Alors que la nomination du successeur de François Bayrou s’accélère, la question de l’attitude du Rassemblement national (RN) vis-à-vis du prochain gouvernement interroge. Le groupe de Marine Le Pen n’a – sans surprise – pas voté la confiance à l’ancien Premier ministre et demande depuis ce 8 septembre une dissolution et la tenue de nouvelles élections législatives. « Si on ne revient pas devant les Français, alors rien de sain ne pourra émerger de la situation actuelle », a expliqué Jordan Bardella ce mardi matin sur RTL. L’Elysée ayant promis une nomination d’un nouveau Premier ministre « dans les tout prochains jours », l’hypothèse la plus probable reste la constitution d’un gouvernement émanant de forces politiques semblables au précédent, et ni une éventuelle dissolution, ni une éventuelle démission n’ont été évoquées.
« Le FN a toujours joué sur les deux tableaux : dédiabolisation et côté sulfureux »
Le chemin qui se dessine pour le RN est donc étroit. D’une part, la « stratégie de la cravate » mise en œuvre depuis la reprise du parti par Marine Le Pen pousse le RN à se poser en garant de la stabilité et de la continuité de l’Etat. De l’autre, les cadres du parti multiplient depuis 24 heures les appels à la dissolution – et même à la démission du Président de la République.
« Le nouveau Premier ministre devra rompre avec la politique de M. Macron. S’il ne le fait pas, les mêmes causes entraîneront les mêmes conséquences », a averti Jordan Bardella ce mardi. Même son de cloche chez Marine Le Pen en salle des quatre colonnes à l’Assemblée nationale : « Soit un Premier ministre est capable de trouver une voie pour ne pas être censuré quand il présentera son budget, soit il n’est pas capable de trouver une voie et on reposera sur la table la question de la dissolution. Pas par caprice, mais parce que c’est le seul moyen dans notre Constitution de sortir de cette crise politique qui pourrait se transformer en crise de régime. »
En agitant le spectre d’une « crise de régime », le RN est-il en train de rompre avec sa stratégie de normalisation ? « Le Front National (FN) a toujours joué sur les deux tableaux en étant dans une forme de normalisation et de dédiabolisation d’une part, et de l’autre en jouant sur un côté sulfureux qui lui permet de se distinguer du reste du champ politique », développe Sylvain Crépon, maître de conférences en science politique à l’Université de Tours.
Le politiste cite notamment les travaux d’Alexandre Dézé sur « le FN à la conquête du pouvoir ? » en rappelant que cette « ligne de crête » a toujours été constitutive de l’identité du parti. « C’est à la fois la force et la limite de ce parti, poursuit Sylvain Crépon. Le côté sulfureux permet de mobiliser son électorat traditionnel et le côté responsable lui permet d’acquérir un électorat qui peut avoir peur de l’incompétence des cadres. Mais en même temps, s’il va un peu trop loin dans un registre ou dans l’autre, cela peut lui nuire, soit en effrayant des gens, soit en se normalisant trop et en perdant ce qui l’identifiait dans le paysage électoral. »
La suppression des jours fériés et l’augmentation de certains impôts dans le viseur du RN
En posant des conditions claires, Jordan Bardella et Marine Le Pen ouvrent tout de même la porte à la non-censure d’un gouvernement qui renoncerait notamment à la suppression des deux jours fériés et à « l’augmentation des prélèvements obligatoires de 20 milliards » identifiés dans le budget présenté par François Bayrou. « En votant contre la confiance au gouvernement tout en posant des conditions de soutien au gouvernement, Marine Le Pen continue parfaitement dans ce double registre », analyse Sylvain Crépon.
L’universitaire ne croit pas à une participation « pleine et entière » du RN à un gouvernement comprenant des macronistes et des Républicains. « Dans la situation de désaffection dans laquelle est Emmanuel Macron, je ne vois pas le RN se compromettre avec des partis en voie de marginalisation et perdre toute sa capacité d’opposition », développe le politiste en évoquant une forme de « soutien réservé » ou « soutien sans participation. » D’autant plus que sur le fond, les conditions posées par le RN sont ciblées vers le cœur de leur électorat, les artisans, les commerçants et les petits patrons. « Le RN joue comme souvent la carte du pouvoir d’achat sans avoir à se mouiller par rapport aux finances publiques », développe-t-il.
Une dissolution pourrait permettre un ultime recours constitutionnel à Marine Le Pen
La réponse au dilemme dans lequel semble pris le RN entre normalisation et opposition pourrait tout aussi être plus prosaïque. En juillet, Marine Le Pen évoquait dans Le Parisien la possibilité qu’elle ne laisserait pas passer – en cas de dissolution – de « défendre sa candidature auprès des instances chargées de la valider. » Frappée d’une peine d’inéligibilité par provision, la candidate putative du RN à l’élection présidentielle compte sur de nouvelles élections législatives pour déposer une question prioritaire de constitutionnalité sur l’exécution provisoire de sa peine.
Marine Le Pen mise par ailleurs sur une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel qui différencie le cas d’un élu local ou d’un élu national sur la question, au sens où un parlementaire exerce la souveraineté populaire et pourrait donc rester parlementaire en dépit d’une inéligibilité par provision. Le débat sur la possibilité qu’un tel recours aboutisse reste ouvert (voir notre article), mais cette éventualité pourrait expliquer la pression mise par le RN sur le sujet. En tout état de cause, une condamnation en appel le 12 février 2016 – date de fin du procès – mettrait fin aux espoirs présidentiels de Marine Le Pen.