Compromis au Sénat, divisions à l’Assemblée : le parcours mouvementé du texte sur les énergies renouvelables

Compromis au Sénat, divisions à l’Assemblée : le parcours mouvementé du texte sur les énergies renouvelables

Le gouvernement espère une adoption en première lecture du projet de loi sur les énergies renouvelables, sur lequel se prononceront les députés mardi 10 janvier. Si le Sénat a déjà adopté à la quasi-unanimité le compromis trouvé avec l’exécutif sur ce texte, le vote à Assemblée nationale s’annonce plus morcelé, notamment parce que les députés LR ont choisi de défendre une ligne dure par rapport à leurs collègues sénateurs. Ce qui pourrait compliquer l’élaboration d’un texte commun aux deux chambres.
Romain David

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Pour la première fois du quinquennat, le gouvernement table sur la gauche pour faire passer l’une de ses réformes. À la veille du vote solennel de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, la majorité présidentielle relative espère pouvoir glaner quelques voix à gauche de l’hémicycle pour faire passer un texte qui n’a pas su convaincre la droite. À l’issue de l’examen du projet de loi, le 15 décembre, les députés LR ont fait connaître leur intention de voter contre, brouillant ainsi les plans du gouvernement, qui en présentant prioritairement ce texte au Sénat, où domine une majorité de droite et du centre, espérait parvenir à un accord avec l’ensemble des LR. C’était sans compter sur la différence d’approche entre sénateurs et députés de droite. Si le Palais du Luxembourg a donné à l’unanimité son feu vert (seuls les communistes se sont abstenus) au compromis bâti en séance publique, les LR du Palais Bourbon ont affiché une position plus dure que leurs collègues sénateurs, dénonçant à la fois le morcellement de la politique énergétique du gouvernement, et le grignotage du pouvoir décisionnel des élus locaux.

Jeudi dernier, ce sont les députés Europe Écologie- Les Verts qui ont annoncé leur intention de s’abstenir sur ce texte destiné à lever certains verrous administratifs pour permettre à la France de rattraper son retard sur le déploiement d’unités de production d’énergies renouvelables, comme les éoliennes et les parcs photovoltaïques. Si les écologistes ne veulent pas bloquer plusieurs avancées, ils refusent de donner leur caution à un texte qui ne va pas suffisamment loin selon eux. Le gouvernement mise désormais sur les hésitations des socialistes, qui devraient faire connaître leur position mardi matin, mais l’exécutif espère aussi s’appuyer sur le soutien d’une partie des élus du petit groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT). « Le PS se prononcera dans un contexte politique qui n’est pas neutre », glisse à Public Sénat le député socialiste Dominique Potier, coresponsable pour son groupe sur ce texte. En creux, c’est la réforme des retraites qui est visée : « Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut faire la part des choses, mais certains estiment qu’il ne peut pas y avoir de vote positif dans ce contexte ».

Si le texte est adopté par l’Assemblée, il devra encore passer l’étape de la commission mixte paritaire – déjà planifiée pour le 24 janvier, a appris Public Sénat -, lors de laquelle des représentants des deux chambres devront converger vers une même version du projet de loi.

« Il y aura bien sûr un travail à faire avec les députés »

S’ils veulent encore peser sur les orientations de ce texte, sénateurs et députés de droite ont donc tout intérêt à accorder leurs violons. Du côté de la Chambre Haute, ce travail préparatoire sera conduit par le LR Didier Mandelli rapporteur pour la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable. « Il y aura bien sûr un travail à faire avec les députés », explique-t-il à Public Sénat. « Mais avant cela, il y aura plusieurs réunions d’arbitrage au sein même du Sénat, en réunion de groupe avec les sénateurs LR, avec Sophie Primas, la présidente de la commission des Affaires économiques qui a également travaillé sur ce texte, et avec le président Larcher. » L’objectif pour la droite sénatoriale : se positionner sur la version élaborée par l’Assemblée, « qui en fin de compte ne présente pas d’écart substantiel avec ce qui avait été voté au Sénat, même si certains éléments doivent être revus », estime l’élu vendéen.

La bataille du droit de veto des maires

Cet automne, les débats au Palais du Luxembourg se sont cristallisés autour de plusieurs points clefs, notamment la question du droit de veto des maires, portée par la droite. Les LR souhaitaient conférer aux édiles la possibilité de retoquer un projet de construction d’éoliennes sur leur commune. Ils se sont finalement retrouvés mis en minorité après avoir perdu le soutien de leurs alliés centristes, ces derniers craignant qu’un tel dispositif ne fasse peser une trop lourde responsabilité sur les épaules des maires, notamment en zone rurale. Le gouvernement et le rapporteur Didier Mandelli ont donc proposé la mise en place de « zones prioritaires » ; des aires géographiques spécifiquement dédiées aux renouvelables et dont l’inscription dans les documents d’urbanisme doit recevoir un avis conforme du conseil municipal. Un compromis face auquel les sénateurs de droite se sont largement abstenus. « On sent bien que tout n’est pas affiné, abouti », avait alors justifié le sénateur Philippe Mouiller.

