Choix stratégiques, OPA de Vincent Bolloré, avenir d’Europe 1… Arnaud Lagardère répond aux questions des sénateurs

Choix stratégiques, OPA de Vincent Bolloré, avenir d’Europe 1… Arnaud Lagardère répond aux questions des sénateurs

Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias, Arnaud Lagardère a défendu les choix stratégiques qui l’ont amené à réduire le périmètre des activités du groupe fondé par son père. Largement interrogé sur les bouleversements au sein de la radio Europe 1, l’une des vitrines du groupe Lagardère, le milliardaire assume « une somme d’erreurs ».
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Après Vincent Bolloré, Bernard Arnault et Patrick Drahi, l’audition d’Arnaud Lagardère était certainement l’une des plus attendues par la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias. Le dirigeant du groupe Lagardère, propriétaire via la branche médias Lagardère News de trois radios (Europe 1, Virgin Radio, RFM) et de deux titres de presse (Paris-Match et Le Journal du Dimanche) a été longuement interrogé par les élus sur le rapprochement de son groupe avec Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré, mais aussi sur les déboires d’Europe 1, en perte d’audience depuis plusieurs années et qui a vu, ces derniers mois, des dizaines de journalistes plier bagage.

« Réduire la taille du groupe pour le refaire grandir »

Le milliardaire a d’abord tenu à défendre les choix stratégiques opérés depuis qu’il a pris la tête du groupe qui porte son nom, après la mort de son père, Jean-Luc Lagardère, en 2003. Se défendant d’avoir « rétréci l’empire » - selon un titre utilisé par Libération en mai 2018 -, Arnaud Lagardère assure qu’il n’était plus possible d’investir dans les différentes branches de l’entreprise familiale. « Je me suis dit que ce groupe, pour devenir plus grand, devait passer par une phase où il serait plus petit. […] Cette idée de réduire la taille du groupe après la mort de mon père pour le refaire grandir était évidente. Mais on ne serait nulle part aujourd’hui si on avait gardé ce fameux conglomérat, cet empire qui a été soi-disant détruit », explique-t-il pour justifier l’abandon des activités de haute technologie et le recentrage sur les médias, l’édition et le commerce de détail dans les gares et les aéroports, soit les trois principaux segments d’activité du groupe aujourd’hui. « J’ai fait le choix de privilégier ces branches, car j’ai pensé qu’elles pouvaient avoir un rôle mondial et qu’on pourrait arriver au podium des leaders mondiaux. »

L’OPA « amicale » de Vincent Bolloré, « un ami de 30 ans »

Alors que Vincent Bolloré, via Vivendi, devrait devenir dans les prochaines semaines l’actionnaire majoritaire du groupe Lagardère, Arnaud Lagardère défend la manœuvre, qui devrait remettre l'entreprise à flot, tout en lui permettant d’en conserver la direction. « Il n’y a pas de rapprochement éditorial avec le groupe Vivendi, il y a un rapprochement industriel et économique », tient-il à préciser. « Je n’aurais jamais transformé la commandite en société anonyme, je n’aurais jamais accueilli Vivendi et soutenu son OPA amicale si je n’avais pas été assuré que l’intégrité du groupe Lagardère et son management seraient conservés », défend Arnaud Lagardère, qui évoque « un ami de 30 ans », qui l’a « énormément aidé moralement le jour du décès de [s] on père ».

« Quelles garanties apporter aux salariés que l’arrivée de Vincent Bolloré n’aura aucune conséquence éditoriale et managériale ? », interroge la sénatrice Monique de Marco. « Les garde-fous n’existent pas », admet Arnaud Lagardère. « C’est d’abord une question de confiance. »

Vague de départs chez Europe 1

Une confiance qui, vraisemblablement, n’était pas au rendez-vous du côté des journalistes d’Europe 1, remarque le rapporteur David Assouline. « Pourquoi les journalistes d’Europe 1, que vous dites avoir admiré, qui ont fait cette maison, les Patrick Cohen, les grandes plumes… ont-ils jugé l’inverse et sont partis par dizaines ? », interroge-t-il. Après un mouvement de grève au début de l’été 2021, quelque 70 journalistes de la station sont partis entre août et décembre, à la faveur notamment d’une rupture conventionnelle collective, selon un décompte qui a été présenté aux sénateurs lundi par Olivier Samain, ex-délégué chez Europe 1 du SNJ, le premier syndicat de journalistes. « Je ne peux pas empêcher les gens de ne pas être de mon avis et de penser qu’il y a quelque chose d’autre (derrière ce rapprochement). Ça n’est pas le cas ! », défend Arnaud Lagardère.

