Dans une courte allocution, le Président a dessiné l’agenda des prochaines semaines après la censure du gouvernement Barnier : nomination d’un gouvernement « d’intérêt général » resserré, mais rassemblant « toutes les forces de l’arc républicain » et de nouvelles discussions budgétaires en janvier. En attendant, une loi spéciale reconduisant le budget précédent sera votée « mi-décembre. »
Comment le gouvernement Barnier a poussé le Sénat à faire sa mue
Par François Vignal
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Mercredi, c’est jour de questions d’actualité au gouvernement au Sénat. Les ministres arrivent devant les groupes de visiteurs qui essaient d’arracher un selfie avec le premier ministre. Les gardes républicains forment une haie d’honneur. Les roulements de tambour précèdent l’entrée du président du Sénat. Comme d’habitude, Gérard Larcher s’assoit dans son fauteuil. Depuis le plateau, il jette un œil sur l’hémicycle. Extérieurement, rien n’a changé. Ce n’est pourtant plus le même Sénat sous ses yeux. La Haute assemblée a fait sa mue.
OVNI politique
Mais qu’est-il arrivé à la chambre haute ? C’est un événement que personne n’a vu venir, qui est à l’origine de sa transformation : la dissolution. Dans une Assemblée nationale balkanisée, c’est finalement un LR, Michel Barnier, qui devient premier ministre, malgré un Nouveau front populaire arrivée en tête aux législatives. Dans ce voyage en terre inconnue, un attelage d’un genre nouveau fait office de majorité : les groupes LR, EPR (Renaissance), Modem et Horizons, alliés… mais pas mariés. Pas d’accord de gouvernement, ni de coalition pour ce mutant politique, parfois hors de contrôle. Plutôt un goût de cohabitation, mais où les ennemis d’hier seraient voués à partager la même table et à s’entendre. Du jamais vu… qui pourrait ne pas passer l’hiver, si le gouvernement Barnier, sous la menace du vote d’une motion de censure par le RN, tombe.
Reste que cet OVNI politique ne s’est pas arrêté aux portes du Palais de Marie de Médicis. Le Sénat vit aussi cette mutation, à sa manière, beaucoup plus apaisée qu’à l’Assemblée. Mais tout n’est pas forcément évident. Une ministre, qui connaît bien le Sénat, résume la situation :
Double mouvement
C’est un double mouvement qui s’opère : le groupe LR, qui pourfendait depuis 2017 Emmanuel Macron, à commencer par l’ancien président de groupe, Bruno Retailleau, devenu ministre de l’Intérieur, se retrouve en soutien à un gouvernement qui compte certes nombre de LR, mais aussi des ministres Renaissance. De l’autre côté, le groupe RDPI (Renaissance), qui était souvent bien seul pour défendre la politique du gouvernement, se retrouve lui aux côtés des LR. Le groupe Union centriste, entre deux, continue de jouer le groupe charnière. Précurseur, l’autre jambe de la majorité sénatoriale de Gérard Larcher avait déjà, en partie, un pied dans la macronie. D’abord par petites touches, un nombre non négligeable de ses membres – des Modem mais aussi certains UDI – soutenant le chef de l’Etat. Puis sans ambages, quand l’UDI, présidé par l’influent sénateur Hervé Marseille, qui dirige le groupe UC, s’est très officiellement allié à Renaissance pour les européennes. S’ajoute le groupe des Indépendants, qui compte environ une moitié d’élus Horizons, et même le groupe RDSE, plus vieux groupe parlementaire de la Ve République, qui suit pour partie le mouvement.
« Très traditionnellement au Sénat, la majorité sénatoriale, c’était le groupe LR et UC. Etant entendu qu’il y avait toujours un groupe mi-figue mi-raisin, le groupe Les Indépendants, qui sans être dans la majorité, était quand même très lié », rappelle le sénateur LR des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi. Mais cette fois, cela va plus loin et les repères d’hier sont devenus obsolètes.
