Christiane Taubira « envisage » d’être candidate, Anne Hidalgo propose un débat : à gauche, l’impossible rassemblement

Christiane Taubira « envisage » d’être candidate, Anne Hidalgo propose un débat : à gauche, l’impossible rassemblement

Alors que Christiane Taubira a donné rendez-vous à ses sympathisants mi-janvier, pour une éventuelle candidature à la présidentielle, Anne Hidalgo propose un débat télévisé aux candidats de gauche, en vue d’une hypothétique primaire.
Romain David

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En littérature, on appellerait cela « un effet d’attente trompé ». Et nul doute que Christiane Taubira, qui manie à merveille la langue de Molière, pimente régulièrement ses prises de parole de citations empruntées aux poètes antillais, connaît sur le bout des doigts ses figures de style. « J’envisage d’être candidate à l’élection présidentielle de la République Française. Je ne serai pas une candidate de plus, je mettrai toutes mes forces dans les dernières chances de l’union. […] Je vous donne rendez-vous à la mi-janvier », a annoncé l’ancienne garde des Sceaux de François Hollande, vendredi en fin de matinée, dans une vidéo postée sur son compte Facebook. Alors qu’une large partie de la gauche bruisse depuis plusieurs mois de la rumeur d’une hypothèse Taubira comme recours face à la dispersion des candidatures cinq mois avant le scrutin, l’intéressée vient de faire un premier pas en avant, mais ne franchit pas encore le Rubicon.

Faut-il voir, derrière son appel au rassemblement, l’intention de participer à une primaire à gauche ? L’idée est fermement défendue depuis plus d’une semaine par Anne Hidalgo, la candidate investie par le PS. Encalminée dans les sondages, avec 3 à 5 % des intentions de vote au premier tour selon les instituts, la maire de Paris a opéré un revirement inattendu le 8 décembre en appelant à un vote des militants de gauche pour départager les différents postulants à l’investiture suprême. Yannick Jadot, le candidat EELV, et Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise, lui ont déjà dit non. Arnaud Montebourg, l’ancien ministre du Redressement productif, s’est dit ouvert à une discussion en vue d’un rapprochement, mais peu enclin à se soumettre à un vote.

Ce qui compte, c’est vous. ChT pic.twitter.com/ZSxVLpeaim

— Christiane Taubira (@ChTaubira) December 17, 2021
 

« J’y vais, je n’y vais pas… On a du mal à décrypter Christiane Taubira »

Une participation de Christiane Taubira sera-t-elle susceptible de faire aboutir cette initiative ? Vendredi, les socialistes étaient peu nombreux à vouloir réagir après son annonce. « Je n’ai pas vocation à commenter ce qui n’existe pas », lâche un élu. On comprend l’agacement : à quelques minutes près, la vidéo éclipsait la prise de parole de leur candidate. En milieu de journée, depuis son QG de campagne, à deux pas de la gare de Lyon, Anne Hidalgo a proposé aux autres candidats de gauche de venir débattre sur une chaîne télé : « Débattons devant nos concitoyens, assumons de venir présenter nos propositions, de faire émerger les convergences, mais aussi de montrer les différences. » Nouvelle tentative pour essayer de rassembler les candidats autour d’un plateau - à défaut d’une table -, avec l’idée que ce débat précéderait une éventuelle primaire.

« Je pense qu’aujourd’hui, Christiane Taubira fait le même constat qu’Anne Hidalgo : la division est une impasse pour la gauche. Anne Hidalgo propose une primaire pour régler ce constat, si Christiane Taubira annonce clairement son intention d’y participer, elle donnera du poids à l’initiative d’Anne Hidalgo », veut croire le sénateur socialiste de Paris, David Assouline. « Mais je pense que, pour le moment, elle-même n’a pas encore tranché sur ce qu’elle a vraiment l’intention de faire ».

« J’y vais, je n’y vais pas… On a du mal à la décrypter », abonde Guillaume Gontard, le chef de file des sénateurs écolo. « Pour moi, Christiane Taubira amène de la confusion, là où il n’y avait pas besoin d’en ajouter. » Sa déclaration de vendredi pourrait n’être qu’un ballon d’essai, une manière de jauger, d’ici la mi-janvier, sa capacité à rassembler sous son seul nom. « Sa candidature n’a de sens que si tout le monde se rassemble autour d’elle. C’est une figure symbolique », a estimé vendredi matin, sur LCI, Ségolène Royal, qui avait porté les couleurs du PS en 2007.