Il fustige d’ailleurs certains propos malheureux, selon lui, qui auraient contribué à nourrir les tensions. « Lorsque Donat Vidal-Revel, (le directeur de l’information d’Europe1, ndlr), dit que les salaires sont payés par Bolloré, c’est une bourde. Une bourde que je n’ai pas appréciée. C’est faux et c’est bête », s’agace Arnaud Bolloré. « Mais j’ajoute quand même, car cela sera repris, que Monsieur Donat Vidal-Revel garde ma confiance, non pas pour ce qu’il a dit, mais pour tout ce qu’il fait par ailleurs ».

Nouvelles têtes et éviction de Canteloup

Mais David Assouline insiste sur un éventuel glissement de la ligne éditoriale à l’heure où le groupe se rapproche de Vivendi. L’élu en veut pour preuve les changements de grille et les « synergies » mises en place avec CNews en septembre 2021. « Les synergies que nous faisons sont avec le groupe Canal, pas seulement avec CNews. Le cinéma nous intéresse, le football nous intéresse, la musique nous intéresse... », balaye Arnaud Lagardère. « Nous avons estimé qu’un certain nombre de journalistes pouvaient venir de CNews, mais ils n’étaient pas uniquement sur CNews. » L’homme d’affaires rappelle ainsi que Dimitri Pavlenko et Laurence Ferrari, deux présentateurs de CNews arrivés chez Europe 1 en fin d’année dernière, officiaient également sur Radio Classique. Il se défend aussi de la nomination de Jérôme Béglé à la tête du Journal du Dimanche : « Il est chroniqueur de Pascal Praud - que j’aime beaucoup, comme son émission -, mais vous oubliez de dire qu’il est le patron du Point (directeur adjoint de la rédaction, ndlr). Là, ça ne pose pas de problème, mais le fait qu’il soit sur CNews, c’est horrible ? », s’agace le milliardaire. Il dénonce « des procès d’intention ». « Europe1 n’est pas une radio d’opinions, c’est une radio généraliste. Pas d’informations, généraliste ! Nous allons le rester », assure-t-il.

L’éviction de l’humoriste Nicolas Canteloup, qui officiait sur Europe 1 depuis 2005, est-elle liée à ses « moqueries » contre Vincent Bolloré ?, renchérit le rapporteur. « Il ne posait pas problème, mais on a souhaité faire un format qui soit plus dans l’information et le débat », répond Arnaud Lagardère. « S’il dit qu’il a été évincé pour des raisons éditoriales, ce serait décevant de sa part », ajoute-t-il. David Assouline relève néanmoins : « On a dit que la rupture de contrat a coûté 1 million d’euros, je trouve que ça coûte cher, juste pour un changement de positionnement… Mais je prends acte de votre réponse ».

Face à la chute des audiences, « je n’ai pas été assez patient probablement »

Le sort d’Europe 1 a occupé une large partie de cette audition. Notamment la chute des audiences qui pénalise la station depuis plusieurs années. Sur ce point, Arnaud Lagardère a esquissé un mea culpa : « Probablement une somme d’erreurs que j’assume ». « On aurait dû investir davantage dans la rédaction, probablement avec des journalistes à l’étranger, ce que nous n’avons pas voulu faire. Je me suis attaqué à la baisse des coûts alors que ça n’était pas le bon moment. Je n’ai pas été assez patient probablement », admet-il. De fait, la station a connu quatre directions différentes entre 2017 et 2019. De quoi donner le tournis. « Est-ce d’avoir mis trop peu d’informations à l’antenne ? C’est possible. Est-ce qu’il nous manque une génération partie par l’âge ? C’est possible aussi », poursuit Arnaud Lagardère. « Le virage du numérique, on l’a pris trop tard, c’est clair. »

Le président du groupe Lagardère estime que le développement des podcasts représente un axe de redressement essentiel pour l’antenne. Mais c’est encore et surtout sur les synergies mises en place avec Canal qu’il mise : « On a besoin de s’adosser à une chaîne. Toutes les radios le sont. »

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