Autre ligne rouge sur laquelle les sénateurs LR, lâchés par les centristes, ont fini par s’incliner : l’éolien marin. La droite voulait une distance minimale de 40 kilomètres avec la côte pour l’installation d’éoliennes en mer. Mais cette distance, rendant impossible la construction d’éolienne off-shore sur une très large partie du littoral français pour des raisons techniques, a été remplacée par une mention de la zone économique exclusive (ZEE) - qui démarre à 22 kilomètres des côtes - comme zone privilégiée, mais non-exclusive, d’implantation.

Les députés LR choisissent de marquer leur opposition

Un mois plus tard, lorsque l’examen démarre à l’Assemblée nationale, les députés LR se montrent déterminés à ne pas céder là où leurs collègues du Sénat ont fini par reculer. En particulier sur le droit de veto des maires, qu’ils espèrent encore imposer dans les zones non prioritaires, c’est-à-dire celles qui ne sont ni concernées par une interdiction d’installation ni par des mesures de facilitation. In fine, c’est le dispositif voté par le Sénat qui a été conservé dans ses grandes lignes, mais dans une version quelque peu simplifiée. « Je peux comprendre que les députés LR ont eu l’impression de se faire enfumer », raille un parlementaire écologiste. « Ils avaient intégré d’emblée leur opposition au compromis, dès le dépôt du texte », reconnaît Didier Mandelli. Autrement dit, les députés LR ont choisi de privilégier une posture politique et d’afficher une opposition ferme, d’autant que les premiers textes du quinquennat ont été en partie adoptés grâce au soutien de la droite, comme les mesures sur le pouvoir d’achat ou encore le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur.

« Par ailleurs, le gouvernement a soutenu pendant l’examen à l’Assemblée un certain nombre d’amendements issus de la gauche », relève encore Didier Mandelli, de quoi braquer un peu plus la droite de l’hémicycle. Pour autant, les gages que les macronistes ont voulu envoyer aux Verts, espérant ainsi contourner une droite arc-boutée sur ses positions, n’ont pas convaincu.

Les écologistes déplorent une série de reculs, malgré quelques avancées

Si les écolos du Sénat ont voté le texte, ceux de l’Assemblée, après bien des hésitations, s’abstiendront. Dans un communiqué, ils dénoncent un texte inabouti, qui n’aborde pas la question du financement et ne va pas assez loin sur le mécanisme de planification. « Le cheminement de ce texte n’est pas fini, et suite à cette première lecture, il est encore possible d’aboutir à un texte renforcé, lors de la commission mixte paritaire ou en seconde lecture », écrivent-ils.

Parmi les mesures reconnues comme des avancées chez les écologistes : une meilleure prise en compte de la biodiversité avec la création d’un Observatoire des énergies renouvelables et de la biodiversité, ou encore la suppression du poids donné aux architectes des bâtiments historiques pour s’opposer à tout projet dans un rayon de 10 kilomètres autour d’un monument classé. En revanche, une large partie des amendements écolo adoptés au Sénat ont sauté. « Nous avons compté, il n’en reste plus que cinq », soupire le sénateur Daniel Salmon, très investi sur ce texte, ce qui explique le revirement des députés de sa famille politique. Ont notamment disparu certaines mesures sur le partage de la valeur et la méthanisation, mais aussi la possibilité pour les préfets de corriger les manquements au fameux dispositif de zonage qui a supplanté le droit de veto des maires. « En bout de chaîne, si des communes choisissent de faire de l’obstruction à l’installation d’énergies renouvelables sur leur territoire, personne ne pourra les contraindre à reculer. Ce n’est pas possible quand la situation nous oblige à une solidarité nationale sur ces questions », observe Daniel Salmon.

La feuille de route retenue sur l’agrivoltaïsme – c’est-à-dire l’installation de panneaux solaires sur des parcelles agricoles - fait également grincer des dents. Les écologistes souhaitaient concentrer le déploiement sur les terrains déjà artificialisés et le bâti, neuf et ancien. Dans la copie de l’Assemblée nationale, les ouvrages au sol ne seront autorisés que sur des terres incultes ou non exploitées depuis au moins dix ans. Une fausse bonne idée pour le sénateur Salmon : « Sur un terrain en friche depuis dix ans, vous avez davantage de biodiversité que dans un champ de maïs ! », relève-t-il.

Si les écologistes ne s’interdisent pas de revoir leur position en fonction du contenu de l’accord qui pourrait voir le jour en CMP, la marge de manœuvre est infime au regard des équilibres politiques. « Je suis d’un naturel optimiste, ajoute encore Daniel Salmon, mais sur ce coup-là, j’ai un peu de mal à croire que la droite sénatoriale accepte de défendre pendant les négociations ce que les écolos du Sénat avaient obtenu en séance. »

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