouvernement reprend la proposition de loi à son compte, y compris si elle crée des charges. Comme je vous l’ai expliqué, ce ne sera pas le cas », a répondu Bruno Retailleau. Selon le ministre, le texte doit générer 6,5 millions d’euros d’économies sur les un peu plus de 9,2 millions que l’État verse aujourd’hui aux associations pour assurer leurs missions dans les CRA. Une partie des économies doit servir à renforcer les moyens de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, selon Bruno Retailleau.
Le texte s’inscrit dans une série d’initiatives législatives du groupe LR ces dernières semaines. La majorité sénatoriale a notamment voté l’extension de la durée maximale de rétention dans les CRA de 90 à 210 jours aux étrangers condamnés pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Le second texte est le conditionnement du bénéfice de certaines prestations sociales aux étrangers à une durée de résidence en France d’au moins deux ans.
Pour la socialiste Émilienne Poumirol, la proposition de loi sur l’assistance juridique dans les CRA est « un projet de loi déguisé, demandé par le ministère de l’intérieur au groupe LR, afin d’éviter l’avis du Conseil d’État et celui de la commission des finances ».
Les associations concernées par ce texte ont publié cette semaine une tribune au Monde, dans laquelle elles s’indignent d’un « coup fatal à l’exercice des droits des personnes privées de liberté et à la transparence démocratique ». « Fragiliser la place des associations, c’est affaiblir un pilier de la démocratie : celui qui permet à la société civile d’opérer son devoir d’alerte. »
Cette proposition de loi est désormais transmise à l’Assemblée nationale avec une procédure accélérée d’examen activée par le gouvernement, ce qui permet de réduire le nombre de lectures au minimum avant une éventuelle commission mixte paritaire.