Concentration des médias : « Leur grande faiblesse, c’est de se copier et d’être dans l’entre soi »
La commission d’enquête sur la concentration des médias poursuivait aujourd’hui ses travaux en auditionnant des représentants d’Acrimed et du collectif « Informer n’est pas un délit ! » Ces collectifs de chercheurs et de journalistes qui mènent un travail critique sur le fonctionnement des médias sont revenus sur le cas Bolloré, tout en attirant l’attention des sénateurs sur les mécanismes plus larges qui régissent le monde médiatique.
« Soyons clairs, vous et moi ne serions pas dans cette salle si Vincent Bolloré ne s’était pas érigé en corsaire de l’information parti à l’abordage de médias depuis les années 2010, n’avait pas englouti des télés, des radios, des magazines, des maisons d’édition. » Nicolas Vescovacci, responsable du collectif « Informer n’est pas un délit », rentre directement dans le vif du sujet lors de cette audition organisée par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias. Depuis la création de cette commission d’enquête, le spectre de l’industriel propriétaire du groupe Canal + plane sur les travaux menés par les sénateurs et les sénatrices. Et ce ne sont pas les représentants d’Acrimed et d’Informer n’est pas un délit, collectifs critiques de surveillance et d’analyse des médias qui vont tourner autour du pot. Dans leur viseur, la concentration des médias français dans les mains « d’un groupe réduit de propriétaires », à savoir quelques milliardaires et grands groupes industriels. Une situation d’oligopole cartographiée par Acrimed dans un « document assez unique en son genre », selon les mots du président de la commission d’enquête, Laurent Lafon.
Infographie d'Acrimed sur la concentration actionnariale des médias. Source : https://www.acrimed.org/Medias-francais-qui-possede-quoi
Cette « concentration » des médias, qui sera théorisée et décortiquée en long et en large par la commission d’enquête, Nicolas Vescovacci a pu en constater les dégâts de première main quand il était journaliste à I-Télé, tout juste repris par le groupe Bolloré avant d’être rebaptisée CNews, et qu’un conflit social « de plus de 100 jours » avait opposé la rédaction à son nouvel actionnaire. « Cela a commencé par un démantèlement de la rédaction, puis par une reprise en main idéologique, avec le même schéma lors du rachat d’Europe 1 » précise le président du collectif de journalistes « Informer n’est pas un délit. » Pour illustrer cette main-mise de l’industriel sur les médias possédés par le groupe Bolloré, l’auteur de Vincent Tout-puissant, évoque notamment l’annulation d’un documentaire sur des malversations du Crédit Mutuel, dont Vincent Bolloré avait fait annuler la diffusion sur Canal + et qu’il avait finalement réussi à faire diffuser sur France 3.
« Le grand problème c’est que tous les médias ont suivi Zemmour, pas en adoubant ce qu’il dit, mais surtout en interrogeant les autres par rapport à lui »
Vincent Bolloré est un exemple au sein de cette constellation de milliardaires propriétaires de médias en France, mais il introduit un « phénomène nouveau » dans l’équation, d’après Nicolas Vescovacci, en ayant réussi à faire émerger – presque ex nihilo – un candidat à la présidentielle, en la personne d’Éric Zemmour : « Il ne serait pas candidat à la présidentielle s’il n’avait pas le soutien de plusieurs médias et d’un industriel qui a organisé l’ampleur médiatique qui l’entoure. » Mathias Reymond maître de conférence en sciences économiques et cofondateur d’Acrimed estime lui aussi que si le phénomène est systémique, l’attelage Zemmour – Bolloré est, par certains aspects, inédit : « Le grand problème c’est que tous les médias ont suivi Zemmour, pas en adoubant ce qu’il dit, mais surtout en interrogeant les autres par rapport à lui. Ils ont produit un agenda médiatique avec CNews que les autres rédactions, même en désaccord sur le fond, ont suivi. C’est ça la grande faiblesse des médias, c’est de se copier et d’être dans un entre-soi. » Ainsi, pour Nicolas Vescovacci, « Vincent Bolloré ne doit pas cacher l’intégralité des problèmes » auxquels « s’attaque » la commission d’enquête sénatoriale. La visibilité politique actuelle du cas Bolloré ne doit pas masquer les problématiques plus structurelles comme les questions juridiques autour de la gouvernance, faiblesse capitalistique chronique des médias qui ont donc besoin d’aides publiques, ou encore la régulation par une autorité indépendante.
Finalement, Acrimed et « Informer n’est pas un délit » n’incriminent pas l’existence même de médias d’opinions avec une ligne éditoriale choisie, mais une « homogénéisation » des contenus produits, des invités choisis et finalement, de l’information à disposition des citoyens. « Le problème ce n’est pas qu’il y ait l’Humanité et le Figaro mais qu’il y ait une homogénéité. Il y a une promiscuité, une homogénéité dans les propriétaires des médias et malheureusement pour les journalistes des pressions vont être subies » explique ainsi Mathias Reymond, qui précise bien que cette pression n’est pas nécessairement du fait du propriétaire du média en question, mais bien d’un « univers de connivence » : « La pression ne vient pas directement du grand patron, elle se fait par des intermédiaires, des problématiques de censure ou d’autocensure, de connivence, d’amitiés. Lors de la construction du stade de France au début des années 1990, tous les choix des spécialistes pour le chantier s’orientaient vers Jean Nouvel et c’est l’autre projet de Bouygues qui a gagné l’appel d’offres, alors que Balladur était Premier ministre. TF1 a ensuite fait une campagne massive pour Balladur à l’élection présidentielle de 1995 : Nicolas Sarkozy était le plus invité des médias du groupe, Claire Chazal a fait un livre d’entretien … Tout cela alors que Bouygues était le témoin de mariage de Sarkozy [soutien important de Balladur]. »
Or, dans cet « univers de connivence », le rôle de gendarme n’est d’après eux pas suffisamment endossé par l’ARCOM (anciennement CSA). Interrogé sur les démarches qu’il avait faite auprès du CSA lors de l’annulation de son documentaire, Nicolas Vescovacci explique clairement que le CSA « n’avait rien fait » : « Nous avions un dossier complet sur l’intervention de Bolloré dans cette histoire de Crédit Mutuel. Le CSA n’a rien fait et les contacts que nous avions chez eux nous disaient, faites du bruit à l’extérieur parce que ce n’est pas ici que nous ferons changer les choses. Ses prérogatives ont été étendus, mais le CSA reste un organisme politique. » Le CSA deviendra l’ARCOM au 1er janvier prochain, mais nul doute que la récente réforme n’épuisera pas les débats autour du rôle que devrait prendre le régulateur de l’audiovisuel français, et les futures recommandations de la commission d‘enquête sénatoriale.
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