Marquer le coup et prendre date. Dans une tribune publiée dans Ouest France, Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, Philippe Bas, président LR de la commission des lois et Mathieu Darnaud, sénateur LR de l’Ardèche, donnent leur vision de la décentralisation. Une tribune qui ne tombe pas par hasard. Le Sénat débute mardi dans l’hémicycle l’examen du projet de loi engagement et proximité, dont Mathieu Darnaud est co-rapporteur.
Les sénateurs veulent « refonder les libertés locales et donner un coup d’arrêt au centralisme rampant » explique Philippe Bas à publicsenat.fr. Dans ce texte, les sénateurs regrettent en effet qu’« à chaque fois qu’un pas en avant a été fait en faveur des libertés locales, les avancées de la décentralisation ont été patiemment rognées par une bureaucratie bien-pensante et tenace ». S’ils sont attachés à une « République une et indivisible », « il est temps d’entreprendre un changement politique profond et irréversible ouvrant une ère nouvelle pour les territoires » estiment les sénateurs LR.
Inscrire la compétence générale de la commune dans la Constitution
Leur tribune défend l’autonomie financière des collectivités, sujet cher aux associations d’élus, et la place de la commune au sein de l’intercommunalité. Point sur lequel les sénateurs ont amendé le texte sur le statut de l’élu. « Le gouvernement vient de proposer un texte intéressant, quoique technique, s’inspirant de nombreux travaux récents du Sénat. Nous sommes heureux de constater ce début de prise de conscience » saluent-ils, mais ils appellent à « amplifier le mouvement ».
Bruno Retailleau, Philippe Bas et Mathieu Darnaud ne se limitent pas à cette tribune. Pour porter leur propos, trois textes, dont un projet de loi constitutionnelle, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire, ont été déposés sur le bureau du Sénat. Le texte constitutionnel est « le socle » de leur réforme territoriale version Sénat. Les lois organiques et ordinaires en découlent.
« Nous voulons que soit inscrite dans notre loi fondamentale la compétence générale de la commune. De quoi interdire qu’elle soit progressivement vidée de sa substance par tant de réformes successives. Ainsi, elle pourra continuer à agir dans tout domaine requérant une intervention publique », explique les trois élus.
Côté finance, ils défendent « le principe selon lequel "qui décide paie" ». Et veulent que la loi fondamentale « pose clairement l’exigence (…) que l’impôt local, celui dont l’assemblée de la collectivité détermine librement l’assiette et le taux, redevienne la part majoritaire de ses ressources ».
Consensus sur la différenciation
Les sénateurs veulent aussi développer « la faculté d’expérimenter plus librement » et que « le droit à la différence soit étendus ». Soit ce que prévoit le projet de loi de révision constitutionnelle du gouvernement, à l’ambition beaucoup plus large. Seulement voilà : la réforme est à l’arrêt. Malgré des discussions avancées, il reste quelques points de désaccord avec le Sénat.
La capacité de différenciation pour les collectivités fait en revanche partie des points de consensus. A défaut d’accord sur l’ensemble du texte, la révision de la Constitution centrée sur les collectivités, telle que proposée par les sénateurs, pourrait toujours être un plan B, si le gouvernement est d’accord.
Le Sénat n’apprécierait pas vraiment de se faire coiffer au poteau par le gouvernement
Les trois textes du Sénat sont aussi politiques. Les sénateurs, à commencer par ceux du groupe LR, sont au chevet des collectivités depuis des années, et par essence même. Le Sénat représente les collectivités, selon les Constitution. Mais alors qu’Emmanuel Macron a mal commencé son quinquennat dans sa relation avec les élus, ses réformes tombent bien. Il essaie de répondre au malaise et, par conséquent, de se rattraper. D’où le texte de Sébastien Lecornu sur le statut de l’élu, puis celui de Jacqueline Gourault sur la décentralisation et la différenciation, attendu en 2020, après les municipales.
« Ce gouvernement a toujours un temps de retard sur les libertés locales. Il reprend ce texte 18 mois après que nous avons adopté un projet de loi en juin 2018 sur le sujet » grince Philippe Bas. Il craint aussi que le texte de Jacqueline Gourault serve de « paratonnerre pour dire, sur certains sujets, "on s’en occupera plus tard" ». Sur le terrain des collectivités, le Sénat, qui ne découvre pas le sujet, n’apprécierait pas vraiment de se faire coiffer au poteau par le gouvernement, qui tirerait les lauriers du travail de défrichage des sénateurs.
Mais officiellement, tout le monde tire dans le même sens. Dans leur tribune, les sénateurs veulent « croire » qu’Emmanuel Macron à « l’ambition » d’avancer plus loin pour les territoires. Une ambition qu’ils entendent poursuivre « dans un esprit d’union qui dépasse les clivages politiques ».