Fait rarissime en Chine : les autorités locales sont confrontées à un vaste mouvement de contestation partout dans le pays. C’est le mouvement le plus étendu depuis les mobilisations pro-démocratie de 1989. Quelles sont les caractéristiques de ces mobilisations ?
C’est une opposition spontanée populaire. C’est une bouffée de colère absolument incontrôlable. Les Chinois ont une capacité d’endurance absolument phénoménale. Ils ont quand même supporté une politique du Zéro Covid complètement délirante pendant trois ans. Personne d’autre qu’eux n’est capable de faire ça. C’est stupéfiant.
Comment peut-on expliquer l’ampleur de ces mobilisations ?
C’est très spectaculaire et ça montre deux choses : d’abord que les Chinois pensent. À certains moments, on se demandait s’ils en étaient encore capables. Ils pensent, et ils se rendent compte que la liberté et la démocratie ne sont pas uniquement des mots abstraits. S’il n’y a pas de liberté et de démocratie, on a un dictateur fou qui impose des consignes et des contraintes qui sont mortifères.
Ce n’est pas le gouvernement chinois qui a provoqué cette épidémie à travers le monde et aussi à travers la Chine. Mais le gouvernement chinois est le gouvernement qui a su le mieux, en quelque sorte, en tirer bénéfice.
Quelles sont les revendications ?
On voit que lorsque ça va trop loin, les Chinois peuvent descendre dans la rue. Et ils s’expriment en termes politiques. Jusqu’à présent, les revendications étaient d’ordre pragmatique. Ceux qui manifestent n’avaient pas touché leur salaire, leur prime… Pour ces raisons-là, ils sortaient dans la rue. Ils voulaient se défendre. Et c’est fondamental. Ils ne se battent pas pour des principes abstraits. Ce sont toujours des problèmes extrêmement concrets et extrêmement graves.
Les Chinois ont immédiatement transformé ce mouvement de protestation en un mouvement politique. Et c’est ce qui fascine les observateurs. Depuis 1989, il n’y a pas eu un seul mouvement politique d’ampleur. Aujourd’hui, le mouvement politique, c’est de dire « À bas le parti politique chinois » ; « Xi Jinping démission »… Nous, on dit « Macron démission » quand on prend le petit-déjeuner. Mais en Chine, ça n’a pas été dit depuis la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Depuis cette date, il n’y a pas eu un seul mouvement demandant la démission du président.
Selon les manifestants, les autorités chinoises se servent des confinements stricts pour contrôler la population. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?
Absolument. Bien évidemment, ce n’est pas le gouvernement chinois qui a provoqué cette épidémie à travers le monde et aussi à travers la Chine. Mais le gouvernement chinois est le gouvernement qui a su le mieux, en quelque sorte, en tirer bénéfice. Le Covid a été une occasion en or pour un gouvernement totalitaire d’avancer encore plus loin dans ce totalitarisme. En ce sens que ça lui a donné l’occasion rêvée de contrôler tous les mouvements, toutes les activités, tout le monde, tout ce qu’il se passe en Chine.
Un incendie mortel la semaine dernière a eu lieu à Urumqi, capitale de la région du Xinjiang (nord-ouest de la Chine). Les restrictions sanitaires sont accusées d’avoir empêché le travail des secours, des arguments balayés lundi par le gouvernement. Que sait-on de ce drame ?
L’incendie du Urumqi a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère. Ce sont les consignes imposées par la politique de « Zéro Covid » qui ont empêché les pompiers de s’approcher suffisamment près du bâtiment en feu. On voit dans des vidéos des lances à eau qui n’arrivent pas à atteindre les flammes. L’eau s’arrête juste avant le feu. Et les secours n’y arrivent pas parce que toutes les rues sont barrées. Ce sont des images terribles que tous les Chinois ont vues. Et c’est ce qui a fait exploser la marmite. Tout d’un coup, la colère a explosé. Il y a aussi eu d’autres incidents très graves qui ont là aussi provoqué des morts. Et ce ne sont pas les premiers décès liés à cette politique « Zéro Covid ». Les Chinois en sont bien conscients.
Plusieurs manifestations étaient prévues lundi soir mais n’ont pas eu lieu. La répression chinoise commence-t-elle à porter ses fruits ? Quels sont les moyens employés par Pékin pour réprimer la contestation ?
Les policiers sont en action. Ils sont partout. Ils sont là pour surveiller tout le monde. Ils arrêtent les manifestants, les forcent à effacer le contenu des téléphones. La contrainte sur la population est vraiment démente. Mais il ne faut pas oublier que les capacités d’invention du pouvoir pour la répression sont sans limite. Ce matin, ils ont organisé des norias de bus pour emmener les étudiants à l’aéroport. Le gouvernement leur dit de prendre des vacances, d’aller voir leur famille qu’ils n’ont pas pu voir depuis longtemps à cause des contraintes du « Zéro Covid ». Et ça va durer encore dix jours, le temps d’évacuer tous les étudiants hors de Pékin.
Le combat va cesser faute de combattants.
Face à cette répression massive, quelles sont les chances de survie du mouvement de contestation ?
Le combat va cesser faute de combattants. Imaginez mai 68 avec un gouvernement français qui propose aux étudiants d’aller à la campagne et de revenir discuter dans un mois… Je trouve que l’idée est absolument géniale et stupéfiante. Il n’y a vraiment que le gouvernement chinois pour inventer un truc pareil.
Que dit la communauté internationale au sujet de ces mobilisations ?
Pour le moment, la communauté internationale réagit quand même assez fermement. Le président américain Joe Biden insiste pour dire que la liberté d’expression est fondamentale, qu’on ne peut pas y toucher. Le président du conseil européen Charles Michel sera en Chine à partir de jeudi. Il a été chargé par des associations pour les droits humains de rappeler le fait que le prix Sakharov du Parlement européen, Ilham Tohti, un Ouïghour dont nous sommes sans nouvelle depuis 2014. Il a été condamné à vie par Pékin… Il faut que les autorités chinoises nous donnent des nouvelles…
Cela peut-il avoir une répercussion sur le régime de Pékin ?
Il est inutile de croire à un succès. Mais quoi qu’il en soit, que la réaction du gouvernement soit positive ou négative, qu’il dise quelque chose ou pas… C’est toujours une information de plus.
Les Chinois sont conscients du fait que s’ils veulent s’en sortir, c’est à eux de mener le combat.
Les vastes mouvements de contestation pourraient-ils avoir des répercussions sur la scène internationale ?
J’ai envie de reprendre les paroles des femmes iraniennes qui manifestent. Elles nous disent qu’elles ne nous demandent pas de venir les libérer. Elles nous disent qu’il faut résister énergiquement à ce gouvernement mortifère. C’est comme pour les Ukrainiens. Eux, ils se battent pour leur vie. Et ce sont eux qui se battent pour leur vie. Ils ne nous demandent pas de venir combattre pour eux. Les Chinois sont conscients du fait que s’ils veulent s’en sortir, c’est à eux de mener le combat. Mais d’un autre côté, il ne faut pas aider ces gouvernements. Ils nous disent de les soutenir et de continuer. Il faut continuer de montrer au peuple chinois que l’on sait faire la différence entre le peuple et le Parti communiste chinois et Xi Jinping.