En avril, après sa condamnation à une peine de 5 ans d’inéligibilité, assortie d’une exécution provisoire, Marine Le Pen avait réuni 7 000 sympathisants RN à Paris pour la soutenir et dénoncer une justice, selon elle, instrumentalisée à des fins politiques, Nicolas Sarkozy a choisi, lui, les colonnes du JDD pour s’attaquer à l’institution judiciaire.
Dans cette interview, l’ancien chef d’Etat, condamné à 5 ans de prison ferme avec incarcération prochaine pour association de malfaiteurs dans le dossier du financement libyen de sa campagne de 2007, dénonce un « complot ». Il considère « que « toutes les limites de l’Etat de droit » ont « été violées » et veut croire que cette affaire a joué un rôle dans sa défaite à la présidentielle de 2012.
Cette violente mise en cause de l’impartialité de la justice trouve un écho particulier à l’extrême droite, ou les élus dénoncent, en cœur, une politisation ou plutôt une gauchisation de la justice. Marion Maréchal, Philippe De Villiers ou encore Éric Zemmour ont demandé sa suppression ces dernières heures. En avril dernier, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau avait employé l’expression « juges rouges » pour qualifier les membres de ce syndicat.
« Le problème ici n’est pas le fonctionnement de la justice, mais que la justice passe »
« Les condamnations de Marine Le Pen et de Nicolas Sarkozy conduisent à la même mécanique. Le procès s’est déroulé comme il devait se dérouler, c’est-à-dire selon les règles. Les prévenus n’ont pas protesté pendant le déroulement des débats, n’ont pas soulevé la question de l’impartialité des juges pendant les débats alors que la loi prévoit une procédure de récusation. Et quand la décision tombe, la mise en cause est frontale. Le problème ici n’est pas le fonctionnement de la justice, mais que la justice passe », observe Nicolas Hervieu juriste en droit public et enseignant à Sciences-Po.
Comme après la condamnation de Marine Le Pen, celle de Nicolas Sarkozy a entraîné des menaces de morts à l’encontre des magistrats, en particulier à l’encontre de la présidente du tribunal, Nathalie Gavarino qui a participé en 2011 à la grève inédite des magistrats en tant que représentante de l’Union syndicale des magistrats (USM). Un mouvement de fronde très suivi pour protester à l’époque contre les déclarations du Président Sarkozy. A un an de la présidentielle, il avait accusé la justice de porter une part de responsabilité dans le viol et le meurtre de la jeune Laëtitia Perrais, par le récidiviste, Tony Meilhon.
« Il existe des règles d’impartialité extrêmement fortes »
« L’USM est le syndicat majoritaire et se place plutôt à distance des positions partisanes. Il se revendique comme corporatiste, en ce sens, il défend avant tout les intérêts de la profession. Le Syndicat de la magistrature a, lui, des visions qui sont liées davantage aux politiques publiques et pénales, à la défense des libertés. Positionné à gauche, il s’est déjà opposé au FN et au RN », développe Laurent Willemez, professeur de sociologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, co-auteur avec Yoann Demoli de « Sociologie de la magistrature », (ed. Armand Colin). « Ceci étant dit, il n’y a pas d’influence des positions politiques dans leurs jugements. Il existe d’ailleurs des règles d’impartialité extrêmement fortes. Par exemple, les mobilités sont régulières dans la magistrature pour éviter que les juges n’exercent trop longtemps au sein d’un même tribunal. Ça fait partie des garantie d‘indépendance », ajoute-t-il.
« A l’époque de l’affaire Laetitia, tous les magistrats étaient descendus dans la rue. Ce n’était pas une mise en cause de la personne de Nicolas Sarkozy mais de ses propos tenus en tant que chef d’Etat. Quant au ‘’mur des cons’’ c’était l’initiative d’un bureau du Syndicat de la magistrature. Si l’une de ces 10 ou 15 personnes s’était retrouvée dans la position de juger Nicolas Sarkozy, on aurait pu mettre en doute leur impartialité. Mais ce n’est pas le cas », complète Nicolas Hervieu.
La gravité et la récurrence des menaces proférées à l’encontre les magistrats ces derniers jours ont conduit Emmanuel Macron à réagir. « Les attaques et menaces de mort, anciennes ou récentes, contre plusieurs magistrats sont inadmissibles », a-t-il rappelé sur X. Le garde des Sceaux, Gérald Darmanin a lui aussi condamné « sans aucune réserve » les menaces et les intimidations.
Un amendement pour garantir l’impartialité des juges syndiqués
La liberté syndicale reconnue aux magistrats comme à d’autres professions sert régulièrement de base aux accusations de dérives politiques des juges. Cette question avait donné lieu à des échanges tendus en 2023 au Sénat lors de l’examen du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et responsabilité du corps judiciaire. Contre l’avis du gouvernement, la majorité de la droite et du centre avait fait passer un amendement visant à imposer le principe d’impartialité pour les magistrats syndiqués. La gauche y avait vu une volonté déguisée de remise « en cause la liberté syndicale des magistrats ».
Pour la droite sénatoriale, et amendement était une réponse à la décision du tribunal judiciaire de Mamoudzou qui avait conduit à la suspension de l’évacuation d’un bidonville de l’île. La juge, auteure de la décision, était une ancienne vice-présidente du Syndicat de la magistrature. Le Conseil de la magistrature avait, lui, rappelé que les prises de position d’une organisation syndicale « ne sauraient servir de fondement à la mise en cause de l’impartialité d’un magistrat au seul motif qu’il serait membre de cette organisation ».
Le fameux « mur des cons » est l’autre affaire révélatrice, pour une partie de l’opinion et du personnel politique, de la partialité des membres du SM. En 2013, un panneau illustré de photographies de personnalités politiques de droite, magistrats, journalistes et aussi parents de victimes de crimes, avait été découvert dans les locaux du syndicat. L’ancienne présidente du SM, Françoise Martres avait été condamnée pour « injure publique » dans le cadre de cette affaire.
« Notre justice n’a jamais été aussi indépendante »
« Dans l’ensemble des procès visant le personnel politique, il y a une constante, c’est la qualité de la justice. La justice les traite beaucoup mieux que la moyenne des justiciables. L’instruction est longue, toutes les voies de recours sont utilisées par des avocats talentueux. Un homme ou une femme politique ne fera que très rarement de la détention provisoire », souligne Nicolas Hervieu.
Pour le juriste, la multiplication des condamnations du personnel politique ces dernières années s’explique facilement. « Notre justice, par ses pratiques autant que par les règles qui la gouvernent, n’a jamais été aussi indépendante. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme y est pour beaucoup. Par le passé, il était plus difficile de mettre en cause les acteurs politiques du fait de la faiblesse de l’indépendance du parquet, jusqu’à la loi de 2013 qui interdit les instructions du garde des Sceaux dans les affaires individuelles. Les acteurs politiques ne peuvent plus échapper à la sanction de la justice comme ils pouvaient le faire avant ».
Dans un tel contexte, on peine à imaginer la pression qui pèsera sur les magistrats de la Cour d’appel de Paris lors des seconds procès visant Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy, en 2026.