Les capitales européennes auront sans doute un œil rivé sur Paris, lundi 8 septembre en fin d’après-midi, alors que l’Assemblée nationale devrait selon toute vraisemblance voter contre la confiance demandée par le Premier ministre François Bayrou sur la situation budgétaire, et faire chuter son gouvernement, à peine 9 mois après le vote de la motion de censure du gouvernement de Michel Barnier.
Une crise politique qui est observée avec inquiétude chez le voisin belge. Pour l’eurodéputé belge Benoît Cassart, membre du groupe centriste Renew au Parlement européen, le blocage français s’explique car « les partis extrémistes prennent trop de place désormais. En Belgique, les extrêmes sont moins populaires et les partis de centre-gauche et de centre-droit arrivent quasiment toujours à s’entendre pour former des coalitions que ce soit au niveau fédéral ou régional. » Ces derniers mois, un nouveau gouvernement fédéral s’est formé à partir d’une coalition alliant la droite radicale flamande du NV-A, les centristes wallons et les sociaux-démocrates flamands.
La faute au scrutin majoritaire français ?
« Cela prend du temps, mais on arrive à former des compromis », analyse Benoît Cassart. Il est vrai qu’en 2020, la Belgique a formé un gouvernement après deux ans de concertation et de crise politique… Pour l’eurodéputé wallon, les causes de la paralysie française résident dans son mode d’élection des députés au scrutin majoritaire, alors que la majorité des autres pays européens élisent leurs parlementaires à la proportionnelle. « Le système français crée des majorités dominées par un seul parti alors que notre système proportionnel oblige les partis au compromis et ne crée pas de bouleversement politique majeur. » Rappelons que la mise en place de la proportionnelle en France est souhaitée par François Bayrou mais il n’aura sans doute pas le temps de la mettre en œuvre…
Du côté de l’Allemagne, on s’étonne de ce blocage français. « Pourquoi le PS et les LR, lorsqu’ils sont dans leurs groupes politiques au Parlement européen, (Sociaux-démocrates et Parti populaire européen) forment des majorités et arrivent à bâtir des compromis, et quand ils sont en France ils se diabolisent ? », se demande Daniel Freund, eurodéputé allemand écologiste. « En Allemagne, la droite de la CSU et les sociaux-démocrates du SPD ont beaucoup de différences mais arrivent à trouver des points d’entente », explique l’élu Vert. « Les Allemands n’ont toujours pas compris la dissolution décidée par Emmanuel Macron l’an dernier après les élections européennes et qui a abouti à la situation politique qu’on connaît. »
« La France ne peut se permettre une crise budgétaire », s’agace la droite allemande
La droite conservatrice allemande se montre très sévère concernant vis-à-vis des responsables français, en pointant la mauvaise situation budgétaire de la France qui pourrait être aggravée par ce blocage politique. « S’il y a un pays européen qui ne peut pas se permettre une crise budgétaire, c’est la France », a réagi Markus Ferber, eurodéputé de la CSU. « Ni la France, ni l’Europe ne peuvent fonctionner avec davantage d’incertitude. La France a cessé depuis longtemps d’être un pilier de stabilité pour la zone euro. Si la France glisse de la crise politique vers la crise de la dette, il y aura des conséquences pour toute la zone euro. »
La montée de l’extrême droite en France est comparable à celle du Portugal
Au Portugal, « on observe avec beaucoup de préoccupation ce qui se passe en France car ce pays a un rôle déterminant pour l’avenir de l’Europe », explique Francisco Assis, eurodéputé portugais socialiste. « Il y a une forme de crise constante, politique, sociale et culturelle avec un discours sur le déclin de la France qui gagne du terrain, alors que ce n’est pas une réalité. »
L’élu portugais compare la montée du Rassemblement national dans l’opinion à celle de Chega, le parti d’extrême droite portugaise. « Au Portugal, l’extrême droite est devenue aussi le deuxième parti du pays, entre la droite conservatrice qui gouverne et les socialistes en 3e position. » L’actuel gouvernement de centre-droit a vu sa majorité réduire aux dernières élections du printemps et pourrait faire des alliances de circonstances avec l’extrême droite comme ce fût le cas en juillet sur une loi immigration.
Une France désormais affaiblie en Europe ?
Cette situation politique affaiblit-elle la France au sein de l’Union européenne ? A coup sûr, selon Benoit Cassart. « Un exemple : sur l’accord commercial avec le Mercosur, la France, première puissance agricole de l’UE était contre, mais la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a signé cet accord en décembre dernier, au moment de la chute du gouvernement français, donc la France ne pouvait pas peser politiquement. »
Mais pour le chercheur et historien spécialiste de l’Europe, Sylvain Kahn, interrogé dans l’émission Ici l’Europe, diffusée sur France 24, LCP et tous les samedis à 16h30 sur Public Sénat, « une vacance du gouvernement français n’a pas un fort impact pour le fonctionnement de l’Union européenne car il y a toujours un président de la République qui siège au Conseil de l’Union européenne ». « La France garde même une voix majeure aujourd’hui en Europe avec le contexte international », ajoute Christophe Préault, directeur du site d’information Toute l’Europe. « La France reste le seul pays de l’UE doté de l’arme nucléaire et qui siège au Conseil de sécurité de l’ONU. L’urgence de la guerre en Ukraine place la France en position de force. »
Signe qu’une nouvelle chute du gouvernement français aurait des répercussions au sein de l’Union, de nombreux correspondants européens seront présents ce lundi 8 septembre dans la salle des 4 colonnes de l’Assemblée nationale pour suivre le résultat de ce vote de confiance.