Ceta : le Sénat perd patience et presse le gouvernement d’organiser le vote
Les sénateurs ont adopté une résolution, déposée par les communistes, rappelant à l’exécutif que le traité international signé avec le Canada en 2016, devait être soumis à leur approbation. De façon presque unanime, tous les groupes ont demandé à ne plus repousser un vote qu’ils attendent depuis trois ans.
Le Sénat est toujours sans nouvelles du Ceta, l’accord économique et commercial global signé en 2016 entre l’Union européenne et le Canada, afin de faciliter les échanges entre les deux espaces. Sa ratification par le Parlement européen en 2017 a permis l’entrée en application provisoire de 90 % des dispositions, celles de la compétence de l’Union européenne. Mais la ratification doit aussi passer par les parlements nationaux. En France, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi de ratification au beau milieu de l’été 2019, un 23 juillet. Le texte a été transmis au Sénat. Et depuis, plus rien.
Voici trois ans que les sénateurs, de tous bords, se demandent quand ils pourront se prononcer à leur tour sur ce texte controversé. Un vote en séance, à l’initiative du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) leur a permis de se rappeler au bon souvenir du gouvernement. Ils ont adopté une résolution « invitant le gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA ». Le texte est non contraignant, et la formulation est prudente. Mais c’était la seule façon de rester dans les clous, l’article 34-1 de la Constitution interdisant aux assemblées parlementaires de faire des injonctions au gouvernement. Les sénateurs communistes ont dû s’y reprendre à trois fois avant de trouver la bonne formulation. « Le gouvernement ne souhaitait pas qu’on ait ce débat, c’est surtout ça. C’était fait pour nous décourager », raconte le sénateur communiste Fabien Gay.
La résolution a été massivement soutenue par la plupart des familles du Sénat : 309 voix l’ont soutenu, et 35 ont fait le choix de l’abstention. Il s’agit des groupes RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), composé en majorité de sénateurs La République en marche, et du groupe des Indépendants – République et territoires, qui compte plusieurs membres d’Agir, la droite constructive.
« Le Sénat sera amené à se prononcer », répond le gouvernement
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en déplacement officiel en Inde, n’était pas sur les bancs du gouvernement. Les réponses sont venues de Franck Riester, le ministre du Commerce extérieur. « Le Sénat sera amené à se prononcer », a-t-il simplement affirmé, sans donner aucune précision sur le calendrier. « Il n’y a pas du tout de déni de démocratie, Monsieur Gay, mais un respect scrupuleux du cadre institutionnel », a-t-il répondu au sénateur de Seine-Saint-Denis qui l’interpellait depuis l’hémicycle.
Le ministre s’est aussi défendu en comparant la France à ses voisins. « Quinze États membres l’ont ratifié, douze ne l’ont pas encore fait. L’Allemagne n’a même pas saisi son Parlement ! » a mis en perspective Franck Riester.
La France reste néanmoins dans la minorité de pays à ne pas avoir encore ratifié le traité. Certains parlements ont même refusé de l’approuver. On pense au Parlement de la Wallonie en 2016, mais aussi à Chypre l’été dernier. Au cours du débat, beaucoup de sénateurs ont demandé des explications au gouvernement sur ce calendrier qui traîne. « Le gouvernement oublie de l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat. Monsieur le ministre, seriez-vous gêné ? Pourquoi ? Si l’application provisoire du CETA est bénéfique, pourquoi attendre ? La démocratie n’est pas une option. Le débat est toujours mieux que le contournement », a déclaré le président de la commission des affaires européennes, le sénateur LR Jean-François Rapin.
« Il se murmure que vous auriez peur d’un vote contre au Sénat », déclare Fabien Gay
« Ne jouez pas ainsi avec nos institutions : cela renforce la défiance de nos concitoyens », s’est exclamé Fabien Gay. Le sénateur avait d’ailleurs rappelé en séance que le vote de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019 n’avait pas fait un carton plein dans la majorité présidentielle. 266 députés avaient voté pour, 213 contre. 74 s’étaient abstenus. « Il se murmure que vous auriez peur d’un vote contre au Sénat, préférez-vous contourner l’obstacle ? » a-t-il demandé au gouvernement.
Pour le socialiste Rachid Temal, l’affaire est entendue, le Ceta est un « oubli volontaire qui arrange » le gouvernement, qui se passerait sans doute d’un vote négatif au Sénat. « Nous sommes impatients de connaître le motif de ce retard. Tout se passe comme si le gouvernement n’était pas prêt à assumer les conséquences de cet accord dans les territoires », a enchaîné la sénatrice centriste de Côte-d’Or Anne-Catherine Loisier. « La position du gouvernement est indéfendable », a renchéri le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard.
