« Ce n’est pas une simple question des termes de la discussion, c’est un sabotage du dispositif que vous avez vous-même imaginé ! » La séance des questions au gouvernement du Sénat, ce 19 mars, s’est ouverte par une interpellation de Patrick Kanner au Premier ministre, à la suite de ses propos tenus dimanche sur la réforme des retraites, en pleins travaux des syndicats et des organisations patronales.
Questionné sur son avis quant à la possibilité de revenir à l’âge légal de départ en retraite, tel qu’il était avant la réforme de 2023, François Bayrou avait répondu par la négative. Cette position a eu pour effet de déstabiliser les syndicats dans cette conférence sociale sur les retraites, mais également de braquer les groupes de gauche.
« Vous vous engagiez sans ambiguïté pour que la concertation sur les retraites se déroule sans totem, ni tabou », rappelle Patrick Kanner
Fin février, François Bayrou avait déjà crispé les organisations syndicales en indiquant dans un courrier que le retour à l’équilibre du système des retraites devrait être atteint dès 2030. « Il ne se passe pas une semaine sans que vous vous immisciez dans les discussions des partenaires sociaux, qui devraient être libres », a dénoncé Patrick Kanner, qui a rappelé les termes de l’engagement du Premier ministre, mi-janvier. « Vous vous engagiez sans ambiguïté pour que la concertation sur les retraites se déroule sans totem, ni tabou, pas même l’âge légal d’ouverture, avec une condition : la recherche de l’équilibre financier ».
Face au sénateur du Nord, le chef du gouvernement a d’abord souligné que les partenaires sociaux avaient une « légitimité » pour participer à cette question de l’équilibre financier du régime des retraites. « Beaucoup d’observateurs et d’acteurs politiques pensent que non », a-t-il rappelé. La réponse semblait s’adresser à Édouard Philippe, qui avait estimé que le conclave sur les retraites était « hors sol » et « totalement dépassé ».
François Bayrou souhaite « que l’on trouve les améliorations nécessaires » au système de retraites
Revenant sur son courrier du 26 février adressé aux partenaires sociaux, François Bayrou considère qu’il a « simplement rappelé qu’il fallait se fixer comme objectif le retour à l’équilibre en 2030 ». « Dans ce contexte financier, démographique, on m’a demandé si je pensais que c’était possible, réalisable : j’ai répondu qu’à mes yeux on ne pouvait pas revenir à 62 ans, supprimer la réforme des retraites, et retrouver l’équilibre financier. C’est mon analyse. Je suis sûr qu’elle est partagée sur beaucoup de bancs et même dans l’inconscient de la plupart de ceux qui posent des questions », a ajouté le Premier ministre.
Le trouble est pourtant palpable. La CFDT a estimé que le Premier ministre avait « rompu le contrat » en « changeant les règles du jeu ». L’organisation patronale U2P (commerçants, artisans et professions libérales) a, elle, quitté ce 18 mars la table des négociations, mécontente de la persistance d’un débat sur les 62 ans. Force ouvrière avait déjà jeté l’éponge au premier jour des négociations. « J’ai rencontré un certain nombre des protagonistes de cette concertation qui ont l’intention de continuer à s’investir sur ce sujet. Je souhaite que l’on trouve les améliorations nécessaires et l’équilibre financier, qui est indispensable à l’avenir du système des retraites », a assuré le Premier ministre.
« Je me demande si vous ne dérivez pas vers l’extrême droite du centre », réplique Patrick Kanner
Lors de sa réplique, Patrick Kanner a ouvert l’éventail de ses doutes, en se demandant si François Bayrou n’était pas en train de « céder aux sirènes » de Bruno Retailleau et de Gérald Darmanin. Deux ministres à qui il reproche de « cautionner » deux propositions de lois adoptées mardi au Sénat, l’une augmentant la durée de rétention administrative de certains étrangers condamnés, l’autre allongeant la durée de résidence nécessaire aux étrangers pour pouvoir bénéficier de certaines prestations sociales.
« Vous qui êtes un homme du centre droit, je me demande si vous ne dérivez pas vers l’extrême droite du centre […] Il y a une dérive », a conclu le sénateur PS, sous les exclamations des bancs de droite.