« Si elle y va, je soutiendrai cette candidature ! », lâche tout de go, à Public Sénat, le sénateur EELV du Morbihan Joël Labbé, qui a pourtant rallié Yannick Jadot lors de la primaire des écologistes. « Je pense que l’idée d’une candidature de Christiane Taubira est à même de fédérer, sans avoir à passer par une primaire », soutient-il. « Je l’ai connue quand elle était garde des Sceaux, je l’ai vue travailler. C’est une personne de qualité. Sur ses prises de paroles, son engagement moral, ses valeurs, sa lucidité… elle a largement la capacité pour faire autorité au sein de la gauche. »

Déjà candidate en 2002, Christiane Taubira avait fini treizième avec 2,32 % des voix. À l’époque, elle s’était notamment vue reprocher d’avoir participé à la dispersion des voix à gauche, favorisant selon certains l’élimination de Lionel Jospin, et l’accès de Jean-Marie Le Pen au second tour. Des accusations dont elle s’est vivement défendue en 2010 auprès de Mediapart, invoquant le sectarisme de ses concurrents : « Si on m’avait dit qu’il y avait un risque, si on avait discuté et si on m’avait convaincue, j’aurais pu me retirer. » Pour l’heure, les enquêtes d’opinion à gauche lui sont plutôt favorables. Avec 67 % de bonnes opinions, l’ancienne ministre de la Justice s’impose comme la personnalité préférée des sympathisants de gauche, devant Yannick Jadot (61 %), Jean-Luc Mélenchon (54 %) et Anne Hidalgo (51 %), selon une étude Odoxa-Mascaret pour L’Obs, publiée le 10 décembre. Dans la même enquête, elle est également jugée plus compétente, plus convaincante et « plus capable de gouverner la France » que l’eurodéputé écolo et la maire de Paris.

Les écologistes persistent et signent

« Je dis à Christiane Taubira, comme aux autres : venez travailler, avec vos histoires, vos propositions, vos idées, mais autour du projet écologiste et de la candidature écologiste, pas simplement pour essayer de trouver une porte de sortie à une candidature socialiste en difficulté », a commenté Yannick Jadot vendredi matin. « Si le PS veut, le mois prochain, organiser sa primaire, libre à lui ! Ils l’ont sortie de leurs statuts, s’ils veulent la remettre, très bien. Ça n’est plus mon sujet », a encore déclaré l’écolo, un brin agacé de voir la conférence de presse qu’il tenait autour du travail parasitée par des questions sur l’union des gauches.

« Je comprends que ce soit compliqué pour Anne Hidalgo, qui cherche une porte de sortie », explique le sénateur Gontard. « Mais il faut arrêter avec cette politique spectacle, ça n’est pas sérieux, ça n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous avons déjà eu une primaire des écologistes, qui a réuni plus de 120 000 participants. Yannick Jadot a montré qu’il était capable de travailler pour le bien commun. J’avais de la sympathie pour l’idée d’une primaire à gauche, mais maintenant, c’est trop tard. Ils ont loupé le coche », balaye-t-il.

« Construire une coalition de gauche en vue des législatives »

« On ne peut pas tous faire semblant d’être aveugles. Les faits sont têtus, avec 10 % on ne gagne pas la présidentielle », lui répond le sénateur socialiste Rachid Temal. À défaut d’un rapprochement, un débat télévisé peu, a minima, « servir de caisse de résonance » aux propositions portées par la gauche, et contrebalancer « une droite et une extrême droite en train de tuer le match ». « Je ne peux pas croire, ajoute Rachid Temal, que Jean-Luc Mélenchon accepterait un débat avec Éric Zemmour et pas avec la gauche. »

Il salue une autre proposition faite par Anne Hidalgo ce vendredi : mettre en place un socle commun autour de plusieurs axes. À savoir : l’augmentation du Smic, l’accès des jeunes au marché du travail, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore l’hôpital public. « L’objectif, c’est aussi de construire une coalition de gauche en vue des législatives », glisse l’élu. « Il existe déjà un programme fort, et c’est celui de Yannick Jadot », objecte Guillaume Gontard qui tient à remettre l’église au milieu du village : « Tant mieux si Anne Hidalgo veut venir travailler avec nous sur le projet, mais est-ce que les électeurs de gauche attendent encore quelque chose du PS après le quinquennat de François Hollande ? Il faut construire autre chose. Aujourd’hui, la dynamique de recomposition se fait autour du pôle écolo. »

Quel programme pour Christiane Taubira ?

Car c’est aussi une autre des interrogations autour de la candidature de Christiane Taubira : sur quel programme va-t-elle s’appuyer si elle se lance ? Il n’en a pas été question dans la vidéo postée vendredi, même si elle assure « avoir fait le compte de ce qui compte », citant « la fragilité du quotidien, les incertitudes de l’avenir, les fractures de la société française, les atermoiements de l’Union européenne face aux urgences » ou encore « les défaillances de la communauté internationale. » En 2002, son programme défendait notamment une retraite par capitalisation pour les plus hauts revenus ; la suppression de l’impôt sur le revenu, de la contribution sociale généralisée (CSG) et des cotisations sociales, remplacés par un impôt progressif unique ; un allègement des charges fiscales pesant sur le travail, ou encore l’instauration d’une VIe République, avec la disparition du poste de Premier ministre et la réunion des élections législatives, sénatoriales et présidentielles.

Pour le sénateur Joël Labbé, la candidature de Christiane Taubira n’aura de valeur, « au vu de la situation dans laquelle se trouve le pays », que si elle s’accompagne « d’un gouvernement d’union sacrée de gauche, avec une équipe politique composée des différentes tendances en lice, et accordant une place de premier plan à Anne Hidalgo et Yannick Jadot. »

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