ISA HARSIN/SIPA

Communication de Rachida Dati sur les réseaux sociaux : « Le juge électoral déteste tout ce qui est confusion »

Lancée dans la bataille des municipales, la ministre de la Culture développe une stratégie remarquée en ligne, jonglant entre ses différentes fonctions et sa candidature à la mairie de Paris. De quoi s’attirer des critiques, alors que le Code électoral encadre la communication institutionnelle dans les six mois précédant le scrutin.
Aglaée Marchand

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Nul n’a pu passer à côté. Vêtue d’un anorak jaune fluo, Rachida Dati s’est affichée aux côtés d’éboueurs fin novembre, dans une vidéo devenue virale, cumulant déjà plus de cinq millions de vues sur X. De quoi contrecarrer son image d’élue des beaux quartiers. Ce qui a pu faire rire les internautes, ou au contraire agacer la gauche parisienne, aussi dans la course pour l’hôtel de Ville. Mais au-delà de cette stratégie de communication, c’est aussi le ping-pong entre ses différentes casquettes qui interroge. En ligne, s’enchaînent tantôt des publications en tant que ministre de la Culture, comme cette inauguration du musée Bonnat-Helleu à Bayonne ou ce dîner des primo-romanciers, tantôt du contenu dédié à sa campagne électorale pour la mairie de Paris, aux côtés des bouquinistes de Saint-Ouen ou des gardiennes d’immeuble du 17e arrondissement.

« On ne sait plus trop à qui on a affaire in fine »

Le Code électoral encadre la communication institutionnelle en période pré-électorale, et interdit aux collectivités publiques de mener des actions de propagande, via tout procédé de publicité commerciale, dans les six mois précédant le scrutin (article L52-1). Dans ce sens, un maire souhaitant briguer un second mandat ne peut utiliser les outils de communication de la ville, y compris via les réseaux sociaux, pour valoriser son travail ou appeler les électeurs à voter pour sa liste. Cette règle s’applique depuis le 1er septembre dernier. Les dons, réalisés par une personne morale (Etat, collectivité, association, établissement public, ministère…), à l’exception des groupes politiques, sont également prohibés (article L52-8). « Dans le cas d’une ministre en exercice et également candidate aux municipales, les mêmes principes vont s’appliquer », relève Aloïs Ramel, avocat associé au cabinet Urso Avocats. « La ministre n’est pas censée utiliser les moyens de son ministère pour les besoins de sa campagne locale, mais elle ne s’arrête pas d’être ministre pour autant, on ne peut pas l’astreindre au silence. Cependant, le juge électoral va être attentif au fait qu’elle n’utilise pas un évènement organisé par le ministère, comme une inauguration ou un discours, pour distiller des éléments de programme ou attaquer ses adversaires directs à cette occasion ».

Ces obligations s’appliquent aussi à la communication en ligne, bien que les lignes s’y brouillent plus rapidement. Si le compte X de Rachida Dati est labellisé « Compte personnel », ses posts à la croisée de ses fonctions au ministère de la Culture, de maire du 7e arrondissement et de sa candidature à la mairie de Paris, laissent planer un certain mélange de genres. « Quand on utilise un même compte pour ses différentes casquettes, un individu qui s’est abonné à la page de la ministre en exercice pour avoir des informations, va recevoir aussi la propagande électorale, donc on ne sait plus trop à qui on a affaire in fine. En la matière, le juge électoral commence à forger une jurisprudence, et il en ressort qu’il déteste tout ce qui est confusion et altérité à la sincérité du scrutin, surtout sur les réseaux », déroule Aloïs Ramel. L’avocat conseille aux édiles d’utiliser des comptes distincts, « l’un où il relate ses évènements institutionnels », et « l’un où il peut laisser libre cours à sa campagne », avec des chartes graphiques différentes et qui ne renvoient pas l’un vers l’autre.

Emmanuel Macron rappelé à l’ordre en 2022

Pour les élections municipales, les contestations ne peuvent être effectuées qu’a posteriori. « Le juge électoral n’intervient qu’après les résultats, au premier ou second tour, s’il est saisi dans un délai de cinq jours suivant leur proclamation par un préfet, un électeur ou un concurrent », explicite Aloïs Ramel. Ce qui diffère de la course à la présidentielle. En 2022, la commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) avait rappelé à l’ordre Emmanuel Macron pour avoir utilisé ses réseaux sociaux de président de la République pour faire campagne, en tant que candidat, pour sa réélection. Or, se faisant, il bénéficiait d’une visibilité gagnée au fil de son premier mandat, ce qui pouvait constituer un avantage injuste au regard des autres prétendants à l’Elysée. La CNCCEP lui avait alors demandé de supprimer les contenus relatifs à sa candidature et avait recommandé de créer un compte dédié, « dans le cas où le compte personnel du candidat ou de ses soutiens aurait été utilisé de longue date et de façon prépondérante pour y relayer des messages afférents à l’exercice de fonctions publiques ».

