Secret professionnel : avocats et gouvernement irréconciliables ?

Secret professionnel : avocats et gouvernement irréconciliables ?

Un article du projet de loi pour la confiance la justice, sur le secret professionnel des avocats en matière de conseil, agite la profession depuis septembre. Ils se mobilisent ce mardi, alors que le parcours parlementaire du texte touche bientôt à sa fin.
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« Sur le secret professionnel de l’avocat, les sénateurs nous ont planté un couteau dans le dos. » Ainsi s’exprimait en septembre le président du Conseil national des barreaux, Jérôme Gavaudan. La voix de l’instance représentant les quelque 70 000 avocats de France, illustre le malaise d’une profession sur l’une des dispositions du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Le puissant barreau de Paris a appelé à manifester ce 16 novembre contre le texte, quasiment en fin de parcours parlementaire. Évènement rare, un amendement du gouvernement pourrait faire évoluer à nouveau le texte décrié, malgré le compromis trouvé entre députés et sénateurs.

Un petit retour en arrière s’impose. Au départ, la réforme du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti prévoyait, à l’article 3, de consacrer le secret professionnel des avocats en matière de défense d’un client, y compris avant l’ouverture de la procédure pénale. Les députés ont étendu cette garantie du secret des échanges entre un avocat et un client aux activités de conseil, secret qui a été écorné au fil du temps par la jurisprudence. Sur ce dernier point, le Sénat n’a pas totalement suivi l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont considéré que le secret professionnel en matière de conseil ne pouvait être opposable dans les affaires de fraude fiscale et de corruption (ainsi que le blanchiment de ces délits). « Nous avons considéré qu’il était normal que la société conserve des moyens d’action sur certains sujets, comme la fraude fiscale ou la corruption, qui touchent directement à l’essence même de la société, à la démocratie, au principe de consentement à l’impôt », avait expliqué le rapporteur au Sénat Philippe Bonnecarrère (Union centriste).

Éric Dupond-Moretti regrette un « malentendu » et se dit prêt à retirer un alinéa

Ces exceptions (auxquelles s’ajoute le financement du terrorisme) ont été maintenues dans le texte de compromis trouvé le 21 octobre entre les députés et les sénateurs, au grand dam des avocats. Les échanges se sont poursuivis en coulisse, entre le ministère et les bâtonniers. Éric Dupond-Moretti, dans une lettre qui leur était adressée le 12 novembre, a cherché à « dissiper » un « malentendu ». « Sous la protection du droit actuel, la protection de ce secret n’a jamais été absolue ».

Dans son courrier, le garde des Sceaux rappelle toutefois qu’il est prêt à proposer la suppression d’un alinéa. Lorsque le Parlement est amené à se prononcer sur un texte issu d’une commission mixte paritaire conclusive, seul le gouvernement est encore en mesure de déposer des amendements, pour faire évoluer à la marge le projet de loi. Globalement, cette pratique est assez exceptionnelle. Le passage, qui devrait être retiré, indique que le secret professionnel en matière de conseil n’était pas opposable « lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ».

Un passage particulièrement problématique, selon le président du Conseil national des Barreaux, joint par Public Sénat. « Il y a de vraies avancées procédurales dans cet article, mais elles sont contrebalancées par la suite du texte. D’abord sur les exceptions, et sur le fait qu’en toute matière, le juge pourrait considérer qu’un avocat, qui n’est ni auteur ni complice, aurait pu être manipulé », s’inquiète Maître Jérôme Gavaudan. La disposition aurait pour conséquence dommageable, selon les avocats, d’abîmer le lien de confiance entre un avocat et un client. L’article, même amendé, pose trop « d’incertitudes », selon eux.

« Le secret professionnel, c’est un tout », insiste le président du Conseil national des barreaux

Les conclusions de la commission mixte paritaire, ainsi que l’amendement de suppression déposé par la Chancellerie, seront examinées ce 16 novembre à l’Assemblée nationale, puis le jeudi 18 novembre au Sénat. L’amendement a été préparé en concertation avec les deux commissions des lois des deux assemblées.

Lundi, le Conseil national des barreaux réuni en assemblée générale a répondu à la missive ministérielle et s’est prononcé pour le retrait total de l’article. La solution de compromis du ministère ne soulage qu’en partie le CNB. « Les exceptions sont gênantes », martèle Jérôme Gavaudan. « Le secret professionnel, c’est un tout. Il est absolu. Il concerne la défense, comme le conseil, avec cette idée qu’on ne peut pas diviser. Il y a une continuité entre la notion de conseil et de défense. »

Comme le ministre de la Justice, Philippe Bonnecarrère (lui-même avocat de profession) conteste cette affirmation. « La profession s’est autoconvaincue qu’elle disposait d’un secret professionnel général. Elle vit sur un mythe : le problème, c’est qu’il n’existe pas. » Le sénateur rappelle que l’article n’organise aucun recul par rapport au droit existant, et qu’il constitue au contraire une « avancée ».

Actuellement, le Code de procédure pénale ne précise pas quels sont les documents qui peuvent être saisis dans un cabinet d’avocat, lors d’une perquisition. La jurisprudence permet la saisie de documents, réalisés dans le cadre d’une activité de conseil, dans le cas où une personne ayant commis une infraction n’a pas encore désigné un avocat comme son défenseur. Après le vote de la loi confiance dans la justice, ce type de saisie pourrait être impossible, sauf si la procédure porte sur des faits de fraude fiscale, financement du terrorisme ou de corruption.

Un sénateur note que ces discussions interviennent dans un contexte qui n’est pas le plus favorable, puisque le conseil de l’ordre des avocats renouvelle actuellement ses membres.

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