Un déjeuner entre Gérard Larcher et « le club des cinq »
Preuve du changement : un déjeuner a été organisé mercredi 6 novembre autour de Gérard Larcher, réunissant Mathieu Darnaud, président du groupe LR, Hervé Marseille pour l’Union centriste, soit le bloc de la majorité sénatoriale, élargi au président du groupe RDPI (Renaissance), François Patriat, à Claude Malhuret, à la tête du groupe des Indépendants et à la sénatrice Véronique Guillotin pour le groupe RDSE. Ce déjeuner des présidents devrait en appeler d’autres.
C’est ce que Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, s’amuse à appeler « le club des cinq », un terme que le sénateur LR juge « plus sympa » que « socle commun », et qui montre le meilleur état d’esprit qui prévaut au Sénat, comparé aux tensions du socle commun à l’Assemblée. Variante donnée par Roger Karoutchi :
« Ce n’est pas un intergroupe. Rien de formel »
Mais à quoi sert vraiment ce « club des cinq » ou « top 5 » ? C’est le travail parlementaire qui en est le ciment. « L’idée, c’est de travailler sur le budget dans le cadre du bloc central, se coordonner, voir les choses qu’on veut amender. Qu’est-ce qu’on fait sur les retraites, les exonérations de charges, les jours fériés, sur les collectivités. Chacun est chargé de présenter sa feuille de route à Gérard Larcher », raconte alors, après la première réunion, François Patriat, qui tient à préciser : « Ce n’est pas un intergroupe. Rien de formel. C’est une rencontre qu’on va faire régulièrement sur le budget, pour essayer de trouver quelque chose de cohérent, de crédible ».
A l’Assemblée aussi, la tentative de créer un intergroupe a vite échoué. Mais contrairement au Palais bourbon, les chefs à plumes acceptent de se voir tous ensemble. « On est entre gens intelligents », dit François Patriat. « Il y a le noyau dur, c’est la majorité sénatoriale traditionnelle, et on l’a élargi aux autres pour articuler et coordonner l’action », confirme un des autres participants.
« C’est plutôt dans l’ADN de Gérard Larcher »
A écouter un cadre de la majorité sénatoriale, Gérard Larcher n’a pas eu à forcer sa nature pour ouvrir sa table. « C’est plutôt dans l’ADN de Gérard Larcher. Quand vous voyez la majorité qu’il a quand il est élu président du Sénat, ça va au-delà de son propre parti politique et de la majorité sénatoriale LR-UC », rappelle ce sénateur. Avec 218 voix, le sénateur des Yvelines a en effet été réélu en 2023 au Plateau avec un score bien au-delà des 190 sièges cumulés des groupes LR et UC.
La semaine suivante, autre première, les mêmes présidents de groupe du « club des cinq » se sont retrouvés « pour faire un point sur le budget », explique François Patriat. Mais le sénateur Renaissance de la Côté d’Or assure qu’« il n’y a pas de réunion hebdomadaire ». L’ambiance y serait bonne, « car on se connaît bien. On est capable de travailler ensemble », assure le patron des sénateurs macronistes.
Reste que la situation est pour le moins baroque, comme le rappelle Claude Raynal, président PS de la commission des finances. « On a un gouvernement avec une majorité très faible, avec un premier ministre issu d’un des groupes les plus faibles de l’Assemblée, et ici un accord entre des gens qui jusqu’à présent, se combattaient. On verra bien en avançant ce que la situation produit comme résultat », affirme le sénateur PS de la Haute-Garonne, qui souligne la difficulté pour l’opposition sénatoriale : « Pour nous, à gauche, c’est une position plus délicate, car on a affaire à un bloc plus uni ».
« Ce n’est culturellement pas évident »
En réalité, cette nouvelle union n’est pas toujours si évidente. Pour certains sénateurs, qui n’ont pas rangé dans leurs poches leurs nombreux reproches contre Emmanuel Macron et les macronistes, rien ne va de soi. « C’est une situation à la fois nouvelle, inattendue et compliquée à mettre en place. Il faut que chacun trouve sa place. Cette majorité est innovante. Elle est dure à définir. Ce sont des gens qui ne sont pas habitués à travailler ensemble », témoigne Jacqueline Eustache Brinio, sénatrice LR du Val-d’Oise.