Si cet exemple ne peut servir de jurisprudence, « la remarque de la CNCCEP se rapproche assez bien de ce que peut faire Rachida Dati sur son compte X, un parallèle par analogie pourrait être réalisé auprès d’un juge », analyse une avocate intervenant en droit électoral. Toutefois, pour ce type de contestation, « l’annulation ne vaut que s’il y a un très faible écart de voix, car le juge considère qu’une irrégularité commise pendant une campagne a démontré son influence sur le scrutin si les électeurs ont eu du mal à départager deux candidats », précise cette dernière.

« J’invite ses principaux concurrents à réguler leur propre situation »

Dans l’équipe de Rachida Dati, ces accusations sont balayées d’un revers de main : « J’invite ses principaux concurrents à réguler leur propre situation », glisse un de ses fidèles à Public Sénat, « parmi la demi-douzaine de candidats principaux, ils utilisent tous leur compte personnel, utilisé préalablement ou toujours utilisé dans le cadre de leur fonction ». « Le seul sujet qui les interpelle dans sa campagne, c’est qu’elle dépasse le million de vues, il faudrait peut-être qu’ils s’intéressent à ce qu’ils produisent eux, et aux raisons pour lesquels ça marche moins bien. Navré que ça déplaise à la gauche », s’amuse ce même proche.

« Le compte de Madame Dati est bien antérieur à ses fonctions ministérielles, il date de 2011. Et on considère que son nombre de followers n’a pas forcément été boosté par ses fonctions, mais plutôt par ses publications politiques et militantes, et sa personnalité surtout », justifie-t-il. Et de tacler le candidat PS : « Monsieur Grégoire a conservé son compte personnel qu’il a ensuite transformé en compte officiel depuis qu’il est maire adjoint, et maintenant député, et lui, à l’inverse, a gagné en notoriété depuis sa prise de fonction ». Qu’il s’agisse du député socialiste, de l’élue insoumise Sophie Chikirou ou de l’eurodéputé RN Thierry Mariani, ces trois prétendants à la mairie de Paris disposent d’un compte X équipé d’une pastille grise, attestant d’un compte officiel relatif à une organisation gouvernementale ou à un fonctionnaire, sur lequel se mêlent aussi des contenus relatifs à leur mandat actuel de parlementaire et à leur campagne pour les municipales.

Alors qu’il y figurait encore la semaine dernière, le badge du compte de Rachida Dati a été retiré. Peut-être le signe que les interpellations ont tout de même fait un bout de chemin. En tout cas, « elle ne communiquera plus au sujet du ministère sur son compte personnel, ce compte va rester militant », concède-t-on au sein du groupe Changer Paris. Et quant à un éventuel renoncement à sa place au gouvernement pour se consacrer à la bataille pour la capitale ? « La question ne se pose pas pour le moment », décrète-t-on en interne.

Partager cet article

Dans la même thématique

MAcron 3 ok
10min

Politique

« Labellisation » des médias : la polémique enfle entre Emmanuel Macron, les médias Bolloré, LR et RN

En parlant de « labellisation » des médias, qui serait faite par les journalistes et non l’Etat, Emmanuel Macron a suscité l’ire des médias du groupe Bolloré, comme du RN et des LR. Au point que l’Elysée réponde en vidéo pour démentir les « fausses informations », au risque de relancer la polémique. Sur le fond, le sujet divise. Le sénateur LR, Olivier Paccaud, va jusqu’à parler de « dérive totalitaire », quand la sénatrice PS, Sylvie Robert, salue les propos « salutaires » d’Emmanuel Macron.

Le

Mericourt: Emmanuel Macron meets with  readers of the Ebra group,
6min

Politique

Labels et régulations des médias : ce qui existe en France et en Europe

En lançant l’idée de la création d’un « label » pour les médias, Emmanuel Macron a suscité un tollé dans une partie de la classe politique. Pourtant, en France et en Europe, de nombreux acteurs, publics et privés, participent à la régulation des médias et cherchent à orienter la production des contenus vers un respect maximum des règles d’éthique et de déontologie.

Le

Communication de Rachida Dati sur les réseaux sociaux : « Le juge électoral déteste tout ce qui est confusion »
3min

Politique

Lutte contre la vie chère : Le Sénat vote la pérennisation du taux de TVA à 0 % sur les produits de première nécessité en Outre-mer

Un mois après l’adoption du projet de loi contre la vie chère, le Sénat a inscrit dans le budget 2026 l’un des engagements du gouvernement après les manifestations qui avait secoué la Martinique l’année dernière. Alors qu’il est prévu jusqu’à fin 2027, les élus ont voté le taux de TVA à 0 % sur les produits de première nécessité en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion.

Le

Draguignan:  David Rachline appeared in criminal court
2min

Politique

David Rachline démissionne de la vice-présidence du RN

Visé par plusieurs enquêtes, le maire de Fréjus, David Rachline, a annoncé mardi sa démission de la vice-présidence du Rassemblement national. À 37 ans, l’un des plus anciens cadres du mouvement dit vouloir éviter que les accusations le visant ne parasitent la campagne du RN.

Le