Nouvelle crise, nouveau départ : de nombreux titres de la presse européenne reviennent sur l’instabilité politique chronique qui s’est installée en France depuis la dissolution ratée de l’été 2024, en insistant sur la récurrence de ces évènements.
« Une crise destinée à s’aggraver le 10 septembre »
« Le gouvernement français tombe pour la troisième fois en un an », titre ainsi le journal espagnol El País. « Une fois de plus, la France se retrouve sans Premier ministre », résume également le quotidien néerlandais Het Parool. « La France se retrouve sans gouvernement, neuf mois après », avertit également depuis sa première page le journal portugais Público.
Habituée à une instabilité gouvernementale dans son histoire récente, l’Italie se montre pourtant très pessimiste dans certains de ses journaux. « Bayrou rejeté, le gouvernement tombe : la France dans le chaos. » Voici ce qui défile en gros caractères à la Une de la Corriere Della Sera, le premier quotidien de la péninsule. Dans un édito publié sous cette manchette et intitulé « révolte continue », Aldo Cazzullo explique que « la crise ouverte hier à Paris est grave ». Selon lui, elle est « destinée à s’aggraver demain avec l’inquiétante journée Bloquons tout, le mouvement né sur Internet qui rassemble toutes les frustrations, unissant extrême droite et extrême gauche, exactement comme cela s’est déjà produit au Parlement ».
Outre-Atlantique, l’influent quotidien des affaires, le Wall Street Journal, consacre une petite ouverture sur sa première page, en titrant sobrement « Le gouvernement français chute, le Premier ministre évincé ». Dans le développement, le quotidien économique se fait nettement plus alarmiste, en mettant l’accent sur les périls budgétaires qui menacent la France. « Le président Emmanuel Macron a perdu son deuxième gouvernement en moins d’un an, ce qui montre à quel point la France est prise dans une spirale de dysfonctionnements politiques qui épuise ses finances publiques », écrit son rédacteur. Et d’ajouter un peu plus loin : « Le sentiment français d’une réalité commune est en train de s’effriter, alors que Bayrou et d’autres centristes, partageant les mêmes idées, mettent en garde contre un cataclysme financier, tandis que les partis populistes accusent la classe politique d’utiliser des tactiques alarmistes pour rester au pouvoir. »
« Journées chaotiques à Paris »
Au Royaume-Uni, le Times avertit ses lecteurs que « Macron perd un autre Premier ministre à quelques jours de manifestations et de grèves », laissant le pays à une « une nouvelle tourmente politique, à des troubles sociaux et à une incertitude économique ». Le quotidien de centre droit développe cette actualité dans une série d’articles peu flatteurs pour l’Hexagone. L’un se veut rassurant, deux ans à peine après une sérieuse crise politique. « La Grande-Bretagne a le temps d’éviter un destin français », suivi par exemple d’une analyse intitulée « La France est dans le déni face à ses finances en ruine ».
La tâche du locataire de l’Élysée s’annonce ardue, estiment plusieurs correspondants étrangers à Paris. « Maintenant, Macron a besoin du mouton à cinq pattes », écrit par exemple Martina Meister, depuis le bureau parisien du quotidien allemand Die Welt. « Le président Emmanuel Macron se trouve désormais face à une tâche qui paraît insoluble. Les conséquences fatales de la crise se font déjà sentir », poursuit-elle dès les premières lignes de son article. La crise politique fait l’objet d’un suivi attentif outre-Rhin, la Süddeutsche Zeitung évoque par exemple des « journées chaotiques à Paris ». La Frankfurter Allgemeine Zeitung, dont la rédaction est basée dans l’un des poumons financiers du continent, à quelques minutes de la Banque centrale européenne, se demande en parallèle si « Une nouvelle crise de l’euro menace-t-elle ? » La France, qualifiée d’ « instable », est « fortement endettée » et « confrontée à des turbulences politiques », résume la FAZ.