Au Sénat, il faut dire que ce traité supprimant notamment les tarifs douaniers sème le doute dans tous les camps, y compris le groupe majoritaire des Républicains (relire notre article écrit en 2019). L’an dernier, le président du groupe LR Bruno Retailleau avait affirmé à plusieurs reprises que le Sénat s’opposerait au texte. Les inquiétudes concernent notamment les produits agricoles et le sort de la filière bovine française. « Pour protéger notre agriculture de la concurrence déloyale, le respect de nos normes sanitaires est en jeu. Or il ne fait l’objet d’aucune garantie », s’est écrié le sénateur LR Laurent Duplomb. Son collègue Yves Bouloux a rappelé que le contexte avait changé, depuis sa négociation en 2009, « dans une société qui n’était pas pleinement consciente des enjeux environnementaux ».
« Nos exportations vers le Canada ont progressé de 24 % »
Même chez les parlementaires favorables au Ceta, la résolution du groupe communiste a reçu du soutien. « Nous pourrions ainsi approuver cet accord », a encouragé le sénateur (Union centriste) Olivier Cadic, qui voit dans l’application provisoire du traité des « résultats très positifs pour la France ». « Nos exportations vers le Canada ont progressé de 24 %, de 63 % pour les fromages, de 96 % pour la boulangerie, de plus de 30 % pour les cosmétiques. »
Au moment de son intervention, le ministre Franck Riester a rappelé que « jusqu’à présent, aucun défaut de conformité n’a été constaté », du point de vue des produits canadiens entrés sur le marché français. « Seuls les produits respectant nos normes peuvent entrer dans l’Union européenne et donc en France. Le Ceta ne remet pas en cause ce principe », a-t-il tenté de rassurer. La coalition droite-gauche qui s’est exprimée contre l’accord a d’ailleurs surpris Franck Riester, qui n’a pas manqué d’ironiser sur les socialistes, « alors que l’accord a été signé sous François Hollande », mais aussi les orateurs du groupe LR « alors que c’est en contradiction avec l’ADN de cette grande famille politique qu’est la droite républicaine ».
A l’automne 2019, Public Sénat avait interrogé le ministère chargé des Relations avec le Parlement pour connaître quand le texte allait être inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Il nous avait été répondu que l’agenda parlementaire était déjà trop encombré. « Ça ne saurait tarder », avait indiqué l’entourage de Marc Fesneau. Et puis la crise sanitaire est arrivée. L’ordre du jour reste aussi dense, mais le socialiste Rachid Temal a jugé qu’il ne s’agissait pas d’un sujet. « On a connu plus encombrant que le Ceta, qui n’a nécessité, à l’Assemblée nationale, que d’une réunion de commission et deux séances publiques. »
Selon Franck Riester, le gouvernement veut continuer à évaluer l’impact climatique de l’accord. « Le projet de loi autorisant la ratification du Ceta poursuivra bien entendu son chemin parlementaire au Sénat, mais ne nous précipitons pas par principe. » Quelques applaudissements moqueurs ont accueilli sa conclusion.
Après avoir été présenté en conseil des ministres ce mercredi 11 décembre, le projet de loi spéciale sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 16 décembre et au Sénat en milieu de semaine prochaine. Cet après-midi, les ministres démissionnaires de l’Economie et du budget ont été entendus à ce sujet par les sénateurs. « La Constitution prévoit des formules pour enjamber la fin d’année », s’est réjoui le président de la commission des Finances du Palais du Luxembourg à la sortie de l’audition.
Au moment où le chef de l’Etat s’apprête à nommer un nouveau premier ministre, Emmanuel Macron a reçu ce mercredi à déjeuner les sénateurs Renaissance, à l’Elysée. Une rencontre prévue de longue date. L’occasion d’évoquer les collectivités, mais aussi les « 30 mois à venir » et les appétits pour 2027…
Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, réclame un Premier ministre de gauche, alors que LFI refuse de se mettre autour de la table pour travailler sur la mise en place d’un gouvernement, préférant pousser pour une démission du chef de l’Etat. Ce mercredi, députés et sénateurs PS se sont réunis alors que le nom du nouveau chef de gouvernement pourrait tomber d’un instant à l’autre.
Si une semaine après le renversement du gouvernement Barnier, Emmanuel Macron est sur le point de nommer un nouveau Premier ministre, la situation politique française inquiète particulièrement les eurodéputés à Bruxelles que certains comparent à celle en Allemagne.
Le
Le direct
Comment prévenir la récidive des violences sexuelles ?
Comment prévenir la récidive des violences sexuelles ?