Ces Premiers ministres nommés à Matignon sans être passés par la case élection

Ces Premiers ministres nommés à Matignon sans être passés par la case élection

Candidate dans la 6e circonscription du Calvados, la nouvelle Première ministre, Elisabeth Borne, se confronte aux urnes pour la première fois. Si depuis le début de la Ve République, l’hôte de Matignon a presque toujours été un ancien élu national et/ou élu local, certains des prédécesseurs d’Elisabeth Borne n’avaient pourtant, eux non plus, jamais exercé de mandat électif.
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Par Juliette Bezat

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A l’instar de celles de ses prédécesseurs, la nomination d’Elisabeth Borne à Matignon est, depuis quelques jours, disséquée et commentée par les acteurs et les observateurs de la vie politique. Critique récurrente, la nouvelle Premier Ministre n’a jamais exercé de mandat électif. Habituée des coulisses de la décision politique et de la machinerie d’Etat, Elisabeth Borne est d’abord une technicienne de la mise en œuvre des politiques publiques. Contrairement à ses prédécesseurs, sa légitimité tient davantage de sa nomination par le Président de la République et de son expérience ministérielle depuis 2017 que d’un véritable leadership et d’un poids politique qui lui serait propre.

Dans l’histoire de la Ve République, on peut distinguer mutatis mutandis trois précédents.

Georges Pompidou (1962-1968), record de longévité à Matignon

Le 14 avril 1962, Charles de Gaulle nomme Georges Pompidou à Matignon. Inconnu du grand public, il n’a jamais occupé de fonction politique de premier plan : d’abord enseignant, il suit un parcours de haut fonctionnaire, puis de banquier chez Rothschild. Il fait une première entrée au cabinet de Gaulle en 1945 après la Libération, puis en 1958 en tant que directeur de cabinet. En mars 1959, Charles de Gaulle le nomme au Conseil constitutionnel, où il siège jusqu’en 1962. Lorsqu’il l’appelle à Matignon, le Président de la République fait le choix d’un collaborateur de confiance : un technicien qui dispose d’une bonne connaissance des rouages de l’Etat et des milieux économiques. La page de l’Algérie est alors en passe d’être tournée, et de Gaulle veut un bon gestionnaire capable de mettre en œuvre les réformes de fond au plan économique, social et industriel.

A l’époque, ce choix provoque la colère des parlementaires - y compris de certains gaullistes - qui voient dans cette nomination un nouvel affront et une marque de mépris à l’égard du Parlement. Georges Pompidou n’a jamais été élu - il ne sera élu député du Cantal qu’en 1968. De fait, son discours de politique générale fait mauvaise impression à l’Assemblée nationale : mal à l’aise et inexpérimenté dans cet exercice, le nouveau Premier ministre redoute le contact avec les députés. Le haut fonctionnaire, novice de la mécanique parlementaire - n’ayant jamais été ministre auparavant -, prononce un discours considéré comme terne par les observateurs de l’époque. L’événement n’empêchera pas Georges Pompidou de réussir son passage à Matignon, au point de détenir le record de longévité sur le poste.

Raymond Barre (1976 - 1981) : une légitimité à la fois technique et académique

Second cas de figure : Raymond Barre. Nommé par Valéry Giscard d’Estaing en août 1976, l’économiste a avant tout, une expérience de l’Université, de l’Etat (il a été chef de cabinet du ministre de l’Industrie entre 1959 et 1962) et de la Commission européenne. Avant d’être nommé à Matignon, Raymond Barre a une brève expérience ministérielle au Commerce extérieur (de janvier à août 1976). Celui que Valéry Giscard d’Estaing présente comme « le meilleur économiste de France » dispose donc d’une double légitimité, à la fois académique et technique. Peut-être l’expérience parlementaire lui aura-t-elle toutefois manqué, dans un contexte de guérilla parlementaire menée d’une part par l’opposition de gauche, mais aussi par les gaullistes de Jacques Chirac de 1976 à 1981. En 1981, il est élu député, avant de devenir maire de Lyon en 1995.

Dominique de Villepin (2005-2007) : l’homme du discours de l’ONU

Dominique de Villepin n’a jamais été élu et a toujours refusé de se présenter à une élection. Nicolas Sarkozy est d’ailleurs l’un des premiers à dénoncer l’absence de mandat électif sur le CV de son rival. Haut fonctionnaire pur et dur (énarque et diplomate), il est le premier collaborateur de Jacques Chirac lors de son premier mandat (1995 - 2002), puisqu’il est Secrétaire général de l’Elysée. En 2002, il prend la tête du prestigieux ministère des Affaires étrangères, puis remplace Nicolas Sarkozy Place Beauvau en 2004.

Dominique de Villepin tient certes sa légitimité de sa nomination par le Président de la République, mais celle-ci s’est trouvée d’autant plus renforcée par sa réussite au Quai d’Orsay - avec, en particulier, son opposition à la guerre en Irak en 2003 et son célèbre discours à l’ONU.

Peu apprécié des parlementaires, Dominique de Villepin a eu des difficultés à diriger la majorité - on se souvient, entre autres, de la crise du CPE. L’image qu’il a laissée derrière lui demeure avant tout celle du collaborateur du Président et, tout de même, celle de l’homme du discours de l’ONU. Après avoir quitté Matignon, de Villepin refusera toujours de se présenter à des élections.

L’ère macroniste : une revanche des hauts fonctionnaires sur les politiques ?

Emmanuel Macron, dans la composition de ses gouvernements, a préféré privilégier des profils plus technocrates que politiques : en nommant Jean Castex et Elisabeth Borne à Matignon, il écarte ainsi le risque d’un Premier Ministre trop populaire, éventuel rival - comme ce put être le cas avec Edouard Philippe qui lui, était parvenu à se construire un leadership.

Au fond, le macronisme ne pourrait-il pas être résumé à une revanche des hauts fonctionnaires sur les politiques ? Les membres de cabinets ministériels qui fabriquent dans l’ombre les politiques, ont remplacé les politiques depuis 2017, comme Emmanuel Macron avec François Hollande. Le Président socialiste avait d’ailleurs refusé une première fois qu’Emmanuel Macron entre au gouvernement, ce dernier n’ayant jamais été élu. Depuis 2017, les ministères ont ainsi vu défiler à leur tête un certain nombre d’anciens collaborateurs de cabinets ministériels ou de purs hauts fonctionnaires (Gabriel Attal, Julien Denormandie, Benjamin Griveaux, Elisabeth Borne, Jean Castex, Laurent Nunez…). Alors que longtemps, les politiques ont considéré le passage par la case élection obligatoire, c’est là une véritable rupture dans la vie politique française.

Le Premier ministre n’est pas seulement le chef du gouvernement ou le « premier collaborateur du Président » : il est aussi le chef de la majorité parlementaire. Si Elisabeth Borne remporte l’élection législative des 12 et 19 juin, va-t-elle parvenir à se construire un leadership politique ?

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