« C’est au président Macron qu’il revient de maîtriser ce chaos », peut-on également lire dans un article publié sur la première page du Morgen, quotidien belge néerlandophone, sous le titre « La France face à une nouvelle crise après la chute du Premier ministre ». Publié dans un pays, dont l’histoire récente a été marquée une longue crise politique et l’absence de gouvernement fédéral de plein exercice, Le Soir publie un édito en guise de mode d’emploi pour leurs voisins : « En France, le devoir impératif de s’entendre ». Leur correspondante Joëlle Meskens, qui déplore « le énième spectacle affligeant d’une Assemblée incapable de respect » explique que « si la constitution d’un gouvernement d’union nationale semble impossible, un consensus s’impose à tout le moins pour adopter un budget ».
Les regards tournés vers Emmanuel Macron, un président désormais « dos au mur »
« Le gouvernement renversé, Macron le dos au mur », titre le quotidien helvétique francophone Le Temps. « S’il veut s’en sortir par le haut, Emmanuel Macron ne peut plus faire semblant d’écouter ce que ses concitoyens ont exprimé lors des législatives anticipées qu’il a provoquées l’année passée. Ils ont clairement dit qu’ils ne voulaient plus de sa vision […] Emmanuel Macron est donc le dos au mur. Et c’est là que l’on verra s’il est capable de faire ce qu’il exige des autres depuis plus d’un an : renoncer à des points centraux de son programme pour faire avancer un compromis avec des forces opposées », analyse leur correspondant à Paris Paul Ackermann dans un édito.
Observateur de la vie politique française depuis maintenant dix ans, le journaliste danois Torre Keller résume les enjeux des prochains jours de la façon suivante : « La chute du Premier ministre va forcer Emmanuel Macron à faire quelque chose qu’il déteste ». Le correspondant du Dagbladet Information signifie à travers son titre que le président français doit désormais choisir au plus vite un Premier ministre, et rompre avec les longues attentes qui ont caractérisé les précédentes nominations.
Originaire d’une démocratie parlementaire rompue aux accords de coalition, le journaliste constate que les grandes formations politiques françaises ont échoué à apprivoiser la nouvelle donne politique, installée depuis juillet 2024. « Chez nous, on a eu des gouvernements minoritaires au Parlement, et on a quand même réussi à se mettre d’accord et à faire adopter les lois. C’est dans notre ADN, le compromis a toujours été plus facile. En France, le pouvoir n’a pas essayé d’en faire, difficile de changer cette tradition », explique-t-il à Public Sénat. « On a l’impression que chacun est totalement fixé sur 2027 et que personne n’a envie de se salir les mains avant cette date. »
Craintes d’un affaiblissement de la France au plan européen
Les difficultés politiques françaises intéressent au premier chef Copenhague, puisque le pays assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, où les sujets d’importance ne manquent pas : aide à l’Ukraine ou encore paquet climat. « C’est très important de savoir si on peut compter sur la France, si le pays va pouvoir jouer un rôle au Conseil européen. Ce n’est pas une situation optimale pour nous », relève Torre Keller.
Ce sont également les mêmes inquiétudes sur le plan international qui traversent la rédaction du Dagens Nyheter, l’un des quotidiens de référence en Suède. Dans un éditorial, le quotidien scandinave s’inquiète des faibles marges de manœuvre de l’Élysée jusqu’à la présidentielle, mais également de l’après-Macron : « Comprenons-nous à quel point la situation est dangereuse en France et au Royaume-Uni ? » On peut lire que « le sol tremble sous les pieds d’Emmanuel Macron et de Keir Starmer », le Premier ministre britannique, et que « bientôt, les populistes de droite pourraient diriger à Paris et à Londres ». La rédaction suédoise considère que le président français est le dirigeant européen qui « s’est montré le plus clairvoyant sur l’Ukraine ». Mais « le président français sera-t-il capable de tenir ses promesses ? Pour l’instant, il n’arrive même pas à boucler son budget. »