« Ce n’est culturellement pas évident, ni pour les députés, ni pour les sénateurs, de se retrouver dans cette configuration », confirme une autre ministre du gouvernement Barnier, qui a vu aux premières loges les changements à l’œuvre. Elle ajoute :
« Hier, on se faisait des croche-pieds, voire plus »
Difficile d’effacer d’un coup de baguette magique de vieilles oppositions présentes depuis des années. « Hier, on se faisait des croche-pieds, voire plus. Aujourd’hui, on soutient le gouvernement, chacun dans son couloir de nage. Mais faut pas s’apercevoir qu’on a un coup de poignard dans le dos », glisse Jean-François Husson, qui cherche cependant à bien jouer le jeu, à son poste de rapporteur du budget, en réunissant les commissaires de la commission des finances du socle commun.
« Ce n’est évident pour personne. On s’est quand même opposés à Emmanuel Macron et à ses différents gouvernements depuis 2017. Aujourd’hui, on hérite d’une situation financière catastrophique. Et on a pour mission de remettre les pendules à l’heure et les comptes à l’endroit », lance Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. Mais l’état d’esprit sénatorial facilite cependant les choses, tempère le sénateur LR du Territoire de Belfort : « Dans la commission que je préside, on a toujours tous bossé ensemble ».
« C’est arrivé très vite. Et je ne sais pas quel est son avenir », tempère Roger Karoutchi
Roger Karoutchi, lui, demande à voir. Il reste encore dubitatif sur le fonctionnement du nouvel attelage, comme sur son futur. « C’est arrivé très vite. Et je ne sais pas quel est son avenir », commence d’emblée l’ancien ministre de Roger Karoutchi. Et si les figures de la Haute assemblée jouent le jeu, pour l’instant, cela ne va pas vraiment plus loin. « Oui, les présidents de groupes se voient en réunion avec Gérard Larcher. Mais les sénateurs ne se voient pas. Il n’y a pas d’intergroupe, ni même pas de réunion commune », souligne le sénateur LR des Hauts-de-Seine, qui ajoute qu’« on voit bien que sur certains textes, il y a des votes différents, avec les positions d’avant ».
Roger Karoutchi « va plus loin » : « Cela veut dire que tant que le gouvernement Barnier est là, que cet accord global, entre macronistes, LR et centristes est là, les choses se passent dans une notion de nécessité d’union. Mais je ne sais pas ce qui se passera ensuite, demain ou après-demain », avance le sénateur LR. Et alors que le gouvernement Barnier n’a jamais autant semblé menacé, il ajoute : « Si une motion de censure est adoptée, que le gouvernement tombe, que l’accord suivant n’est pas l’actuel, avec un autre premier ministre, que LR n’y va pas, la transformation, y compris au Sénat, n’a plus lieu d’être ».
« Tout ça n’est pas très abouti en réalité »
Autrement dit, cette union d’un nouveau genre pourrait rester une simple parenthèse, une incongruité de la vie politique. En cas d’échec du gouvernement Barnier, les logiques habituelles reprendront rapidement leurs droits. « S’il y a une dissolution dans quelques mois, chacun aura des intérêts électoraux totalement divergents. Je suis vice-président de la commission nationale d’investiture de LR. Je ne me vois pas dire « on va répartir les investitures entre Renaissance, LR, les Indépendants et les centristes », prévient Roger Karoutchi. Sauf si tout le bloc central s’entend pour 2027, comme l’a évoqué Michel Barnier, « mais on n’en est pas là », soutient l’ancien ministre.
Bilan des courses, toujours selon l’élu des Hauts-de-Seine : « Tout ça n’est pas très abouti en réalité. Donc oui, le gouvernement Barnier a des conséquences sur la majorité sénatoriale. Car on soutient le gouvernement communément. Mais que se passera-t-il dans un an ? Et avec la préparation de la présidentielle ? » demande Roger Karoutchi. Si chacun rentre chez soi, « le club des cinq ne durera que le temps du gouvernement Barnier ».
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