Le travail Parlementaire fait parfois preuve d’une certaine ironie. Il arrive que des amendements, votés au milieu d’un projet de loi à rallonge, aient, des années après, des conséquences insoupçonnées, au moment de leur adoption. C’est le cas d’un amendement sénatorial, qui a sûrement scellé le sort de Nicolas Sarkozy, sans que ses auteurs aient pu imaginer le scénario actuel. Explications.
Suite à la condamnation de Nicolas Sarkozy à 5 ans de prison avec mandat de dépôt à effet différé et exécution provisoire, ce qui va envoyer l’ancien chef de l’Etat en prison, malgré son appel, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, n’a pas caché ses critiques, comme une bonne partie de la droite. Il a indiqué partager « le questionnement grandissant au sein de la société sur l’exécution provisoire d’une condamnation, alors que les voies de recours ne sont pas épuisées ».
Amendement déposé et soutenu par des sénateurs devenus ministres du gouvernement démissionnaire
Une réaction critiquée aujourd’hui par le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner. Dans un courrier adressé à Gérard Larcher, dont publicsenat.fr a obtenu copie, l’ancien ministre pointe sa « regrettable prise de position » sur l’exécution provisoire. « Mon groupe regrette et condamne que vous ayez engagé le Sénat dans cette démarche », écrit Patrick Kanner. Rappelant le sens de l’exécution provisoire, il glisse au passage que « cette disposition a d’ailleurs été récemment étendue au mandat de dépôt à effet différé, appliqué à Nicolas Sarkozy, par un amendement sénatorial », sans en dire plus…
Quel est cet amendement, dont l’adoption passée a aujourd’hui pour conséquence de s’appliquer à Nicolas Sarkozy ? Il s’agit d’un amendement du groupe à l’époque LREM, autrement dit Renaissance, adopté en 2018 lors de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice. Cet amendement 259 rectifié avait pour premier signataire Thani Mohamed Soilihi, aujourd’hui ministre démissionnaire délégué, chargé de la Francophonie et des Partenariats Internationaux. Il était cosigné par l’ex-ministre de la Défense, Alain Richard, et tous les membres du groupe RDPI. Il avait été défendu en séance par l’ex-sénateur Arnaud de Belenet.
« L’amendement précise qu’en cas d’appel, le mandat à effet différé ne pourra être mis à exécution, sauf si une décision d’exécution provisoire aura été prise »
L’amendement précisait que « lorsqu’il décerne un mandat de dépôt à effet différé, le tribunal correctionnel peut, dans les cas prévus par les articles 397-4, 465 et 465-1, assortir ce mandat de l’exécution provisoire ».
« Je suis particulièrement heureux de proposer, au travers de cet amendement, une solution de compromis pour incorporer au sein du texte de la commission, dans le respect des dispositifs préalablement introduits, les éléments que la Chancellerie tenait à introduire concernant les modalités concrètes d’organisation du mandat de dépôt à effet différé », avait expliqué Arnaud de Belenet au micro (voir la vidéo). L’ancien sénateur de Seine-et-Marne ajoutait, au sujet de l’amendement : « Il précise qu’en cas d’appel, le mandat à effet différé ne pourra être mis à exécution, sauf si une décision d’exécution provisoire aura été prise ». Soit la situation de Nicolas Sarkozy. Et de conclure son intervention, en indiquant « que cet amendement reprend les observations formulées par l’Association nationale des juges de l’application des peines, ce qui ne paraît pas excessivement malsain ! »
Avis favorable de la commission et avis de sagesse du gouvernement
L’amendement RDPI avait alors reçu un avis favorable de la commission des lois, qui était alors présidé par Philippe Bas, nommé aujourd’hui au Conseil constitutionnel. Le corapporteur du texte n’était autre que le sénateur LR François-Noël Buffet, devenu ensuite président de la commission des lois, aujourd’hui ministre démissionnaire auprès du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. « La commission est favorable à l’amendement n° 259 rectifié, la modification que nous avons souhaitée en commission ayant été apportée », avait laconiquement expliqué François-Noël Buffet.
La ministre de la Justice d’alors, Nicole Belloubet, avait quant à elle émis un simple « avis de sagesse », sans développer davantage. Elle s’en remettait donc à la sagesse du Sénat, qui avait adopté à main levée cet amendement, grâce à la majorité sénatoriale LR et centriste, qui avait également adopté l’ensemble du texte. Ainsi va parfois la vie parlementaire.