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Condamnation de Nicolas Sarkozy : l’exécution provisoire des peines de nouveau pointée du doigt

L’incarcération prochaine de Nicolas Sarkozy, malgré sa décision de faire appel, pour association de malfaiteurs relance le débat sur l’exécution provisoire des peines. A droite de l’échiquier politique, on pointe une possible atteinte à la présomption d’innocence. Au-delà des prises de parole à chaud, serait-il opportun d’un point de vue politique comme juridique de réformer ce mode d’exécution d’une peine ?
Simon Barbarit

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A la sortie du tribunal correctionnel de Paris, la mâchoire serrée, Nicolas Sarkozy vient d’encaisser une lourde condamnation pour association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007 : 5 ans de prison avec mandat de dépôt différé, assorti d’une exécution provisoire.

C’est ce dernier point qui va conduire l’ancien Président en prison. Prévue à l’article 471, alinéa 4 du code de procédure pénal, l’exécution provisoire d’une peine la rend applicable immédiatement. L’appel n’est pas suspensif. « Une gravité extrême pour l’état de droit ». « Alors même qu’on connaît mon adresse, qu’on peut me reconnaître dans la rue, […] le tribunal prononce l’exécution provisoire pour me voir dormir en prison le plus tôt possible », a dénoncé l’ancien chef d’Etat.

Marine Le Pen, condamnée elle-même à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire dans l’affaire des assistants parlementaires, a également estimé que cette modalité d’exécution de la peine constituait un « danger au regard […] de la présomption d’innocence ». Le président du Sénat, Gérard Larcher, a lui, indiqué partager « le questionnement grandissant au sein de la société sur l’exécution provisoire d’une condamnation alors que les voies de recours ne sont pas épuisées ».

Difficile ici de lui imputer un réflexe partisan puisqu’en avril dernier, le président du Sénat, déjà, préconisait « d’évaluer la loi et ses conséquences ». Il faisait ici référence à la loi Sapin II qui rend les peines d’inéligibilité complémentaires et obligatoires, (mais pas automatiques, le juge peut moduler son quantum ou l’écarter par exception) pour les infractions relatives aux atteintes à la probité.

Conflit de légitimité entre l’autorité judiciaire et les politiques

« Avant 2016, les juges étaient assez réticents à prononcer des peines d’inéligibilité en raison du conflit de légitimité entre le pouvoir judiciaire et politique. Le mouvement de moralisation de la vie politique et de pénalisation de la vie publique a accompagné la montée en puissance de la légitimité des juges. La légitimité des juges n’est pas démocratique mais elle n’est pas pour autant inexistante. Elle repose sur leur indépendance et leur impartialité qui les placent en position d’arbitres au-dessus des partis », exposait, en avril, à pulicsenat.fr Alexis Bavitot, avocat au barreau de Lyon, maître de conférences à l’université Jean Moulin Lyon 3, spécialisé dans le droit pénal des affaires.

Ce conflit de légitimité est reparti de plus belle après la condamnation de Nicolas Sarkozy. Les plus virulentes attaques contre l’institution judiciaire sont logiquement venues de sa famille politique. Geoffroy Didier président délégué (LR) du conseil régional d’Île-de-France a parlé d’une « volonté d’humilier » et d’une « faute de la part de l’autorité judiciaire ». L’eurodéputé LR, François-Xavier Bellamy s’est élevé contre un « traitement exceptionnel » et un « jugement politique ». Le sénateur LR, Stéphane Le Rudulier évoque une « condamnation invraisemblable » et un « tsunami de honte ». Le parlementaire des Bouches-du-Rhône va même jusqu’à demander à Emmanuel Macron « la grâce » de Nicolas Sarkozy, (lire notre article).

« La droite se met en porte à faux, elle qui demande toujours plus de sévérité et de rapidité »

Des admonestations de l’autorité judiciaire qui gênent certains au sein de la droite sénatoriale. « Je me rends compte que je ne suis pas sur la ligne de mon groupe. Les juges appliquent la loi que nous avons votée. On ne peut pas demander l’exemplarité pour les autres et pas pour nous. Ça alimente les accusations de tous pourris quand on parle des politiques. Donc, je ne suis pas sûr qu’il serait opportun de légiférer en laissant entendre qu’il y aurait une justice à deux étages. Mais le pire, c’est que toutes ces attaques laissent entendre que la justice ne serait pas impartiale », s’inquiète une sénatrice LR sous couvert d’anonymat.

La vice-présidente socialiste de la commission des lois, Marie-Pierre de la Gontrie abonde. « Ce qui m’interpelle, c’est que le deuxième personnage de l’Etat critique, même si c’est fait de manière habile, une décision de justice. Je participerai volontiers et avec intérêt à un débat dans l’hémicycle sur l’exécution provisoire. Comment va-t-on nous expliquer que ce n’est pas valable pour Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy, mais pour les autres infractions ? Le problème ici ce n’est pas la condamnation mais les faits qui ont conduit à la condamnation de Nicolas Sarkozy. Je suis défavorable à la suppression e l’exécution provisoire des peines qui est laissée à l’appréciation des juges. La droite se met en porte à faux, elle qui demande toujours plus de sévérité et de rapidité » souligne l’élue de Paris.

Ludovic Friat rappelle que « les peines prononcées sont à la hauteur de la gravité des faits ». « L’exécution provisoire fait partie de ces outils juridiques efficaces pour lutter contre la délinquance. Libre au législateur de la modifier, de considérer, par exemple, que l’infraction d’associations de malfaiteurs est trop large et qu’il faut la modifier. Mais attention à ne pas se priver d’outil de répression efficace pour aller chercher des gens poursuivis pour terrorisme ou narcotrafic pour seulement quelques cas d’espèce », met-il en garde.

Qu’est ce qui a motivé l’exécution provisoire de la peine de Nicolas Sarkozy ?

Saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un élu local de Mayotte qui contestait sa peine d’inéligibilité « assortie d’une exécution provisoire », le Conseil constitutionnel considère que l’exécution des décisions de justice en matière pénale « contribue à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants et mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ».

Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen, opère néanmoins une distinction entre le cas de Marine Le Pen et celui de Nicolas Sarkozy. « Pour Marine Le Pen, l’exécution provisoire avait pour but de donner un effet utile à la peine d’inéligibilité. C’est un raisonnement d’efficience de la peine qui a motivé les juges et ensuite, la mise en œuvre de la sauvegarde de l’ordre public. Pour l’affaire qui concerne Nicolas Sarkozy, je ne suis pas certaine que l’efficacité de la sanction aurait été remise en cause sans l’exécution provisoire de la peine. Les juges ont raisonné en s’appuyant sur l’objectif de sauvegarde de l’ordre public au regard de la gravité des faits incriminés et de la personne concernée. Pendant des années, on a pu avoir l’impression que la justice frappait de manière moins efficiente pour les politiques. Rappelez-vous, en 2016, Christine Lagarde avait été déclarée coupable mais dispensée de peine par la Cour de Justice de la République dans l’affaire de l’arbitrage Tapie. Pour Nicolas Sarkozy, le tribunal correctionnel a appliqué le droit commun de la peine. Cela étant dit, est-ce que c’est bien pour l’image de la France qu’un ancien Président soit sous les verrous, cette question doit être posée. Intuitivement, les gens ont pu se dire que l’application immédiate de la condamnation était attentatoire aux droits de la défense ».

Le cas de Nicolas Sarkozy n’est pas isolé. En 2023, 89 % pour les peines de plus de 24 mois étaient appliquées immédiatement.

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