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Chute du gouvernement Barnier : comment comprendre la stratégie de Marine Le Pen ?

Le Rassemblement national a joint ses voix au Nouveau Front Populaire pour voter la motion de censure de la gauche et renverser Michel Barnier ce mercredi 4 décembre. Pression des électeurs, risque d’inéligibilité, budget insatisfaisant… Qu’est ce qui a poussé les troupes de Marine Le Pen à faire tomber le gouvernement ?
Quentin Gérard

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Entre Marine Le Pen et Michel Barnier, l’entente avait pourtant bien commencé. Si le Premier ministre a toujours été « sous surveillance », début octobre, après son discours de politique générale, la cheffe de file des députés RN louait son « sens de la courtoisie assez inné » et évoquait son « esprit d’ouverture ». Ce mercredi 4 décembre, le Rassemblement a néanmoins mêlé ses voix au Nouveau Front Populaire sur leur motion de censure pour renverser son gouvernement.

Que s’est-il passé ? Marine Le Pen a estimé qu’il y a eu trop peu d’échanges avec le Premier ministre. « Dès qu’il a été nommé, nos équipes auraient dû se rapprocher », peste la députée du Pas-de-Calais auprès du Parisien. Michel Barnier l’a tout de même invité à Matignon le lundi 25 novembre. En sortant, Marine Le Pen estime qu’il est resté « campé sur ses positions ». Elle lui a répété ses « lignes rouges ». A savoir, l’augmentation de la taxe sur l’électricité, la désindexation des retraites, même réduite de moitié, et le déremboursement des médicaments. Dans le même temps, elle a réclamé des « économies claires », sur l’immigration et le fonctionnement de l’Etat.

Quelques jours plus tard, dans un entretien au Figaro, Michel Barnier renonce à la hausse de la taxe sur l’électricité. Une première victoire pour Marine Le Pen, mais aussi pour la gauche. Le lundi 2 décembre, le Savoyard l’appelle pour lui annoncer qu’il renonce aussi au déremboursement des médicaments. Une deuxième victoire pour Marine Le Pen, dont elle est créditée par le communiqué de Matignon. La candidate « naturelle » du RN abonde, c’est maintenant la désindexation des retraites ou la censure. Cette fois-ci, Michel Barnier ne cède pas. « Elle a essayé d’entrer dans une sorte de surenchère », dénonce-t-il, la veille de sa chute sur TF1 et France 2.

La possibilité d’être condamnée « a influencé sa stratégie »

Comment est-on passé d’une Marine Le Pen qui joue la stratégie de la « cravate » à une Marine Le Pen si intransigeante ? « Le réquisitoire a incontestablement influencé sa stratégie », assure Luc Gras, politologue. « La possibilité d’une condamnation avec effet immédiat l’empêchant de se présenter à l’élection présidentielle l’a obligé à accélérer son calendrier », poursuit-il. Marine Le Pen est mise en cause dans le procès des « assistants parlementaires du Front National ». Le parquet a requis, mi-novembre, à son encontre, cinq ans de prison, dont trois avec sursis, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Ce qui pourrait, si les juges suivent les procureurs, l’empêcher de se présenter en 2027. Le jugement est attendu au premier trimestre de 2025.

Il y a d’autres motifs pour Erwan Lecoeur, enseignant-chercheur à l’Université Grenoble Alpes. « Être en accord avec son électorat qui plébiscitait une censure de Michel Barnier et reprendre le contrôle sur Jordan Bardella », indique-t-il. « Jordan Bardella se refait une santé avec la sortie de son livre alors qu’elle pourrait ne pas pouvoir se présenter à la présidentielle. Hypothèse que Bardella a lui-même insinué. Elle n’avait pas le choix, il fallait régler la chose en interne et ne pas paraître molle », affirme le politologue.

Marine Le Pen vise une présidentielle anticipée ?

Faire chuter Michel Barnier pour précipiter l’élection présidentielle ? L’hypothèse est évoquée. Faudrait-il encore qu’Emmanuel Macron démissionne, ce qu’il a toujours dit refuser. Chose que Marine Le Pen ne demande pas. Toutefois, elle prévient : « Il arrivera un moment où, si on ne prend pas la voie du respect des électeurs et des élections, alors la pression sur le président de la République sera de plus en plus forte ». Pour Luc Gras, « la présidentielle anticipée est bel et bien la stratégie de Marine Le Pen ». Le politologue assure : « Si elle est niée par le Rassemblement national, elle est assumée par La France Insoumise ».

