Concentration des médias : appartenir à un grand groupe « n’est pas un mal », pour le patron des Échos-Le Parisien

Concentration des médias : appartenir à un grand groupe « n’est pas un mal », pour le patron des Échos-Le Parisien

Pierre Louette, à la tête du groupe de presse détenu par LVMH, numéro 1 mondial du luxe, a répondu aux questions des sénateurs de la commission d’enquête sur la concentration des médias.
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Deuxième jour d’auditions pour la commission d’enquête du Sénat, charge de « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ». C’est un homme à deux casquettes qu’ont auditionné, sous serment, les sénateurs ce 2 décembre. Pierre Louette dirige le groupe Les Échos-Le Parisien, propriété de LVMH, géant de l’industrie du luxe. Il est en parallèle président de l’Alliance de la presse d’information politique et générale (AIPG), structure qui regroupe près de 300 titres de la presse quotidienne ou hebdomadaire.

Selon lui, l’acquisition de titres par de grands groupes est nécessaire, car la presse requiert de lourds investissements sur une longue période. L’ancien haut fonctionnaire, et ancien PDG de l’Agence France Presse de 2005 à 2010, a même évoqué une « sorte de devoir citoyen » et de « sens de l’intérêt général ». « Que se serait-il passé depuis 15 ans, s’ils ne l’avaient pas fait ? On aurait un grand désert de journaux dans ce pays. » Pierre Louette s’est notamment appuyé sur une étude universitaire américaine de 2019, selon laquelle la disparition de journaux locaux se traduirait par une baisse de la participation des citoyens aux élections. « On ne souhaite pas ça pour notre pays », a-t-il insisté devant les sénateurs.

« La rédaction est vibrante et très autonome. Donc il n’y a pas vraiment d’interventions »

Aux interrogations du centriste Michel Laugier, un ancien journaliste, Pierre Louette a considéré que le mouvement actuel de concentrations n’était pas « inéluctable ». « Elle a ses limites quand on voit l’organisation de la presse dans les territoires. Il y a des sous-ensembles géographiques qui sont constitués ». La socialiste Sylvie Robert s’est demandé si ces mouvements avaient « modifié la fabrication de l’information ». « Non, je ne crois pas », a répliqué le patron du groupe Les Échos-Le Parisien. « Depuis 2008, je ne vois pas tellement à quel moment on dit que le journal Les Echos n’était plus celui qu’il l’était avant. Il a 112 ans, et il se porte bien. La rédaction est vibrante et très autonome. Donc il n’y a pas vraiment d’interventions. ».

Pierre Louette a même ajouté que les actionnaires, « extrêmement soucieux » de la qualité d’un produit qu’ils vendent – et un journal en est un – n’y auraient pas intérêt. « S’il perd sa crédibilité, ça n’est pas bien. Là où la vertu rejoint l’intérêt financier, c’est qu’essayer de vendre un truc de plus en plus mauvais et qui est perturbé par des interventions, ça ne marche pas. »

« Vous n’avez aucun souvenir de reportages qui peuvent toucher aux activités du groupe propriétaire qui n’ait été traité ? »

Le rapporteur de la commission d’enquête, David Assouline (PS), a relancé la question, insistant sur des phénomènes « plus indirects ». « Vous n’avez aucun souvenir de reportages qui peuvent toucher aux activités du groupe propriétaire qui n’ait été traité, pour ne pas déranger l’actionnaire ? » « Je ne sais pas tout de ce qu’il se passe », a rappelé avec prudence le dirigeant, évoquant l’ampleur des équipes sous sa responsabilité, et les « centaines d’articles » produits chaque jour. « Cela me paraît contredit dans les faits par ce qui est la règle absolue dans les journaux dont je m’occupe : à chaque fois qu’il fait mention d’une activité concernant l’actionnaire, il est indiqué propriétaire du Parisien ou propriétaire des Échos ». En résumé, Pierre Louette ne voit « que des avantages » pour un titre à un être adossé à un grand groupe. « Pour moi, ce n’est pas un mal, ni une tâche originelle. »

Attachés à confronter les points de vue, les sénateurs entendront le 7 décembre les associations Acrimed (une association de critique des médias) et « Informer n’est pas un délit ».

Dans la perspective des recommandations qu’aura à formuler la commission d’enquête en mars 2022, David Assouline a demandé au dirigeant ce qu’il pensait du cadre législatif de 1986, qui limite les concentrations dans les mains d’un seul acteur à deux types sur trois (règle du « deux sur trois ») : télévision, radio et titre de presse quotidienne. « Je n’ai pas d’opinion très forte là-dessus. Cela n’a pas empêché les groupes de se développer », a observé le dirigeant. Le sénateur David Assouline estimait que ce cadre vieux de 35 ans faisait l’objet actuellement de « contournements », avec les mouvements Vivendi (Canal + et CNews), contrôlé par Vincent Bolloré, en direction de la radio Europe 1, du JDD et de Paris Match, ces deux derniers étant des hebdomadaires et non des quotidiens.

Le patron de presse a qualifié d’ « intéressante » une idée formulée la veille, devant la même commission, par Nathalie Sonnac, ancienne membre du CSA. « On peut imaginer travailler à une façon de limiter la part du budget publicitaire qu’un même investisseur peut consacrer à un même support », a-t-il approuvé.

Deux missions commandées aux administrations centrales vont rendre leur conclusion début 2022

Jean-Baptiste Gourdin, directeur général de la Direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la Culture, entendu dans la foulée, a pu être interrogé sur les travaux lancés par le gouvernement sur les règles anti-concentrations dans le secteur des médias et le respect du pluralisme. Une mission a été commandée à l’inspection des finances et à celle des affaires culturelles, en plein contexte de fusion entre TF1 et M6.

« Le point de départ, c’est le constat qui est partagé par un peu près tout le monde sur l’obsolescence du cadre actuel », a détaillé Jean-Baptiste Gourdin. Leurs conclusions seront remises au cours du « premier trimestre 2022 ». Le haut fonctionnaire a ajouté que l’idée n’était « pas d’interférer » avec les projets en cours de lancement. « Les préconisations issues de la mission, si elles devaient être mises en œuvre, ne s’appliqueraient pas aux opérations en cours ». La publication pourrait être donc concomitante à celle du rapport de la commission d’enquête. Son président, Laurent Lafon (Union centriste) avait annoncé que sa remise pourrait avoir lieu « fin mars ».

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