« C’est à la fin de la partie qu’on comptera les choses » : sur le budget, les socialistes veulent encore laisser du temps au gouvernement

Les députés mettent en pause l’examen du projet de loi de finances pour étudier le budget de la Sécurité sociale. S’ils ne sont pas allés au bout de la partie recettes, ils ont néanmoins pu adopter un certain nombre de mesures absentes du projet initial. Certaines sont vues par le gouvernement comme des gains concédés aux socialistes, bien que ces derniers se montrent toujours insatisfaits. Pas suffisamment, pourtant, pour interrompre les négociations et l’examen budgétaire.
Mathilde Nutarelli

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« Actuellement, ce n’est pas clair ». Ce cadre socialiste résume bien l’état d’esprit qui domine, quelques jours après le début de l’examen en séance par l’Assemblée nationale du projet de loi de finances. Depuis la survie in extremis de son gouvernement, le 16 octobre dernier, en partie grâce à l’abstention du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu entretient une relation privilégiée avec le parti à la rose. Ces derniers ont fait payer leur non-censure : renoncement au 49.3 et suspension de la réforme des retraites jusqu’en 2027.

Des victoires socialistes dans le budget ?

Mais le chemin de croix n’est pas terminé pour l’Eurois, car après sa première motion de censure, il doit survivre à l’examen des textes budgétaires. Encore une fois, c’est vers les socialistes que l’attention du locataire de Matignon s’est tournée.

Depuis quelques jours, le parti veut revendiquer des victoires dans l’examen du budget. « Des amendements qui ont été portés par nous ou accompagnés par nous, qui permettent de protéger un maximum les Français, ont été adoptés », résume le président du groupe socialiste du Sénat, Patrick Kanner, qui a suivi les débats au palais Bourbon. Les députés ont par exemple adopté un nouvel impôt sur la fortune improductive, une taxe sur les dividendes et sur les rachats d’actions, ou encore une surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises lors de l’examen du projet de loi de finances dans l’hémicycle. Des mesures dont plusieurs proviennent d’amendements d’autres groupes.

Les socialistes se réjouissent également des annonces faites par le Premier ministre concernant le budget de la Sécurité sociale : renoncement au gel des pensions de retraite et des prestations sociales, suppression de la hausse des franchises médicales, augmentation du budget pour l’hôpital.

Le gouvernement veut croire à un vote « pour » des roses sur le budget

Pour le gouvernement, le but de ces concessions est d’arracher un vote « pour » de la part des socialistes sur le budget. Dans ses rangs, on va même jusqu’à considérer que le parti à la rose fait partie de la « plateforme de stabilité », allant des LR au PS, avec laquelle le gouvernement travaille. « Le PS a un problème, il n’arrive pas à valoriser ses gains politiques qui sont très forts : suspension de la réforme des retraites, dégel des aides sociales, … », estime une source gouvernementale.

« Qu’on se le dise, ce n’est pas notre budget »

La vision du gouvernement n’est pas partagée par ses nouveaux partenaires socialistes. Sur le plan des recettes fiscales, notamment. La mesure phare qu’ils défendaient depuis quelques mois, la taxe Zucman, n’a pas été votée par les députés. Ni dans sa version intégrale, ni dans sa version light. « Pour l’instant, on est en phase de discussion et ce qu’on observe, c’est que le compte n’y est pas », estime Alexandre Ouizille, sénateur socialiste de l’Oise, « aujourd’hui dans ce budget, il n’y a pas les impôts sur les hauts patrimoines qui nous permettraient d’enlever ce que tous les autres devraient payer sinon ». Pour eux, un vote « pour » est totalement exclu. « Qu’on se le dise, ce n’est pas notre budget », assène le sénateur. Ce que Sébastien Lecornu peut espérer au mieux de leur part, c’est une abstention.

Mesures votées : pour quel gain financier ?

Si les socialistes ne sont pas totalement emballés par l’état du texte budgétaire actuel, c’est aussi parce que le chiffrage des mesures est flou. « Des recettes fiscales ont été votées, mais leur évaluation chiffrée reste un sujet », déplore un député socialiste, au courant des débats, « il n’y a pas de portage politique de Sébastien Lecornu : on ne sait pas quel est le niveau d’effort des plus riches souhaité par le gouvernement, le Premier ministre n’a pas donné la vision d’ensemble ». Des victoires en demi-teinte, donc.

« Quand on regarde une série, on accepte de regarder tous les épisodes avant de spoiler la fin »

Bien qu’insatisfaits par la copie, les socialistes se montrent patients. Ils veulent laisser le temps aux débats d’avoir lieu, et jugeront sur pièces au bout du parcours, même s’il est flou. « Quand on regarde une série, on accepte de regarder tous les épisodes avant de spoiler la fin. En plus, là, il n’y a pas de scénariste », ironise le député socialiste cité plus haut. Le gouvernement dispose donc encore de temps, avec le pistolet rose sur la tempe. « C’est à la fin de la partie qu’on comptera les choses. Ce qui est sûr, c’est que si le budget devait ressembler à ce à quoi il ressemble aujourd’hui, ce sera un vote contre », avertit Alexandre Ouizille. « Nous n’avons pas renoncé à la motion de censure », assure-t-on du côté de l’Assemblée.

Pour résumer, le gouvernement trouve les socialistes trop gourmands et espère encore leur soutien sur le budget. Les socialistes ne sont pas satisfaits par les textes budgétaires en l’état et espèrent encore obtenir des concessions de la part du Premier ministre. Mais le temps passant, le calendrier se resserre, et la procédure d’adoption du budget devient plus floue. Aura-t-il le temps d’être voté par l’Assemblée nationale, sans 49.3 ? Sébastien Lecornu devra-t-il avoir recours aux ordonnances ? Dans ces cas-là, quelles mesures conservera-t-il, alors que plusieurs d’entre elles sont rejetées par les troupes macronistes ? La suite au prochain épisode.

 

Images de Flora Sauvage

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