Erwan Lecoeur acquiesce : « Marine Le Pen ne doit pas passer pour celle qui met le chaos. Elle préfère laisser La France Insoumise pousser pour la démission du président ». Pour l’enseignant-chercheur, ce scénario ne profiterait qu’à deux personnes : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, ce sont les seuls qui seraient prêts à se lancer dans une campagne. « Et à la fin, c’est la présidente du Rassemblement national qui gagnerait », affirme-t-il.

« La stratégie du Rassemblement national est assez habile »

Au contraire, Luc Rouban, auteur de livre « Les ressorts cachés du vote RN », voit d’autres raisons dans le choix du Rassemblement national de censurer Michel Barnier. « J’ai été frappé par les paroles de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale avant le vote de la motion de censure. C’était un discours très libéral qui aurait pu être fait par un élu des Républicains », indique le directeur de recherches au CNRS. Pour lui, la stratégie est finalement assez cohérente. « Leur objectif est de devenir le nouveau grand parti de droite. Le budget était critiquable car trop dépensier et comprenait trop de charges fiscales pour les entreprises », souligne celui qui travaille aussi au Cevipof.

Pour Luc Rouban « la stratégie du Rassemblement national est assez habile ». C’est-à-dire « favoriser les entreprises, mais aussi aider les plus pauvres et les plus modestes ». La ligne de la « droite sociale » de Philippe Séguin. Et d’ajouter : « Au fond, le Rassemblement national a abandonné l’idée d’être en rupture avec la droite traditionnelle. Ce qui peut plaire aux classes moyennes et supérieures ».

Luc Rouban le certifie : « Le Rassemblement national n’a pas renoncé à la dédiabolisation ». Hier soir, sur TF1, Marine Le Pen s’est presque même excusée d’avoir dû voter la motion de censure. « Je ne considère pas que ce soit une victoire », a-t-elle assuré, tout en essayant de relativiser ce vote. La députée du pas de Calais a demandé « qu’on cesse de faire peur aux Français. Evidemment que l’impôt sur le revenu sera indexé sur l’inflation, évidemment que la continuité de la vie de la nation sera assurée. Tout le catastrophisme qu’on entend depuis deux jours va mal vieillir ».

Elle a aussi affirmé « laisser travailler » le prochain Premier ministre. Et d’ajouter : « Nous allons co-construire, pas seulement avec le Rassemblement national, mais avec l’ensemble des forces présentes à l’Assemblée nationale, un budget qui soit acceptable pour tous, et c’est ce budget-là qui s’appliquera aux Français ». De son côté, lors d’une séance de dédicace de son livre, Jordan Bardella a indiqué qu’il « nous faut un premier ministre capable d’admettre que nous avons le premier groupe politique à l’Assemblée ».

Quel chef de gouvernement sont-ils prêts à accepter ? Du côté du RN, deux noms semblent revenir : Sébastien Lecornu, le ministre des armées démissionnaire, et François Bayrou, le patron du MoDem. Aucun de ces deux premiers ministrables n’a eu de propos méprisants à leur rencontre. Des qualités qui étaient aussi attribuées à Michel Barnier début octobre. Invité de la matinale de Public Sénat, Laurent Jacobelli, porte-parole du RN assure que « si Emmanuel Macron nomme un Premier ministre qui nomme un seul ministre de gaucher, le gouvernement sautera ».

Les risques pour le RN

Après cette censure, plusieurs risques existent toutefois pour le Rassemblement national. Ce jeudi 5 novembre, un sondage Cluster 17 pour Le Point indique qu’elle prend à « rebrousse-poil une partie de son électorat ». 31 % de ses électeurs s’en disent inquiets et 12 % énervés. A l’opposé, 26 % s’en disent satisfaits. « On perçoit donc un électorat quasiment coupé en deux sur le ressenti éprouvé face à la chute du gouvernement », en conclut l’institut de sondage.

Autre risque pour le Rassemblement national : une recomposition des équilibres. Boris Vallaud, chef de file des députés socialistes, demande au « socle commun » de s’ouvrir à la gauche. Yanick Jadot, sénateur écologiste et ancien candidat à la présidentielle, appelle à un « pacte républicain transitoire entre la gauche et le bloc central ». De son côté, Gabriel Attal propose un « accord de non-censure des LR au PS ». Ce jeudi 5 décembre, dans une tribune au Monde, le député socialiste et ancien ministre Aurélien Rousseau et les eurodéputés socialistes Raphaël Gluscksmann et Aurore Lalucq invitent « les forces politiques du front républicain » à se réunir après la censure du gouvernement afin de « définir les convergences possibles ». Autant de menaces pour le Rassemblement national qui pourrait se retrouver isolé, avec moins de possibilités de pression sur le prochain gouvernement.

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